“Le rôle éducatif de l’école s’arrête à la porte de la cantine”
La question est simple, quotidienne. Qu'est ce que nos enfants mangent tous les jours dans les cantines de Marseille ? La documentariste Valérie Simonet a pris des risques : pendant 20 jours elle a mangé le même repas que les élèves. Ce plateau témoin permet de raconter ce que cache la cuisine industrielle.
“Le rôle éducatif de l’école s’arrête à la porte de la cantine”
Elle a fait ce que certains parents rêvent de faire et ce que d’autres sont ravis de ne plus connaître. Pendant 20 jours, la journaliste et documentariste Valérie Simonet – collaboratrice occasionnelle de Marsactu – est retournée à la cantine. Et pas n’importe quelle cantine, la cantine des écoles primaires de Marseille, majoritairement gérées depuis 25 ans par le géant de la restauration collective, Sodexo.
Face caméra, dans un studio réaménagé en réfectoire, elle mange avec appétit -et parfois une pointe de dégoût- les repas servis à ses deux enfants et à quelque 50 000 autres Marseillais de septembre à octobre 2019. Diffusé sur France 3 Provence-Alpes ce lundi en seconde partie de soirée puis sur La chaîne parlementaire, samedi 26 septembre, à 21 heures, “Y avait quoi à la cantine ?” répond donc à cette question lancinante que chaque parent pose sans toujours obtenir de réponse satisfaisante. Dans son documentaire, les repas sortis en douce voyagent ainsi de bouche en bouche et servent de base de discussion à une remise en cause du modèle industriel.
20 jours à la cantine… C’est quoi le bilan ? C’est bon ou non ?
La grande surprise, c’est que ce n’est pas mauvais. Les fruits, le pain sont bons. Il y a des jours où c’est franchement dégueulasse mais ce n’est pas la majorité des cas. Le reste n’a pas de goût, c’est généralement insipide. En fait, cela nourrit. Et souvent, je n’arrivais pas à finir mes portions d’adulte. Je me souviens d’une fois où j’ai dû faire face à un monceau de haricots verts. Je ne suis pas arrivée à finir. J’avais l’impression que mes capteurs de goût étaient saturés. J’ai tout de même perdu deux kilos durant cette expérience.
Pourtant j’aime manger. Je viens d’une famille où la nourriture est importante. Je n’ai pas utilisé l’expression parce qu’elle est un peu datée mais la cuisine de cantine, c’est un peu de la cuisine Canada dry, ça en a le goût, l’odeur mais ça n’en est pas.
Cela me rappelle une anecdote dans un resto à Cassis où le patron me recommandait sa soupe de poissons. Je l’ai prévenu que chez moi, on mangeait ce qu’on pêchait. Il était sûr de lui. Résultat, sa soupe était un brouet insipide. Je lui fait la remarque et il me répond : “vous savez, ici, on parle toutes les langues. Il faut proposer une cuisine qui parle à tout le monde”. La cantine, c’est un peu la même chose.
Comment est née l’idée de se mettre à la place des enfants?
Ma fille Alice était en CE2. C’est une bonne mangeuse, qui mange de tout. Et là, elle me disait tous les jours que ce n’était pas bon à la cantine. Je n’avais moi-même pas un souvenir très positif de la cantine, mais là, ça a commencé à m’inquiéter, et à m’intéresser. Finalement, c’est une connaissance, producteur audiovisuel qui m’a proposé de faire un documentaire sur la cantine à force de me voir en parler sur les réseaux sociaux. J’ai donc construit le projet autour de cette idée, centrée sur mon expérience, où le repas est le héros du film.
Le dispositif a été compliqué à mettre en œuvre ?
Il a fallu que je ruse en trouvant des complices. C’était digne d’un film d’espionnage. On se retrouvait chaque midi à échanger nos tupperware
Il est très compliqué pour un parent d’élèves de manger à la cantine. On peut faire la demande si on est membre d’une association de parents d’élèves. La possibilité est accordée une fois par an et on se retrouve à manger en compagnie d’un aréopage d’élu, de techniciens voire de représentant de la Sodexo. Il m’aurait fallu 20 ans pour faire mon film. J’avais un producteur, un diffuseur, je n’avais pas l’ombre d’une piste pour obtenir l’accès aux repas. Il a fallu que je ruse en trouvant des complices. C’était digne d’un film d’espionnage. On se retrouvait chaque midi à échanger nos tupperware, comme sur un pont à la frontière entre l’Est et l’Ouest. Et en plus, il en fallait plusieurs parce que j’avais déjà l’idée de faire manger et réagir les enfants.
Ce sont vos deux enfants qui apparaissent à l’écran avec d’autres du même âge. Ils donnent l’impression d’une certaine proximité socio-culturelle. Cela ne pose-t-il pas un problème de représentativité sociologique ?
J’ai mis mes enfants parce que j’assume d’avoir fait un film de mon point de vue de mère de famille. Bien sûr, cela ne donne pas une image représentative des enfants de Marseille. J’assume le parti-pris. Ce sont des enfants du quartier où j’habite, qui viennent de milieu plutôt favorisé, qui ont les mots pour dire ce qu’ils ont à dire. Je ne suis pas allé chercher les enfants pour lesquels la cantine est le seul repas de la journée. Même si je pense qu’ils ont tous un avis sur le goût de ce qu’ils mangent. Je souhaitais interroger une question simple : pourquoi le rôle éducatif de l’école s’arrête à la porte de la cantine ?
Dans votre enquête, vous faites voyager le repas Sodexo un peu partout en France, pour le confronter à des parents, des usagers, des spécialistes de la restauration collective. Il en ressort que l’insipidité est intimement liée au mode de fabrication.
Oui. La logique de fabrication industrielle implique que cela soit insipide. Je n’ai pas travaillé directement sur l’aspect scientifique, notamment liée à la liaison froide à laquelle est soumis l’ensemble des repas servis à Marseille. Ils sont cuisinés, mis en barquette, mis au frigo, acheminés puis réchauffés dans chaque école. Vous pouvez essayer chez vous : un plat mis au frigo puis réchauffé est rarement meilleur. Il y a ensuite la question du volume. Arrivé à un certain volume, c’est impossible de faire de la cuisine.
Dans la cuisine centrale de Pont-de-Vivaux, par exemple, ils font cuire séparément la viande et la sauce qui vont être assemblées dans les barquettes. Or, ces fonds de sauce sont préfabriqués. Il existe une règle qui interdit d’utiliser les os si la carcasse n’a pas été désossée sur place. Cela n’arrive jamais de faire entrer un bœuf entier dans ce type de cuisine. Du coup, les sauces sont industrielles, remplies d’exhausteurs de goût. Les viandes sont conservées dans une saumure qui leur donne un bel aspect mais ajoute un goût salée. Le pire étant les œufs…
Qu’arrive-il à ces œufs ?
Dans le film, une parente d’élève impliquée dans la concertation autour de la cantine explique comme les omelettes sont fabriquées par un prestataire qui les vend à la Sodexo. Elles peuvent donc rester 18 mois au congélateur avant d’être réchauffées. Quand elle arrive dans l’assiette, elle conserve encore le pli de la congélation et ressemble à une éponge, parfaitement ronde. Pareil pour les œufs durs qui, réchauffés au micro-ondes, explosent en micro-billes quand on appuie dessus. C’est pour cela que les œufs sont rarement servis chauds avec les épinards.
Tous ces plats sont combinés dans un catalogue et servis année après année. La moussaka -qui est un de mes pires souvenirs des 20 jours- revient chaque année. Di on regarde la semaine de rentrée, les menus 2018 et 2019 sont identiques. C’est juste un copié/collé. Un enfant va donc toujours manger la même chose. De la même façon, il mange de la betterave en boîte ou de la macédoine de légumes parce qu’il existe une filière en France qui fabrique ces produits uniquement pour les cantines. Tant pis, si ce n’est pas bon.
Vous interrogez dans votre film, le socialiste Benoît Payan, chef de file du Printemps marseillais aujourd’hui premier adjoint. Ils ont promis de sortir de ce modèle de cantine à l’issue du contrat de délégation de service public en 2025. Est-ce possible ?
Tout d’abord, je tiens à préciser que le tournage de cette séquence s’est passé en novembre 2019, alors que le Printemps marseillais n’avait pas encore de liste. Je l’ai mis dans mon film parce que je trouvais son propos intéressant. D’ailleurs, Michèle Rubirola était présente [lors du post des candidats sur les réseaux sociaux, ndlr] et j’ai décidé de n’interviewer que Benoît Payan. Quant au modèle alternatif, il dépend de plusieurs curseurs. Le premier est le prix. Le coût matière d’un repas est 1,78 euros par repas, facturé 3,67 euros aux parents. L’un des témoins que j’interroge explique qu’avec 50 centimes de plus par repas, la qualité des produits change du tout au tout.
le suivi des contrats, l’obligation d’équiper chaque secteur d’une cuisine, c’est un boulot énorme. Ce n’est pas infaisable mais cela demande de la volonté et du temps.
Ensuite, il y a une question de taille. Je pense qu’on peut faire une cuisine qui a du goût à partir du moment où on crée des cuisines au plus près, par arrondissement, en fonction de la population. Dans le film, j’interroge un collectif de parents du XVIIIe arrondissement à Paris. Le tableau qu’ils décrivent de leur repas est effarant. À côté, c’est de la grande cuisine à Marseille. Mais, à Paris, cela va varier d’un arrondissement à l’autre : certains sont en régie directe, d’autres en délégation, ou ont mutualisé avec des communes de la première couronne. Réfléchir à ce niveau permet de faire entrer des acteurs plus petits et de faire de la vraie cuisine.
Mais tous les Marseillais ne mangeraient plus le même repas ?
C’est effectivement l’argument de Danièle Casanova [adjointe à l’éducation de Jean-Claude Gaudin, ndlr] quand je l’interroge dans le film : l’égalité de tous les Marseillais devant la cantine. C’est une vraie question, notamment en ce qui concerne le clivage nord/sud, la taille et la population de chaque arrondissement. Mais on se ne pose pas la question pour les collèges où vont aller tous les élèves : chaque établissement à sa propre cuisine et ça ne pose de problème à personne. En revanche, pour le suivi des contrats, l’obligation d’équiper chaque secteur d’une cuisine, c’est un boulot énorme. Ce n’est pas infaisable mais cela demande de la volonté et du temps.
Actualisation le 21 septembre à 16 h 53 : précision sur les conditions de tournage avec Benoît Payan et rectification du tarif de la cantine.
Commentaires
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Je suis heureuse que mon fils soit au collège. Apres 3 ans de maternelle et 5 ans de primaire, il trouve enfin les repas corrects…
Sodexo une infamie.
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Tout pareil, quelle délivrance !
Ma fille en revanche doit continuer à se coltiner sodexo… A savoir que les enfants n’ont pas le droit d’emmener un casse-croute qui serait bien meilleur que la cantine, comme ça se fait en angleterre par exemple. Je ne comprends pas pourquoi.
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Vraiment on leur fait tout vivre à ces enfants ! Temps scolaire, temps méridien et temps périscolaire, certaines obligations échappent à la règle éducative la plus élémentaire. Quand on se dit que ces enfants représentent l’avenir, il faudrait imposer un investissement moral, éducatif et financier plus important. Le retour sur investissement est généralement à la hauteur du projet social d’origine.
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quel terme étrange “retour sur investissement” pour parler d’éducation ! il est vrai que l’on parle du marché de l’éducation puis du marché du travail
pauvres enfants
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Merci beaucoup pour cet article! Ma fille adore manger et tous les soirs quand elle me raconte ses repas, je bondis…Elle est dans une école primaire privée, c’est pas du sodexo, une autre chaine, certains plats sont cuisinés sur place mais pas tous. Sur le site web du prestataire, c’est écrit du local, du bio, du goût, du plaisir…Or, si on analyse les menus, on se retrouve avec des absurdités totales (ananas, et produits ultra transformé en dessert tous les jours) zéro clémentine en décembre ou une seule fois en janvier…des trucs panés chaque semaine…et sensibiliser les autres parents n’est pas simple non plus. Le chef d’établissement se réfugie derrière le prix….Merci en tout cas pour ce reportage et documentaire!
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Pourriez vous donner le titre du documentaire, le lien pour le voir/louer ?Merci Masactu!
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“Y avait quoi à la cantine ?” ce soir en deuxième partie de soirée sur France3 Paca.
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Pourquoi cette volonté à fournir de la nourriture infâme à bas prix à des personnes en plein développement ? Pourquoi le même problème se retrouve-t-il dans les maisons de retraite (ehpad c’est insupportable) où là aussi c’est absolument immonde (oui, doit bien y avoir qqs exceptions mais…)
Dans les 2 cas, ce sont des personnes qui ne peuvent rien dire ni rien faire et qui capitulent en disant – quelque soit l’âge – “aujourd’hui c’était vraiment pas bon” !
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Et le blocus décrit pour que les parents ne puissent goûter qu’une fois par an un repas, réservé un mois à l’avance, et qui je crois n’est même pas celui servi aux enfants illustre toute l’organisation de cet “empêchement” de savoir aujourd’hui en place. L’Etat est largement complice, qui ne rend pas la mise en place d’une cantine obligatoire à tout élève qui le demande , laissant planer sur tout parent trop curieux la menace d’exclusion …
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Regardez les résultats de SODEXO et la capitalisation boursière des dernières années et vous comprendrez vite. Je ne parle pas de cette année 2020 qui est particulière
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On pourrait aussi écrire que le rôle éducatif de l’école s’arrête à la porte des toilettes.
Après des années à avoir désappris à l’école le geste élémentaire du lavage des mains, mes enfants ont vu, pour la première fois de leur vie d’écoliers, de collégiens et de lycéens, du savon apparaître dans les toilettes lors de la rentrée scolaire d’il y a trois semaines, “grâce au covid”… Pourvu que ça dure, cela fait si longtemps que l’hygiène était devenue inconnue en milieu scolaire !
On peut en rire – si l’on accepte que la moitié d’une classe soit absente en période de gastro – mais on peut aussi considérer que le rôle de l’école n’est pas seulement d’apprendre à lire et à calculer, mais aussi de vivre en société.
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C’est pourquoi au fronton de nos écoles il y a les deux mots suivants “Education Nationale” et non pas “Enseignement National”.
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idem dans les toilettes des profs, nous avons tous les jours du savon, du papier toilette et même de quoi s’essuyer les mains. merci la covid.
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J’ai hâte de regarder ce documentaire depuis le temps que j’aimerais savoir ce que mange mes enfants. Effectivement il est impossible pour les parents de venir tester un repas, il semblerait que la cinéaste eut dû ruser et faire sortir de nourriture en contrebande… Si effectivement il y a une question de prix du repas (celui de Marseille est plus faible qu’ailleurs), il sera intéressant de connaitre l’économie global du système : prix du repas, prix de la distribution (livraison, barquette…), coût du service sur site (Atsem et cantinière) a mon avis le rapport qualité/ prix/service est très mauvais!
On pourrait le comparer à des collectivités qui ont fait le choix de cuisiner sur place, avec des produits locaux. Dans tous les cas le contrat de la Sodexo est très suspect de par sa durée, de par le volume (lot unique alors qu’avant il y avait 2 lots et 2 entreprises).
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Allez les petits marseillais, plus que 5ans a tenir avec la sodexo ! Un bon gros marché bien lourd et bien long pour être sûr que même balayée par les élections la nullicipalite précédente laisse des casseroles….
On ne vous dit pas merci.
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Espérons… Espérons que la nouvelle municipalité se mette au boulot dès maintenant, car du boulot, il y en a !
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