Le rêve du téléphérique ne tient qu'à un fil

Le rêve du téléphérique ne tient qu'à un fil

De Rio de Janeiro à Barcelone en passant par Grenoble, bientôt Brest et Toulouse (2015 et 2017), le téléphérique déborde du seul cadre des montagnes et s'implante depuis quelques décennies dans les villes du monde entier. A Marseille, il existait bien le téléscaphe, un téléphérique marin qui permettait d'explorer les fonds sous-marins de Callelongue, mis en place par James Couttet et Denis Creissels dans les années 60 – et qui n'a duré qu'une année. Ses vestiges s'oxydent encore, attaqués par le sel, à l'abri de la calanque. On a beau attendre longuement, le regard fixe, les capsules jaunes émerger, jamais plus "les plongeurs ne remontent du mérou dans la bouche et des coraux plein des yeux" ainsi que le décrivait, de manière fleurie, ce reportage d'époque :

Loin d'être animé par la nostalgie, elle-même cultivée par des lectures assidues de Jules Verne, Dominique Tian a fait un rêve bien éveillé et ce "depuis longtemps". Celui d'un téléphérique qui relierait Notre-Dame-de-la-Garde au stade Tellène, au pied des falaises de la Bonne Mère. "Techniquement c'est tout à fait faisable. Il y aurait ainsi une possibilité de garer des bus et des voitures. Cela serait un avantage sur le plan touristique et cela permettrait de régler les problèmes de circulation, d'autant plus qu'il existe un projet de construction d'un musée à Notre-Dame-de-la-Garde, qui va générer une attraction nouvelle." Le député et maire UMP du 6/8 relance épisodiquement le sujet depuis 15 ans, sans qu'aucune étude sérieuse n'ait encore été menée.

Autre élu du 6/8, Yves Moraine s'est également pris à rêver au projet d'un téléphérique. Le président du groupe UMP au conseil municipal se montre partisan de cabines qui transporteraient cette fois les visiteurs à Notre-Dame-de-la-Garde à partir du Vieux-port. Cela, sans surprise, en vue de "stopper les nuisances liées à une circulation dense dans le quartier Vauban et celui de Notre-Dame. Dans ces rues étroites, les bus circulent sans discontinuer, ce qui est insupportable pour les riverains. En plus, cela développerait l'attractivité de Marseille. Enfin, un téléphérique constituerait une très belle signature urbaine, symbole de l'entrée dans la modernité." Modernité ou résurgence d'un Marseille urbain d'autrefois, lorsque le funiculaire conçu par Eiffel partait de l'extrémité de la rue Dragon pour rejoindre la basilique ? Installé en 1892, ses rails ont cessé de fonctionner à la fin des années 60, conséquence d'un défaut de rentabilité dû à la multiplication des véhicules.

Quoi qu'il en soit, poursuit Yves Moraine, "le projet est souvent discuté dans les réunions de CIQ. Si j'ai un tout petit peu d'influence à l'issue des prochaines élections, cela sera peut-être dans les propositions." Selon Laurent Kestel, directeur général adjoint du Gart (groupement des autorités responsables de transport), "un tel projet coûterait en moyenne entre 15 et 20 millions d'euros". Un intérêt écologique certain puisque garanti sans émission de gaz, mais aussi économique, moins cher qu'un tramway et légèrement plus cher qu'un bus. Une telle installation se justifie "quand les infrastructures terrestres ne parviennent pas à suppléer le trafic généré". En bref quand on est contraint, pour décongestionner les voies de circulation, d'investir dans un ouvrage d'art coûteux. Ce qui est vraisemblablement le cas à Marseille, tout comme à Toulouse, "où le relief géographique et les infrastructures de transport imposeraient des travaux considérables pour endiguer les flux de voyageurs."

Nuisances pour les oiseaux, gène visuelle pour les riverains, les contre arguments sont peu nombreux. Le projet paraît davantage réalisable que celui, par exemple, de ressusciter un pont transbordeur entre le fort Saint-Jean et le bassin de carénage du Vieux-Port, qui coûterait aux alentours de 50 millions d'euros. Le prix qu'escomptait mettre l'architecte Paul Poirier dans la reconstruction d'un tel pont pour 2013. Mieux vaut peut-être à ce prix là s'autoriser à songer, les soirs d'insomnie, à un téléphérique aussi rond qu'à Grenoble, glissant silencieusement vers les sommets de la ville. Ou à un téléscaphe, phénix renaissant de sa rouille, porteur d'un si noble objectif : "mettre les fonds marins à la portée des français moyens".