Le président du principal pollueur du Rhône veut “rebâtir la crédibilité” de sa papeterie

Interview
le 28 Fév 2020
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La papeterie de Tarascon est source de colère du voisinage et d'associations environnementales pour ses pollutions. Après notre article révélant le renvoi en correctionnel de Fibre Excellence pour ses manquements au code de l'environnement, le président de la société a proposé un échange que Marsactu a accepté.

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L'usine Fibre Excellence Tarascon. Photo : Pierre Isnard-Dupuy

L'usine Fibre Excellence Tarascon. Photo : Pierre Isnard-Dupuy

L'enjeu

Un exercice nouveau pour un responsable de cette usine. L'ancienne direction était habituée à se montrer peu disponible auprès de la presse et à menacer ses détracteurs de plaintes pour diffamation.

Le contexte

Depuis 10 ans, la papeterie fait l'objet d'arrêtés demandant sa mise aux normes. Suite à une plainte d'une association environnementale, Fibre Excellence est convoqué en correctionnelle le 12 mai.

Changement de ton à la tête de l’entreprise papetière Fibre Excellence, qui axe désormais sa communication sur une promesse de transparence. L’agence de l’eau considère que l’usine papetière de Tarascon est le “principal pollueur” du fleuve. L’usine est aussi surveillée par les autorités préfectorales, qui multiplient les mises en demeure et les arrêtés de mesures d’urgence depuis une décennie. Sont pointés ses rejets importants de polluants dans l’atmosphère et dans l’eau du Rhône, ainsi que ses nuisances sonores et olfactives, dénoncées à maintes reprises par les riverains et associations environnementales (lire notre enquête sur Fibre Excellence Tarascon).

Les investigations engagées par la justice suite à une plainte contre X pour “mise en danger la vie d’autrui” – déposée il y a trois ans par l’association pour la défense de l’environnement rural (ADER) – ont abouti à un renvoi en correctionnel de l’entreprise. L’audience se tiendra au tribunal judiciaire de Tarascon le 12 mai, comme l’a révélé Marsactu.

Jusqu’à présent, Fibre Excellence ne répondait que rarement dans la presse aux critiques de la société civile, préférant plutôt agiter la menace d’une procédure en diffamation à l’encontre de ses détracteurs. Nommé président de Fibre Excellence il y a un peu plus d’un an, le québécois Jean-François Guillot s’engage dans une autre voie.

Nous avons rencontré Jean-François Guillot pour un entretien, jeudi 20 février au bar du Sofitel à Marseille, à l’occasion de l’un de ses passages dans la région. Ingénieur papetier de formation, il est d’abord vice-président de Paper Excellence, la maison-mère canadienne de Fibre Excellence. Il assume ses responsabilités sur plusieurs sites de production au Canada et en France. Avec son parler canadien il dit chercher le “dialogue” avec les “partenaires” : services de l’État, associations et riverains nommés “la communauté” et salariés. Mais le discours rassurant n’enlève rien à la réalité de la pollution issue de son activité.

Riverains et associations alertent depuis des années sur la pollution atmosphérique et la pollution de l’eau. La préfecture prend des arrêtés de mise en conformité depuis 10 ans. Dans quel état est ce site de Tarascon ?

Depuis que j’ai pris ma fonction, j’ai toujours dit que le site de Tarascon a manqué d’amour. C’est une expression de chez nous au Canada. Pour différentes raisons dans le passé que je ne connais pas, il a eu de la difficulté à suivre le rythme de l’évolution. C’est difficile parce que les améliorations coûtent des gros sous. À Fibre Excellence, on n’opère pas dans l’illégalité. On opère avec ce que l’on appelle nos partenaires : les autorités, la communauté et nos employés. On a ralenti l’usine pour arriver à la limite des normes d’émission de l’air. En novembre, on a mis des équipements pour être en dessous de cette limite.

Photo : Emilio Guzman.

le site de Tarascon a manqué d’amour, une expression de chez nous au Canada. Il a eu de la difficulté à suivre le rythme de l’évolution.

Mais une opération industrielle a parfois des soubresauts. On peut avoir une panne qui va faire que pendant une heure ou deux, il y a un nuage de fumée noire. Ça fait partie des opérations : les opérateurs détectent un problème, ils travaillent à la solution puis ils l’appliquent. Il faut améliorer comment on gère les eaux en sortie d’usine. Même si on est aux normes on peut faire mieux. On s’est donné cinq ans pour ne plus blanchir la pâte à papier, [pour diminuer l’usage du chlore, ndlr]. Aujourd’hui on est à 20 % de notre production en papier non-blanchi.

Encore récemment, le 14 février, la préfecture à pris un arrêté de mesures d’urgence vous imposant des mises en conformité sur des installations défectueuses. En outre, il pointe 60 plaintes de riverains pour les nuisances olfactives émanant de votre site depuis décembre 2019. Est-ce que votre usine fonctionne bien normalement ?

On est en échange avec la DREAL [direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, ndlr] pour leur expliquer ce que l’on fait. Cet arrêté, c’est par rapport à quelques “offset”, [décalages, ndlr], de procédés qui sont normaux. Pour nous l’arrêté préfectoral n’est pas vraiment un problème. C’est plus une manière de dialogue des autorités pour dire : oui on suit les choses.

Avez-vous mis en conformité tout ce qui était demandé ?

La dernière chose qui reste à corriger, c’est une trappe qui est sortie de ses gonds. Pour résumer au niveau technique, on pourrait dire que cela change quelque chose pour la pression dans la bouilloire. On va la refaire. Ce que l’on fait pour compenser en attendant c’est que l’on change les pressions pour éviter que les poussières sortent. Mais ça c’est ce que j’appelle la routine habituelle de procédé d’opération d’une usine. La chose qui est en arrière de ça, je le reconnaît aussi, c’est une question de crédibilité auprès des autorités et avec les partenaires. Dans les années passées cette crédibilité a disparu. Il faut la rebâtir. Et puis ça nous fait plaisir d’expliquer ce que l’on fait.

Ça fait 10 ans que l’amélioration dont vous parlez est attendue par les riverains et les associations. Ça commence à faire long…

Je crois personnellement que le succès du business dépend toujours de la relation avec les partenaires. On a une responsabilité sociale et on est là pour avoir un équilibre entre le monde capitaliste et les ressources disponibles. Les contrôles gouvernementaux vont mettre des normes puis ils nous donnent généralement cinq ans pour nous adapter, pour prendre des équipements, du financement. Mais ça on le respecte.

Le succès du business dépend de la relation avec les partenaires. On a une responsabilité sociale et on est là pour avoir un équilibre entre le monde capitaliste et les ressources disponibles.

Les gens se plaignent beaucoup de l’odeur. Le problème, c’est que l’olfactif n’a pas de mesures, pas de normes. À Tarascon on a commencé à être plus proactif. Par exemple, même en étant aux normes sur le bruit des tambours écorceurs, on vient de les encapsuler pour réduire encore les bruits. Dans nos budgets on a mis deux millions d’euros pour réduire les émanations olfactives. On aimerait capter beaucoup plus de gaz qui sentent. Pour l’instant on est en train de bâtir la solution technique avec les ingénieurs.

Des non-conformités relevées par la préfecture
Contactée par Marsactu, la préfecture informe que “Fibre Excellence fait l’objet d’une surveillance renforcée de la part de l’inspection des installations classées de la DREAL”. Les filtres à poussières ont été installés suite à des arrêtés de mise en demeure pris en 2018 et 2019. “À ce jour, les émissions atmosphériques de poussières et de dioxyde de soufre sont conformes”, affirme la préfecture. Concernant les rejets aqueux, l’exploitant a jusqu’au 30 août 2020, “pour se mettre en conformité pour la collecte et le traitement.” Sur le bruit, “des mesures de contrôles doivent être faites pour confirmer l’efficacité des travaux et vérifier la conformité réglementaire”. Et sur les odeurs, “un arrêté préfectoral sera pris prochainement pour fixer un échéancier de réalisation” d’un “plan d’action portant sur des travaux complémentaires” pour les réduire. Quant aux suite de l’arrêté d’urgence du 14 février, “l’exploitant nous a informé avoir remis en état les équipements défaillants, mais nous attendons un rapport détaillant sur les circonstances de ces incidents et l’étude d’impact environnemental”, nous écrit la préfecture.

Le 22 mai Fibre excellence est convoquée en correctionnel. Comment abordez-vous ce procès ?

J’ai trouvé votre article intéressant parce qu’on n’a pas reçu la convocation. Un huissier s’est présenté à l’usine, j’étais présent ce jour là. On l’a averti que les dirigeants avaient changé. Il est reparti avec les papiers.

Fibre Excellence n’a-t-elle pas reçu de convocation à ce jour ?

Non. J’ai trouvé que vous étiez bien informés (rires)… On a posé la question, les gens nous on dit que, oui, le papier s’en venait. Je soupçonne ce qu’il y a dedans effectivement, mais je ne peux pas en parler tant que je ne l’ai pas lu.

Voulez-vous dire que vous ne ferez pas de commentaire sur cette audience à venir ?

Pour l’instant non, mais dès que j’ai reçu le papier j’en parlerai à ma chargée de communication et elle vous contactera.

Photo : Emilio Guzman.

À l’été 2018 il y avait une certaine tension entre les associations environnementales et l’ancienne direction. À l’époque celle-ci évoquait des plaintes pour diffamation motivant que ces associations raconteraient “tout et n’importe quoi”. Est-ce que de telles plaintes ont été déposées ? Que pensez-vous de cette méthode ?

Les plaintes en diffamation n’ont jamais été déposées et ne le seront pas. Chacun a sa perspective, son point de vue, je le comprends. Mais ce que je demande aux gens c’est de vérifier les faits avant de faire des affirmations. Et puis il y a une valeur de respect : on respecte les gens, peu importe leur opinion. Je sais que c’est très canadien (rires), mais c’est quelque chose que j’impose personnellement. Quand il n’y a pas le respect, moi je coupe la communication. L’usine fait depuis un an des rencontres avec les riverains. Quelque fois les rencontres sont assez passionnées. Pour ne pas dire qu’il y a eu quelques échauffourées.

Ce que vous appelez “échauffourées”, c’est le verbe un peu haut ?

Oui c’est ça, c’est très verbal. Quand ça devient passionné, on perd le raisonnement logique. C’est pour cela qu’il y a des gens qui nous accompagnent ici [pour la communication, ndlr], parce que, oui, on doit faire un meilleur travail. On n’a pas de cachotteries. Que ce soit pour moi ou pour le directeur général, il y a des lois, on est tous responsables. J’ai des enfants, j’ai une hypothèque à payer. Je ne veux pas habiter à Tarascon-sur-Rhône, enfin je veux dire dans le bâtiment situé à un kilomètre de l’usine et qui s’appelle la prison.

Il y a des incidents assez graves qui sont survenus sur le site, dont les plus spectaculaires ont été des incendies sur les stocks de bois en 2016 et 2017. La sécurité du site est-elle suffisante ?

Le succès d’un site industriel n’est pas un miracle. Ça dépend de deux choses : d’une rigueur d’opération, et il faut que les gens soient passionnés. Par exemple, le feu de bois vient d’un roulement à bille que personne n’a regardé. Le roulement chauffe. Il casse et tombe dans les copeaux et le feu prend. Mais si on fait notre tournée d’inspection tous les jours, c’est des choses que l’on peut détecter. C’est cette passion que l’on essaie de réintroduire. Je ne dis pas que c’est facile.

La CGT parle d’une besoin d’investissement de 80 millions d’euros pour pérenniser le site. Ça semble énorme. Comment envisagez-vous la suite de ce site ?

Je ne peux pas garantir le futur mais je peux travailler fort à avoir des résultats. Et quand les gens disent que le site a besoin de mise en forme ou de mise à niveau, je suis d’accord. En amélioration, en dehors des coûts de maintenance, on va mettre sept millions d’euros par année. C’est ce que l’on a prévu sur un plan de dix ans. Ce qu’il faut faire maintenant, c’est comme tous investissements en capitaux, il faut trouver des investisseurs, qui peuvent être aussi nos actionnaires actuels. On est dans ces étapes : de convaincre les gens de nous prêter de l’argent pour améliorer le site.

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