Le préfet veut fermer une décharge du BTP à Château-Gombert, le Conseil d’État l’en empêche

Enquête
le 21 Avr 2017
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Depuis plus de quinze ans, la société CDTP comble l'ancienne carrière de Palama avec des déchets du bâtiment. Le site est depuis longtemps hors la loi, estime la préfecture, qui a refusé de le régulariser l'été dernier. Mais les rotations de camions se poursuivent à la faveur d'une décision du Conseil d'État.

Les déchets sont étalés par couches successives formant une sorte de pyramide.
Les déchets sont étalés par couches successives formant une sorte de pyramide.

Les déchets sont étalés par couches successives formant une sorte de pyramide.

Le monticule apparaît à plus de 500 mètres de distance, alors qu’un camion descend le chemin de Palama, vidé de sa cargaison. Dans cette frange du nord de Marseille où villas spacieuses et résidences fermées alternent avec des champs, une décharge du BTP fait l’objet d’une bataille juridico-administrative qui est remontée jusqu’au Conseil d’État.

Le site, qui s’étend sur 7 hectares, n’a rien d’un dépôt sauvage, comme dans les collines de la Nerthe ou sur le stade Pépinière à Saint-Menet. La société Commercialisation décharge et travaux publics (CDTP) qui remplit l’ancienne carrière de Palama, a pignon sur rue. À l’entrée, un panneau décline l’identité de l’exploitant, le numéro de son autorisation et rappelle les obligations à respecter (bordereau de suivi, vitesse limitée…). Lors de notre passage à proximité, un camion aspergeait d’eau le terrain afin de limiter l’envol des poussières…

Sauf que cette installation est hors des clous, si l’on en croit les services de l’État, qui l’ont dans le viseur depuis cinq ans, suite à une visite d’inspection. En juillet 2016, au terme d’une longue procédure, le préfet a ordonné l’arrêt de l’activité et la remise en état du site. Il reproche à la société CDTP d’avoir “mis en service” le dépôt sans respecter les nouvelles procédures d’enregistrement. Il estime par ailleurs que cette activité est incompatible avec le nouveau plan local d’urbanisme, qui classe le terrain en zone naturelle aménagée pour les loisirs et le tourisme (NT).

“Nous avions une autorisation de la ville de Marseille datant de 2003. En 2014, les services de l’État nous ont dit que la réglementation avait changé et qu’il fallait déposer un dossier. (…) Mais ils ont fait comme si c’était une installation nouvelle, ce qui n’est pas le cas : c’est une réhabilitation de carrière”, s’étonne Yvonne Rapin, gérante aux côtés de Jean Grandi.

L’entrée du site affiche une autorisation d’exploitation délivrée par la Ville en 2003.

Mobilisation associative

Après un échec devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, CDTP a défendu “l’intérêt général” de son activité devant le Conseil d’État, cette fois-ci avec succès. Le 31 mars, la juridiction administrative suprême a suspendu l’arrêté préfectoral dans le cadre d’une procédure d’urgence. Cela signifie que le dossier doit encore être tranché sur le fond mais, en attendant, les rotations se poursuivent sur les contreforts du massif de l’Étoile. “Nous avons l’obligation morale de continuer l’activité, sinon ça deviendrait une friche industrielle”, affirme Yvonne Rapin, oubliant que l’arrêté du préfet imposait une remise en état et la pose de clôtures.

Contactée, la préfecture s’est refusée à tout commentaire sur ce dossier. Cette décision vient doucher l’attente de plusieurs acteurs associatifs et politiques qui s’étaient exprimés lors de l’enquête publique, à l’automne 2015. Le CIQ Palama-Les Mourets avait alors fait part de ses inquiétudes et le maire de secteur FN Stéphane Ravier avait exprimé son opposition par courrier. “M. Ravier a voulu faire plaisir aux gens qui votent pour lui”, balaie Yvonne Rapin.

Autre contribution déposée lors de l’enquête : l’association Colineo Assemence a livré un véritable réquisitoire de dix pages contre le projet. Gestionaire du conservatoire des restanques situé plus à l’ouest, elle s’est par ailleurs constituée partie civile dans une information judiciaire ouverte au sujet de la décharge, en parallèle du contentieux administratif.

Une carrière “extensible à l’infini” ?

Outre plusieurs erreurs factuelles dans le dossier de l’exploitant, elle s’étonne que “les capacités totales semblent être extensibles à l’infini”. Lors de sa dernière requête, CDTP demande en effet à pouvoir stocker 455 000 m3 sur 9 ans. Cela représente le volume de 150 piscines olympiques et à peu près l’équivalent des déchets produits par le chantier de la L2 Nord.

Or, en 1998, lors de la fermeture de la carrière, CDTP estime le volume nécessaire à son réaménagement paysager, c’est à dire pour la combler, à 200 000 m3 maximum. “Malgré la poursuite de l’exploitation et l’élévation des remblais, ces mêmes chiffres sont réaffirmés 5 ans plus tard, en juin 2003”, écrit Colineo. C’est l’Atelier Le Fur paysage qui, en 2003, conçoit ce deuxième projet de réhabilitation. “J’ai l’impression que Jean Grandi n’a pas respecté pas le projet élaboré à l’époque”, commente aujourd’hui la paysagiste Dominique Le Fur.

La pénurie comme argument

Dans sa décision, le Conseil d’État n’entre pas dans ces détails et ne juge pas le passif de l’exploitant. À ce stade, deux critères sont examinés : d’une part l’urgence du dossier, d’autre part le doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée. L’urgence, en l’occurrence, vient notamment de “l’intérêt public” d’une telle installation :

“Eu égard aux impacts financiers pour la société requérante de l’exécution de l’arrêté en cause qui, ainsi qu’il a été dit au point 1, prononce notamment l’arrêt définitif de l’exploitation de l’installation de stockage des déchets inertes et la remise en état du site, à ses conséquences en termes d’emploi, ainsi qu’à l’intérêt public lié à l’insuffisance, dans la région concernée, des sites de stockage de déchets inertes ainsi qu’au préjudice écologique susceptible d’être causé par report de sa clientèle vers des sites plus éloignés, la condition d’urgence (…) doit être regardée comme remplie.”

Il n’y a pas besoin d’aller bien loin pour mesurer les conséquences de la pénurie de sites dans le département. “Au-dessus de nous, il y a une décharge sauvage”, signale Yvonne Rapin. Sur le vallon d’en face, on aperçoit effectivement les traces de dépôts dans un espace boisé classé, en théorie protégé. Pour sa part, Colineo rappelle dans son mémoire que le plan départemental de gestion des déchets du BTP, voté en 2015, n’a “jamais identifié ce site ni comme gisement avéré, ni comme gisement potentiel du fait de son illégalité” et ce malgré les “énormes besoins”.

Surplombée par l’antenne de l’Étoile, un dépôt sauvage, souligné par les surface de végétation plus claire.

Quant au doute soulevé par le Conseil d’État, il porte sur l’incompatibilité de l’activité avec le plan local d’urbanisme (PLU). Les juges notent qu’en zone NT sont “autorisés les aménagements et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif, en vue notamment de la gestion et de la mise en valeur des espaces naturels”, ce qui pourrait correspondre à la réhabilitation d’une carrière. Sauf qu’il existe un zonage NCe fait exprès pour les carrières en réhabilitation, utilisé notamment dans la Nerthe.

La ville de Marseille, cheville ouvrière du PLU, a bien indiqué au préfet quelle était sa position, dans un courrier de janvier 2016. Mais elle se refuse à nous la communiquer, se bornant à confirmer qu’elle a “donné un avis technique mais que la décision relève de l’État”. L’exploitant se prévaut en tout cas de son aval, affirmant que les plantations d’oliviers qui doivent parachever le stockage des déchets permettront d’en faire un “espace de loisirs”. À quelques mètres du début du domaine de l’Étoile, vaste propriété communale, l’idée a du sens. Mais peut-être n’y a-t-il pas besoin de nouvelles centaines de camions de gravats pour lui donner corps.

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Commentaires

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  1. Sos corruption 13 Sos corruption 13

    comment faire pour intéresser Marsactu aux décharges illégales puis au merlon de la propriété Gianotti à Cabriès?
    Pas de nom ronflant chez nous? Trop loin de la grande ville de Marseille?

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    • LN LN

      Ben…. peut-être en le proposant tout simplement non ? C’est un peu ca Marsactu aussi.
      Allez en bas de page accueil et vous aurez l’onglet correspondant.
      Mais en matière ecolo, il y a eu Gardanne et son Mange Gari, Cassis et ses boues rouges et aussi Istres, Aix en Provence…

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  2. Manouchaparde Manouchaparde

    Il faudrait envoyer une proposition d’article au Ravi qui est un journal plus large en terme de territoire. Marsactu est plus centré sur Marseille ou très proche.
    Contactez aussi Collinéo pour des conseils.
    Amicalement,
    Marianne

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  3. Sos corruption 13 Sos corruption 13

    Vous plaisantez j’espère? Voila une justification vaseuse, et je le dis en toute amitié
    Cabriès est plus proche en terme de territoire de Marseille que des dizaines de problèmes qui ont fait l’objet d’articles de votre part
    de plus ces décharges viennent de chantiers marseillais

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