Le Merlan sans tête et sans dialogue social

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le 15 Juil 2014
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Le Merlan sans tête et sans dialogue social
Le Merlan sans tête et sans dialogue social

Le Merlan sans tête et sans dialogue social

Une porte qui claque et l'huissier qui sonne à une autre. Cela pourrait être la didascalie d'une pièce de boulevard mais cela résume à très gros traits l'ambiance qui règne ces temps derniers au théâtre du Merlan. Directrice dix ans durant, Nathalie Marteau vient de quitter cette scène nationale enchâssée dans un centre commercial et garnie à l'entour de cités des quartiers Nord. "Une anomalie", dirait en compliment Alain Vidal-Naquet, le président de son conseil d'administration.

Ce mardi, il a convoqué deux salariées du théâtre pour un "entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement". L'une des deux est déléguée du personnel titulaire. L'autre est une figure du quartier, militante qui porte haut la parole de ses habitants. Résultat, une cinquantaine de personnes dont quelques élus de gauche des quartiers Nord manifestaient leur soutien. Ces derniers jours, toutes deux ont reçu leur convocation à l'entretien de la main d'un huissier. "Un recommandé avec accusé de réception, une lettre suivie puis un huissier cela fait beaucoup pour une convocation à un entretien", constate Patricia Plutino, la déléguée du personnel avant d'être reçue derrière la porte rose des bureaux du théâtre. La seconde, Zora Berriche est en arrêt maladie et s'est faite représenter par sa déléguée du personnel et un représentant du Synptac-CGT.

En descendant l'escalier une fois l'entretien achevé, Patricia Plutino sait enfin pour quel motif le conseil d'administration la convoquait : "Il considère que je n'ai pas donné suite à une proposition de réunion, le 24 juin dernier, explique la jeune femme. Sachant que je suis à mi-temps thérapeutique justement pour me protéger des conditions de travail un peu délétères au Merlan, j'ai découvert la veille le mail proposant cette réunion." En charge de la relation avec les publics, Patricia Plutino préfère ce jour-là privilégier les rendez-vous avec ses partenaires qu'une réunion interne. "Mon travail, c'est de faire en sorte que le théâtre soit plein, qu'il vive", justifie-t-elle. Mais, plus que la réunion, ce sont les circonstances de cette réunion qui ont amené un haussement de ton du président près de trois semaines plus tard.

L'adieu de la directrice

En effet, la réunion avait pour thème la solidarité avec le mouvement des intermittents alors même que se tenait, le lendemain, la soirée d'adieu de Nathalie Marteau. En effet, contrairement à son prédécesseur, Nathalie Marteau avait décidé de fêter son départ au théâtre. Une décision a fait grincer les dents en interne. Quelques jours auparavant, les salariés du théâtre ont décidé en assemblée générale extraordinaire d'être solidaires du combat des intermittents. A quelques heures de la fête, la direction prenait d'ailleurs la décision d'annuler la soirée. Pour sa part, Alain Vidal-Naquet se refuse à commenter le motif qui a valu une telle convocation à ses deux employées. "Jusqu'à présent, je déléguais mes pouvoirs à une directrice qui a quitté ses fonctions le 1er juillet dernier, explique-t-il à l'issue des deux entretiens. C'est donc à moi que revenait la charge de convoquer ses salariés. Si je ne parlerai pas du motif qui a valu cette convocation, elle est le résultat d'une période trouble ou troublée. C'est mon rôle de remettre de l'ordre dans le fonctionnement de l'équipe. Il y a une organisation avec un pouvoir hiérarchique, une direction qui définit les lignes directrices."

En effet, le bateau tangue sévère et depuis plusieurs mois. En décembre 2012, les associations du Grand Saint-Barthélémy avaient envoyé une lettre ouverte à la ministre de la culture Aurélie Filippetti pour annoncer leur retrait du quartier créatif "Jardins possibles", conjointement porté par le Merlan, et finalement annulé en bout de course. À la suite, la même Zora Berriche avait déjà été convoquée pour le même type d'entretien. Mais l'affaire ne s'est pas arrêtée là et a dépassé de loin sa seule personne. En avril 2013, la médecine fait un courrier à la direction pour les alerter des risques psycho-sociaux. En octobre de la même année, le ministère de la Culture descend faire une évaluation du théâtre. Alertée par les déléguées du personnel, l'inspection du travail fait à son tour une enquête.

La séquence se poursuit par une grande réunion à la Dirrecte où sont convoquées toutes les parties et administrations concernées. "Cela s'est conclu par la proposition d'intégrer le dispositif Arcole [appui aux relations collectives en entreprise, ndlr] censé nous aider à mettre en place un dialogue social dans l'entreprise. Le dispositif doit démarrer en septembre, explique Céline Huez, déléguée du personnel, Synpact-CGT. On ne peut pas dire que ces convocations aillent dans le bon sens."

La goutte et le vase

Le président Vidal-Naquet n'est pas forcément de cet avis. Pour lui, les entretiens ont valeur de reprise en main. Car si les mois passés ont plutôt été intranquilles, "l'affaire" de la soirée d'adieu "a été la goutte qui a fait déborder le vase". Il est désormais seul à éponger la voie d'eau. Outre Nathalie Marteau, le directeur adjoint, Jean-Marc Diebold, est également sur le départ. L'administrateur du théâtre devrait prendre la direction intérimaire, mais il faudra "six mois au moins" pour qu'une nouvelle direction soit nommée.

Or, à l'extérieur, cela pousse fort pour réinventer le lien au quartier. Parmi les soutiens aux deux convoquées, de nombreux membres du collectif des quartiers populaires faisaient entendre leurs voix : "Le Merlan est un outil, un formidable atout pour nous. C'est la seule scène nationale située au coeur des quartiers, explique Nadia Benjilali, membre du collectif et salariée du centre social l'Agora situé en contrebas. Or, pendant dix ans, l'ancienne direction n'a pas eu de volonté de travailler avec les acteurs de terrain. Nous voulons que soit instituée une nouvelle relation avec les habitants." La période est propice puisque le conseil d'administration est en pleine rédaction du cahier des charges qui doit ensuite être validé par les tutelles avant que soit lancée une offre d'emploi en bonne et due forme.

Si le président Vidal-Naquet se refuse à faire un lien entre les récents évènements et le départ "de son propre chef" de l'ancienne directrice, le ministère de la Culture devrait être attentif à toute solution d'apaisement dans un quartier qui va connaître le long chantier de la rocade L2 dans quelques mois. En tout cas, Alain Vidal-Naquet se donne beaucoup plus que les 48 heures légales pour réfléchir à d'éventuelles sanctions.

 

Ci-dessous, l'affaire résumée en deux minutes vidéo. 

 

 

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Commentaires

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  1. Marsmetropole Marsmetropole

    Quel article à charge!!
    Tout ce qui vient des ministères n’est pas intrinsèquement mauvais et toute initiative populaire, même des quartiers, n’est pas systématiquement synonyme d’altruisme et de solidarité.
    Ici les torts et le gâchis sont plus que partagés…

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  2. Marseillais indigné Marseillais indigné

    Une “reprise en main” doit toujours être progressive , c’est tout un art, surtout lorsque le contexte est compliqué !

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  3. Anonyme 12 Anonyme 12

    “et s’est faite représentée”… plutôt “et s’est fait représenter” même si le sujet est féminin… merci

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  4. Anonyme Anonyme

    Le théatre du merlan n’a jamais vraiment essayé de toucher les habitants des quartiers populaires.
    Simple alibi dans les “quartier nord”

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  5. leravidemilo leravidemilo

    Les administrateurs ont-ils pensé qu’ils pouvaient faire appel à Dominique Bluzet? Non je plaisante! Plus sérieusement,la réflexion pourrait utilement s’orienter vers l’hypothèse suivante: la goutte d’eau qui fait déborder le vase,n’est ce pas le refus du collectif associatif du grand saint barthélémy” de refuser le projet (made in capitale de la culture) “jardins créatifs”,l’éclairage trés lucide,également trés politique,qu’apportait ce refus,et ses motifs,sur la conception,le sens sociétal,et les objectifs réels de l’opératon “Capitale de la culture”. Peut-être certains,dans les “hautes” sphères ont-ils du mal à prendre en compte cet acte politique,de refus ,de contestation de l’ordre “culturel” établi,et de propositions,cette “irruption’ populaire et critique dans la cour de récréation des agents culturels “légitimes”,et en tous cas brèvetés; peut-être certains ont-ils du mal à “oublier/”pardonner”) ce geste culturel,plein de sens,n’ayant jamais compris qu’un quartier dit “sensible” était forcément ,et par voie de conséquence,plein de sens,souvent du bon. L’inconvénient de la formule toute faite de “reprise en main”,c’est qu’elle ne dit jamais de quoi elle parle,ce dont il s”agit de reprendre dans la main,et la main de qui! M le Président ferai sans doute bien d’être un peu plus précis à ce sujet,dans sa communication à minima,et peut-être dans sa réflexion. A l’inverse,il y a peu de chance que cette scène nationale ait un quelconque avenir prometteur dans ces quartiers,hors la prise en compte des attentes,volontés de participations et demandes de leurs populations,surtout dans le contexte social actuel et ses évolutions prévisibles. Ce d’autant que,des agents internes,notamment salariés semble également,à leur façon,être porteurs de ces aspirations,et pas étrangers aux problématiques du quartier.Si ce n’était pas le cas,il n’est pas établi que l’équipement se porterait mieux. Va falloir faire de l’éducation populaire,et pas seulement en parler,et trouver la direction idoine pour ce faire,ne pas tolérer la population mais s’appuyer au contraire sur le formidable atout de ses attentes. Bonnes chances.

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  6. Cathy Cathy

    Tout ceci était prévisible. Or la presse n’a jamais fait son travail d’enquête (à part Marsactu et le blog d’un spectateur, Le Tadorne, qui d’après ce que je sais, a payé très cher le fait de dénoncer le projet de l’ancienne directrice).
    Qu’en 2014, on puisse évoquer une “mise au pas” en dit long sur l’état de ce théâtre.

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  7. Lucabella Lucabella

    Contente d’apprendre qu’un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement est ” une manière comme une autre de sensibiliser les salariés…” ça c’est de la gestion du personnel ou je ne m’y connais pas!Grand président ce Vidal Naquet! Le Merlan, lieu emblématique d’une culture nombriliste et méprisante de ce qui devrait l’enrichir l’Education Populaire.

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  8. Anonyme Anonyme

    Dans la rubrique, un peu d’enquête permettrait a marsactu de faire de l’actu…Il faudrait interroger les salariés du merlan sur la situation sociale du theatre depuis 10 ans. Plus de 30 departs et licenciements! Soit un turn over exceptionnel…

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  9. Anonyme Anonyme

    Effrayant quand on sait que la même ex directrice qui a temps de pb avec son personnel et le travail avec le quartier vise a devenir la future directrice du festival de marseille…dont l’actuelle directrice a été condamnée pour harcèlement moral envers une de ses salariées…

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  10. Anonyme Anonyme

    Oui quel gachis. Un théâtre est là pour apporter une vision nouvelle, créatrice, belle, etonnante. Même s’il est un outil social, il ne peut pas être uniquement un outil d’intégration. Je regrette d’avoir vu sur la vidéo M. Copolla, que j’estime beaucoup par ailleurs, associé “maintenant” à ce dossier. Il aurait été souhaitable de voir plus de prises en compte avant d’en arriver là, à cette dégradation et destruction de la démarche culturelle. Dommage, oui dommage que le travail réalisé par l’équipe de direction en place, n’ai pas été soutenu. Dommage qu’il soit pris maintenant le risque de perdre toute une belle scène.

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  11. Anonyme Anonyme

    Bonjour, je ne connais toute l’histoire du management scabreux de ces dernières années au Merlan mais ça ne semble pas si net. En contre partie, C’est quand même incroyable d’entendre les propos de la vidéo… Comment un employé peut il répondre à la demande d’une réunion de son patron de la sorte. Je me vois bien faire la même chose auprès du miens. Hop là !! Désolé patron mais je ne peux pas venir j’ai du boulot autrement intéressant que la réunion que tu me propose ..la pilule passerais tout aussi mal. De plus si je ne me trompe pas, dans un autre ordre, le refus de venir protéger un employé en tant que délégué du personnel et de plus syndiqué met à jour une sacrée ambiance même au sein du personnel de ce théâtre..de loin ça donne l’impression d’avoir une entreprise gérée par 2 têtes: Direction et celle des employés .. ça n’a pas l’air de fonctionner !!!!

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