Le GPS des parents pour contourner la carte scolaire
"Je sais que ce sont des a priori, mais je ne veux pas que mon fils aille au collège Vieux Port". Laure*, à l'origine de ces paroles, adhère pourtant au principe de la carte scolaire : inscrire les enfants dans un établissement proche de son domicile afin de favoriser la mixité sociale. Habitant dans le quartier du Panier, son fils Lucas doit rentrer en 6ème au collège Vieux Port. Or, ce collège du centre-ville recrute dans les quartiers populaires et se traîne une mauvaise réputation.
Pour échapper à ce scénario, Laure a inscrit son fils guitariste au conservatoire afin de justifier une demande d'inscription en classe de musique au collège Longchamp ou Thiers. Cela en espérant qu'il soit pris, "sinon, je suis prête à déménager plutôt que de mentir sur la domiciliation". En revanche, elle n'envisage pas d'opter pour le privé. Comme beaucoup de parents, la mère de Lucas est tiraillée entre les valeurs plutôt républicaines auxquelles elle adhère et la peur de ne pas apporter le maximum de chance de réussite à son enfant. "Je m'en veux, je n'aime pas m'entendre parler comme ça. J'ai joué la carte de la mixité pour l'école primaire mais maintenant je flippe à l'idée que mon fils ait de mauvaises fréquentations au collège, qu'il parle mal… Je refuse qu'il soit le cobaye d'une mixité qui ne fonctionne pas dans cette ville."
Ghettoïsation des écoles
L'échec de la mixité sociale à Marseille, voilà où le bât blesse. C'est du moins l'avis de Morgane Turc, adjointe aux écoles dans les 1/7 arrondissements, qui rappelle que pour les écoles élémentaires, le découpage de la carte scolaire est une responsabilité des municipalités : "Mettre un pouvoir pareil entre les mains d'une mairie idéologique ne va servir qu'à renforcer la ghettoïsation des écoles. Les enfants de bourgeois iront dans les écoles de bourgeois et les pauvres chez les pauvres. En plus, cette année la Ville est responsable de la carte scolaire sur l'ensemble des arrondissements, elle va avoir des milliers de cas à traiter, alors qu'elle n'y arrivait déjà pas jusqu'à présent avec trois arrondissements." En effet, la Ville répartit les élèves en fonction de l'adresse des parents et des différents établissements scolaires situés à proximité. Mais cette première étape peut avoir un effet en cascade puisque l'adresse de l'école détermine ensuite le collège dans lequel les élèves poursuivront leur scolarité. Et, en ligne de mire, les parents visent un lycée. Certains ne reculent devant aucune stratégie pour réussir à inscrire leurs enfants au lycée Thiers. Classe Europe, langues rares, musique, voire même une domiciliation chez un complice, tout est bon pour que le fiston fasse partie des effectifs.
C'est donc au moment de l'entrée au collège que les choses se corsent. Georges* devait inscrire son fils en 6ème au collège Belle de Mai. "On m'a conseillé de ne pas l'y envoyer, y compris un professeur de là-bas. J'ai fait une demande de dérogation auprès de l'académie et j'ai envoyé deux demandes, l'une au collège Longchamp et l'autre au collège Chape. En même temps, mon fils voulait pratiquer une langue étrangère en plus, de l'allemand ou du russe. Or, ces options n'existent pas à la Belle de Mai. Nous avons essuyé un refus, du coup nous avons fait du forcing. Nous sommes allés voir le principal du collège Lonchamp avec le dossier scolaire du petit qui n'était pas du tout prioritaire et cela a marché. En plus, il pourra apprendre le russe."
Pôle d'excellence
Présidente académique Aix-Marseille-Alpes-Provence, Cécile Vigne "ne condamne pas" ces petits arrangements des parents car pour elle, cela cache un problème bien plus sérieux : "certains collèges et lycées font fuir, notamment à cause d'un problème d'orientation, même si cela s'amenuise dans la mesure où les proviseurs élargient leur offre pédagogique." De fait, sous le gouvernement précédent, de nombreux collèges ont dû développer un pôle d'excellence au niveau du sport, de la musique, d'une discipline artistique ou encore la création d'une classe bi-langue, à l'exemple du collège Vieux port, qui a ouvert une classe anglais-allemand en 6e.
Mais ce qui motive principalement les parents relève d'une réalité toute autre, résumée en quelques mots par Georges : "Je ne veux pas stigmatiser mais parfois des bagarres finissent à coup de couteau au collège Belle de Mai." Par là s'exprime la crainte de sacrifier l'enfant au nom du militantisme ou des convictions des parents. Parmi ceux qui tentent de déroger à la carte scolaire, nombreux sont ceux qui sont issus d'un milieu privilégié, même si cette dichotomie de classes ne se vérifie pas systématiquement.
Dans les milieux populaires, parmi les parents soucieux de la scolarité de leurs enfants, certains réclament également une dérogation. L'académie des Bouches-du-Rhône applique en ce moment des mesures décidées sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Dans la logique du principe de "méritocratie", le fait de bénéficier d'une bourse figure ainsi dans les critères d'obtention d'une dérogation à la carte, après celui du handicap ou la situation médicale de l'enfant. Le but, extraire les "meilleurs élèves" des lycées et collèges ghettos, du coup vidés de leurs éléments moteurs.
Ambiance délétère
La dérogation sur le critère de la bourse est actuellement ce qui fonctionne le plus, Marseille compris, où beaucoup tentent littéralement de fuir les collèges de secteur. Et parfois, lorsque les stratégies légales sont épuisées, certains n'hésitent à frauder avec, comme principale justification, non pas la qualité de l'équipe enseignante mais une ambiance réputée délétère entre les cours : rackets, violence ou incivilités en tout genre. Une inquiétude suffisamment ancrée dans les esprits pour effrayer les parents.
Leïla n'a d'ailleurs pas hésité à frauder et à recourir à une fausse domiciliation pour envoyer sa fille au collège Lonchamp plutôt qu'au collège Edgard Quinet situé à deux pas de son domicile. "C'était ça ou je la descolarisais. Je n'ai pas les moyens de l'envoyer dans le privé. La réputation du collège du quartier, c'est que c'est la zone et les résultats sont bof. A Longchamp ma fille peut travailler, ils sont 24 par classe." Leïla ne s'encombre pas de scrupules. "Je veux donner toutes les chances de réussite à mon enfant. Dans le quartier, on me demande ce que ma fille fiche à Lonchamp. Je réponds que je suis peut-être un peu moins con qu'eux." Lorsqu'on lui rappelle que le programme scolaire est le même partout, Leïla soupire : "bien sûr, mais à quel rythme ? J'ai peur que les professeurs n'arrivent pas à le boucler".
Au delà de ces craintes, toutes ces tentatives pour échapper à la carte scolaire remettent en question les ambitions même de la carte scolaire. La mixité sociale peut-elle réellement se décréter alors que l'école n'est, finalement, que le reflet de la société ? A l'école élémentaire des Accoules, par exemple, dans le quartier du Panier, cette mixité sociale semble désormais fonctionner dans la mesure où le quartier présente déjà un brassage culturel et social. Mais, juste à côté de l'école publique, une école privée reçoit quasiment autant d'élèves du quartier. Une façon définitive d'échapper à la carte scolaire.
*Tous les prénoms ont été changés
Commentaires
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La “carte scolaire” ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Ce que les parents tentent de plus en plus souvent de contourner, ce n’est pas la carte scolaire, ce sont les conséquences, sur le terrain, d’une politique comptable qui a détruit l’école : des profs de plus en plus mal payés et pas toujours suffisamment formés, une motivation en baisse (http://www.lemonde.fr/ecole-primaire-et-secondaire/article/2013/01/25/enseignants-le-defi-du-recrutement-est-loin-d-etre-gagne_1822552_1473688.html) face à des enfants de plus en plus perdus et arrogants, des méthodes pédagogiques discutables et des programmes aberrants, la suppression de dispositifs d’aide aux élèves en difficulté, etc.
Certes, “le programme scolaire est le même partout”, mais l’ambiance dans laquelle il est appliqué, elle, n’est pas la même partout.
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Des enfants de plus en plus arrogants? C est un jugement de valeur mais etaye par quel critère?
Une politique comptable qui rendrait l école dans l état ou vous la décrivez peut être mais croyez vous qu il n y a pas d autres raisons?
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En votre qualité de journaliste vous devriez savoir – c’est la moindre des choses – que Morgane Turc est 8e adjointe au maire (PS) du 1er secteur (1er et 7e) et non adjointe dans le 8eme ( maire UMP). Dont acte!
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L’école publique devient une érésie ! délinquance, insécurité, violence, racket, harcèlement c’ets le ghetto… le défaut d’autorité des professeurs et personnels encadrant depuis 30 ans a fini par porter ces fruits: c’est le ghetto ! Si on ajoute à cela qu’il faut aller chercher les enfants à 16h30, voir 15h30 avec la nouvelles réforme, et les grèves multiples, il est impossible de travailler !! mes enfants iront dans le privé et dès la maternelle !!! l’école est le service public le plus défaillant, c’est inacceptable !!
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@ largo : invoquer comme vous le faites “le défaut d’autorité des professeurs” n’a aucun sens.
Ni vous ni moi ne tiendrions plus d’une heure dans une classe, vu le comportement que prennent beaucoup d’enfants actuellement.
Vous devriez plutôt parler du défaut d’autorité de trop de parents sur leurs enfants.
Cela dit,la suppression de dizaines de milliers de postes de professeurs par le précédent président a porté un coup terrible au système éducatif, car pour réduire le phénomène des bandes qui pourrit de plus en plus d’établissements, il ne faut pas des effectifs d’élèves trop lourds par rapport au nombre de professeurs.
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On parle hypocritement de mixité sociale mais il faudrait aussi peut être intégrer l’aspect mixité “raciale” même si ce terme est déplaisant ou origine des enfants plutot en des termes politiquement corrects.
Son absence totale dans de nombreux collèges peut influer les décisions des parents,même si les bobos ne le reconnaitront jamais et continueront à parler de mixité sociale…
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La carte scolaire est présente pour permettre de mieux canaliser les enfants entre les établissements. Il faut évidement éviter de déshabiller Pierre pour Paul exemple: Collège Roy d’Espagne vide et Marseilleveyre qui arrive à l’implosion. Je pense que nous devrions réfléchir sur l’école de demain avec de nouvelles méthodes pédagogique complètement adaptées au public. Dans les établissements dit “sensibles”, bien sûr moins d’élèves en classe une vingtaine pas plus, mais surtout des équipes pédagogiques volontaires avec beaucoup d’expérience. Les enfants en rupture ont besoin d’être cadré, mais beaucoup plus que cela ils ont besoin que l’on s’occupe d’eux. Qu’un adulte s’occupe d’eux de plus prés, il ne faut pas oublier, tout nos jeunes ont un ou plusieurs talents, nous devons juste leur donner confiance. Alors oui aux changements à l’école et aux essais pédagogique pour une école ambitieuse.
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