Le combat des salariés du Merlan pour rester dans le giron de Carrefour commence au tribunal
Les salariés de Carrefour le Merlan avaient un premier rendez-vous au tribunal ce lundi. Le groupe Carrefour souhaite que cet hypermarché soit repris en location gérance. Mais conteste que les salariés puissent avoir recours à un expert extérieur pour les accompagner.
Les salariés de Carrefour devant le tribunal des référés. (Photo : B.G.)
Au moment où le tribunal s’apprête à examiner l’affaire Carrefour le Merlan, les vestes bleues siglées au logo du magasin approchent de la barre. De l’autre côté, les robes noires s’alignent, dossiers en main. Dans cette petite salle des référés, près de 73 dossiers sont examinés en urgence, ce lundi après-midi. “Je n’ai pas pris de sac de couchage, je n’ai pas prévu de dormir ici“, s’agace Julie Pico, la présidente, entre deux affaires.
Ici, on examine des affaires de dommages corporels, des contentieux entre syndics et copropriétaires, des disputes de voisinage. Le dossier du Carrefour Le Merlan et ses 327 salariés inquiets du passage prochain en location gérance font figure d’éléphant social dans le délicat magasin de porcelaine de la justice des référés. Le grand groupe de distribution a assigné le comité social et économique (CSE) du magasin parce que ses élus demandaient le soutien d’un expert afin de les épauler dans ce délicat virage.
La peur d’un déclassement
Partout en France, Carrefour a décidé de sortir du groupe les hypermarchés dont le chiffre d’affaires est en berne pour en confier la gestion à des directions autonomes. Celles-ci continuent de se fournir en produits auprès de la maison mère, toujours propriétaire des locaux pour lesquels elle perçoit un loyer. Les salariés, en revanche, craignent que pour eux, la donne ne soit plus la même. Comme Marsactu a pu le raconter.
Ce premier rendez-vous devant la justice fait partie du processus en cours : Carrefour attaque systématiquement les résolutions votées en comité social et économique qui visent à mandater un expert auprès des salariés dans les dossiers similaires.
Employés de la société depuis plusieurs décennies, ils se sont parfois mariés dans l’entreprise et vivent dans les arrondissements que cet hyper dessert. Ils se jettent des coups d’œil, un peu empruntés, partent au compte-goutte, regardent leur téléphone alors que les avocats entament les passes d’armes. Le conseil du groupe, Benoît Dupessay, arrive de Paris. Il est accompagné par le directeur du magasin et une communicante. Il a pour lui, une solide jurisprudence, basée notamment sur plusieurs arrêts de la Cour de cassation, qui conclut en faveur de son client. En défense du CSE, sa consœur, Muriel Fassié espère, elle, que le tribunal examine l’affaire sur le fond.
Définir un “projet important”
Au centre des débats, la question de la location gérance. Depuis 2018, le groupe a choisi d’étendre à ses hypermarchés ce mode de gestion externalisée qui est déjà la norme pour les magasins de plus petites tailles. Dans le viseur, “les magasins rebond“, comme le formule l’avocat, c’est-à-dire “les magasins dont le chiffre d’affaires stagne ou diminue malgré des investissements et pour lesquels le système a été identifié avec succès“. Ils sont déjà 60 sur 190 à avoir basculé dans ce mode de gestion.
Je ne conteste pas qu’il puisse y avoir une baisse des effectifs, mais on est sur une tendance baissière dans l’ensemble du secteur.
Benoît Dupessay, avocat de Carrefour
La question que doit trancher le tribunal est de savoir si le passage en location gérance est “un projet important“, une notion impalpable en droit, mais qui va justifier le recours à un cabinet-conseil pour les élus du personnel. Par “projet important“, on entend un changement qui aurait un effet direct sur les effectifs, les conditions de travail ou le niveau de rémunération.
Sur chacun de ces points, l’avocat de Carrefour écarte tout risque. La location gérance n’est pas la grosse affaire qu’avance la défense. Depuis juin 2018, Carrefour a mis en place une procédure censée garantir un processus sans casse sociale. “Je ne conteste pas qu’il puisse y avoir une baisse des effectifs, mais on est sur une tendance baissière dans l’ensemble du secteur”, explique-t-il.
Quant à la perte des acquis sociaux, là encore, il assure que la direction du groupe a mis en place les boucliers adéquats : si les contrats de travail sont transférés sans être modifiés, le nouveau gérant doit maintenir pendant 15 mois les avantages acquis. Un délai qui doit lui permettre de négocier un accord de substitution.
327 salariés dans l’attente
En face, Muriel Fassié met en avant “les 327 salariés du Carrefour le Merlan qui, pour certains, y travaillent depuis plusieurs décennies“. “Ils vivent souvent dans le 14e, là où est implanté le magasin. Et chacun sait que ce n’est pas l’arrondissement le plus favorisé de Marseille”, plaide-t-elle. Sa plaidoirie vise à démontrer la nécessité pour ces femmes et ces hommes d’être accompagnés dans le délai d’un mois durant lequel les représentants syndicaux sont consultés. Elle voit dans le recours déposé par le groupe “une politique belliqueuse qui remet en cause l’expertise demandée par le CSE”.
En réalité, la seule marge de manœuvre dont dispose un gérant, c’est la masse salariale.
Muriel Fassé, avocate des salariés
L’avocate espère donc voir la situation du Carrefour Le Merlan examiné “in concreto” par le tribunal, sur tous les points qui constituent à ses yeux “un projet important” qui va substantiellement modifier les conditions de travail des salariés. “En préparation du passage en location gérance, il y a déjà eu une baisse des effectifs de 7%”, détaille-t-elle. Le nombre de CDI baisse et les contrats précaires sont multipliés par trois avec un recours aux contrats d’apprentissage et contrat pro que l’État finance grassement“.
En appui de sa démonstration, elle cite le cas du Carrefour Mayol à Toulon, passé en location gérance en 2023, et dont le patron est pressenti pour reprendre celui du Merlan. “Les hôtesses de caisse y faisaient 10 heures par jour, peut-on lire dans un procès-verbal de CSE que j’ai versé à la procédure“. Son confrère de la partie adverse secoue la tête. La plaidoirie se poursuit tout de même et convoque des hypermarchés des quatre coins de France où la location gérance a été synonyme de dégringolade sociale : Épernay, Châlon-sur-Saône, Toulon…
“En réalité, la seule marge de manœuvre dont dispose un gérant, c’est la masse salariale“, affirme Muriel Fassé. Dans un groupe comme Carrefour, la participation à l’intéressement concerne l’intégralité du groupe. Cela peut représenter 2100 euros net par an. Que se passera-t-il quand ils seront salariés de la SARL de Nicolas Villon [le patron de Carrefour Mayol, NDLR] ?” En attendant d’avoir une réponse à cette question, le jugement est mis en délibéré jusqu’au 20 mars.
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