L'"aveuglement" de Guérini et Gaudin face au régime de Ben Ali

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le 24 Jan 2011
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L'"aveuglement" de Guérini et Gaudin face au régime de Ben Ali
L'"aveuglement" de Guérini et Gaudin face au régime de Ben Ali

L'"aveuglement" de Guérini et Gaudin face au régime de Ben Ali

Marseille-Tunis. Seulement 1000 kilomètres par dessus la Méditerranée, 40 000 Tunisiens d’origine dans les Bouches-du-Rhône : les liens sont forts entre les deux rives. Mais, alors que les touristes, médias et surtout politiques français ne peuvent plus faire semblant de ne pas savoir que le pays était sous la coupe d’un régime autoritaire, quelles ont été les relations tissées avec lui par nos collectivités locales ? Et quelle rôle peut désormais avoir la diaspora tunisienne à Marseille dans la transition démocratique ? Vincent Geisser, politologue et sociologue à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Aix-Marseille I) fait le tour de la question sans complaisance.

Quelle était l’attitude des politiques marseillais vis-à-vis du régime de Ben Ali ?

Les collectivités locales, que ce soit la région, le conseil général des Bouches-du-Rhône ou la mairie de Marseille, collaboraient très étroitement avec la Tunisie. Et en particulier avec la Tunisie officielle, puisqu’un certain nombre de personnalités pourtant connues pour être des faucons du régime étaient reçues avec honneur dans la région. Quelques semaines seulement avant la révolution, Jean-Claude Gaudin a accueilli Abdallah Kallel, le président de la chambre des conseillers, qui est l’équivalent tunisien du Sénat. Celui-ci était déjà poursuivi pour faits de tortures et vient d’ailleurs d’être mis en résidence surveillée par le nouveau gouvernement… Le président du conseil général Jean-Noël Guérini avait lui insisté pour que le parti quasi-unique de Ben Ali ne soit pas exclu de l’Internationale socialiste. Il y avait en effet un débat depuis plusieurs années au sein du parti socialiste français avec des gens comme Laurent Fabius ou Jack Lang, qui avaient dit très clairement : ce parti ne devait pas figurer dans l’Internationale, c’est une honte pour notre organisation. Dans la région Paca, on a très peu soutenu l’opposition tunisienne, les associations indépendantes, on a plutôt encouragé par des politiques de subventions, un certain nombre d’associations et d’organisations proches du consulat de Tunisie et ce qu’on appelle les réseaux « amicalistes » dépendants du parti.

Comment expliquez-vous cela ?

Il y a eu un aveuglement idéologique des acteurs politiques locaux, pour tout un tas de raisons. Parce que la question de l’opposition, de la démocratie ne rentrait pas en compte dans les relations que les institutions voulaient développer avec la Tunisie. Que pour elles Ben Ali c’était la Tunisie, le RCD c’était la Tunisie. Et donc cela leur apparaissait tout à fait normal de dialoguer directement avec les membres du régime, sans prendre en considération plus la société civile. Cela montre que les politiques internationales des collectivités locales doivent faire plus d’efforts pour s’ouvrir à la société civile, aller chercher des acteurs qui ne sont pas liés directement aux régimes. De manière générale, la diplomatie française est toujours fondée sur un rapport d’Etat à Etat, contrairement à d’autres diplomaties occidentales. Cette doctrine se retrouve à l’échelle des collectivités locales.

Cela risque-t-il de se retourner contre elles ?

C’est sûr que la France, par sa politique aveugle a perdu des plumes au profit d’autres pays comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, qui ont été beaucoup plus pragmatiques. Elle a reculé dans le cœur et l’esprit des Tunisiens. Mais les liens sont très forts : 20 000 Français en Tunisie, plusieurs centaines de milliers de franco-tunisiens. Ces liens ne disparaîtront pas, bien au contraire : on voit le nombre de Français d’origine tunisienne qui ont pris des billets d’avion pour rester quelques jours en Tunisie et revenir. Tout le monde voulait aller goûter, sentir cette révolution.

Les Tunisiens de Marseille qui manifestent désormais régulièrement devant le consulat…

Je crois que la diaspora tunisienne s’est réveillée. Ce serait faux de dire qu’elle était pro-Ben Ali. Certains l’ont été au début, pour faire simple dans les années 87 à 91. Après, avec la répression, la fermeture du système politique, la corruption, elle a commencé à glisser dans un discours d’opposition ou du moins de défection vis à vis du régime. Mais elle ne l’a jamais exprimé publiquement, car elle vivait dans la peur. Il a fallu attendre les derniers jours avant la chute de Ben Ali pour que les Tunisiens manifestent et encore pour certains avec des masques. Aujourd’hui, c’est comme si ils s’étaient tout à coup libérés de ce syndrome d’étouffement, de ces années à ne pas pouvoir parler de Ben Ali. C’est véritablement une libération psychologique et mentale. Il y avait l’idée que la police tunisienne était omniprésente à Marseille, qu’on pouvait les surveiller, et que si on les voyait dans les manifestations on allait faire des représailles sur leurs familles. Comme les services tunisiens, et notamment le consulat de Tunisie à Marseille qui avait de plus en plus un rôle sécuritaire ces dernières années, ne pouvaient pas ficher tout le monde, ils faisaient des exemples. Vous avez un certain nombre de personnalités franco-tunisiennes qui ont été arrêtées et condamnées à de la prison sans preuve.

Et maintenant, quel peut-être le rôle de la diaspora à Marseille ?

Les Tunisiens de France ne se substitueront jamais aux Tunisiens de l’intérieur. La révolution est venue de l’intérieur, à double titre puisque les premiers acteurs étaient les régions très reculées à des centaines de kilomètres de la capitale, oubliées, sinistrées. Mais je pense que le rôle de la diaspora sera important. Actuellement je suis beaucoup consulté par des Français d’origine tunisienne qui me demandent de faire un petit édito et je leur dit que ce n’est pas à moi de le faire c’est à eux. Ils seront en appui à la consolidation, par leur vigilance démocratique, par leurs communiqués, les petits journaux qui vont fleurir. Ils ont envie que cette démocratie émerge et feront le lien entre leur société, qui est la société française, et leur société d’origine. Ils ont déjà joué un rôle très important via Internet, Facebook, Twitter. Des informations qui n’étaient plus diffusées en Tunisie étaient passées en France et réacheminées grâce à eux. Même si à Marseille le combat autour des droits de l’homme a plutôt été porté par des non-Tunisiens, avec la figure de Philippe Dieudonné et la Ligue des Droits de l’Homme, qui est l’organisation qui a le plus appuyé l’opposition depuis 5 ans.

Un lien Jean-Claude Gaudin laisse la révolution du jasmin à la porte du Mémorial de la Marseillaise, sur Marsactu

Un lien Tunisie : un désir de démocratie, le beau billet de Jean-Noël Guérini sur son blog. Le 19 janvier…

Un lien Auparavant il parlait d’un système « humain, solidaire et durable »

Un lien Dans la série « En direct des labos provençaux » : l’histoire de la traite négrière à Marseille et l’opération marketing des bracelets Power Balance

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Commentaires

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  1. gerard gerard

    Moi je trouve cet article, alimenté de l’interview d’un expert bien choisi est, une fois de plus, à charge pour vos deux cibles quasi uniques : Gaudin et Guérini.

    Pourtant, il aurait été autrement plus intéressant d’avoir l’avis de Renaud Muselier, ancien secrétaire d’État aux affaire étrangères, actuel président du conseil culturel de l’Union pour la Méditerranée qui est resté absolument aphone alors qu’il est en charge de ces questions au niveau international et encore plus précisément dans la zone concernée ! Incroyable !!! Et là… rien dans vos colonnes ! Normal ? Juste ? Équilibré ? Pour une fois que Marseille avait la personne idoine sous la main !

    Au moins le Président Sarkozy s’est fendu d’excuses publiques aujourd’hui, lors de sa conférence de presse. Quid de notre Muso local ? C’est pas le tout d’être aidé abusivement par l’Élysée, il faut aussi assumer ses mots et, mieux encore, ses silences !

    On pourrait dérouler le fil sur la quasi totalité des élus UMP locaux dont M. Teissier, qui, pourtant, préside à l’avenir de la zone d’investissement Euroméditerranée à Marseille !

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  2. regis regis

    C’est vrai ça, il en dit quoi Renaud Muselier, président du conseil culturel de l’Union pour la Méditerranée ?

    Rien sur son site, rien dans les médias. Remarque, la presse libre (La Provence et Marsactu) se gardent bien de lui poser la question…

    Muselier n’aurait-il pas fait un déplacement en Tunisie quand il était secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères ?

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  3. gerard gerard

    Que je suis bête ! Je n’avais pas vu que, nonobstant le silence de Muso, Guy Teissier avait imaginé une nouvelle loi aujourd’hui : interdire les drapeaux étrangers ! http://provence-alpes.france3.fr/info/marseille-guy-teissier-et-les-drapeaux-etrangers-67027227.html

    Est-ce vraiment une priorité ?

    Vraiment, les élus UMP des Bouches-du-Rhône, sont merveilleux, à force de courir derrière le FN, ils vont finir par s’épuiser sans ne rien voir, aveugles en somme. Après l’anti-Pacs, l’anti IVG, l’anti vote aux élections locales par des résidents européens (payant leurs impôts localement), l’anti droit d’adoption et de mariage par les gays, l’anti toute avancée sociale… On tremble encore de leurs futures propositions… Il y a comme une surenchère avec le Maire de Nice. No limits?

    Pendant ce temps, tout cet aréopage s’enrichit a vu d’œil, on nage dans le bonheur…

    http://museliernostra.wordpress.com/

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  4. Marius Marius

    Il est normal que cet article soit centré sur MM. Gaudin et Guérini, puisque le premier est le maire de la 2e ville de France, et le deuxième président du département où se trouve cette ville.
    Et ce sont ces deux politiciens qui ont régi les contacts de Marseille et des B. du Rh. avec la Tunisie.

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  5. gerard gerard

    Comment surtitrait Marsactu à 17:29 aujourd’hui ? “Politique : si proche si loin”, on ne pouvait pas mieux dire ! (je ne voudrais pas être cruel en leur indiquant que JN Guérini a été l’un des premiers dans le Sud a s’être exprimé dans un communiqué de presse, pourtant toujours en ligne dans la zone presse du cg13.fr, pour un webmedia ça fait tâche…Pas de veille donc… intitulé : “Tunisie : Pour un changement démocratique” publié le 17/01/2011…”
    A moins que… Ils ne l’auraient pas vu… Mince !

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  6. gerard gerard

    Quant à votre lien « humain, solidaire et durable », il est est tiré d’un article sur le développement économique méditerranéen au centre d’une rencontre économique où JN Guérini, seul à le faire, 2 ans avant la révolution du Jasmin, vendait nos talents. N’importe quel homme politique sensé aurait tenu ces propos, surtout s’il était responsable. Pire encore, s’il ne l’avait pas fait, vous le lui aurez reproché…Nos emplois marseillais étaient à la clef !
    Il mouillait sa chemise pour défendre nos emplois !
    Vos sarcasmes ne serviront pas a créer des emplois, je le crains ! Lui, l’a fait, concrètement

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  7. Laurent Laurent

    Les propos de M. Geisser sont intéressants. Ce qui me plaît moins, c’est le coup de pied de l’âne que vous y ajoutez en titrant sur un propos particulier, que vous vous permettez en plus de modifier.

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  8. druide67 druide67

    Etant donné qu’ils ont la même vision de la politique qu’un Ben Ali, comment ne pourraient-ils pas être aveugles.
    La politique locale a besoin d’un sacré coup de balai mais apparemment, vu la réaction des instances parisiennes, c’est pas pour demain, celà confirme malheureusement qu’ils sont tous pourris.
    Inspirons nous donc de la Tunisie et de l’Egypte pour régler le problème.

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