L’Après M recrute et mute en fast food d’insertion

Actualité
le 11 Oct 2022
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L'ancien McDo de Saint-Barthélémy écrit une nouvelle page de son histoire. Une vingtaine d'équivalents temps-pleins sont actuellement recrutés. Des personnes le plus souvent éloignées de l'emploi qui vont œuvrer à la réouverture d'un restaurant à vocation sociale à compter de la mi-novembre.

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L'ancien fast food va rouvrir et procède à des recrutements. (Photo C.By.)

L'ancien fast food va rouvrir et procède à des recrutements. (Photo C.By.)

Tout sourire, une demi-douzaine d’Américains – membres d’un collectif voué à la culture culinaire et l’innovation sociale – fait le tour de l’ancien restaurant McDonald’s de Saint-Barthélémy (14e). Manifestement médusés par cette bande de Marseillais qui a fait fléchir l’enseigne mondialement implantée et l’ex franchisé local. Et proprement épatés par la mutation enclenchée sur place. Après des mois de lutte (le restaurant a été placé en liquidation judiciaire en 2019 après deux ans de mouvement social), être devenu plateforme solidaire au moment du premier confinement de mars 2020, puis avoir vu son site et matériel rachetés par la Ville de Marseille en juillet 2021, voilà le resto, posé sur le chemin de Sainte-Marthe qui écrit une nouvelle page de son histoire. D’ici à la mi-novembre, le fast food va redevenir un restaurant d’insertion. On y mangera autant que l’on s’y formera.

“Nous relançons la machine !”, s’enthousiasme Fathi Bouaroua, bénévole, cheville ouvrière du projet depuis plusieurs années. Il promet un fast food “ambitieux” au niveau écologique, social et alimentaire. Le militant évoque des partenariats avec des producteurs locaux et, dans un futur proche, des burgers imaginés par de grands chefs, Gérald Passedat en tête. Dans la salle bariolée, où trônent encore les tables et banquettes d’origine, des tas de cartons contiennent les emballages des hamburgers et frites bientôt servis là. Les couleurs claquent et portent le logo de l’Après M. Le 5 septembre dernier, la structure est devenue une entreprise commerciale avec la création d’une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). “L’après M c’est le lieu où se réalisent les utopies !, sourit Kamel Guémari figure de la lutte des McDo qui préside la SCIC. Cet outil de travail va redémarrer et donner du sens à nos actions.”

Chômage endémique

La SCIC a en outre reçu un agrément pour recruter 20 équivalents temps-plein, en emploi d’insertion. D’anciens salariés, des personnes éloignées de l’emploi, d’ex-détenus. “Des gens cabossés à qui on propose un ascenseur social”, résume Kamel Guémari. Les embauches démarrent ces jours-ci. Suivront ensuite des sessions de formation avec la Ligue de l’enseignement. Il s’agit de faire revenir l’emploi dans cette partie du 14e, pose Tony, un des membres fondateurs de l’Après M. “McDo a employé jusqu’à 77 personnes ici. C’était le deuxième employeur du coin, après Carrefour, rappelle-t-il. Le chômage est endémique ici et on fait face à une délinquance atroce. On ne cesse de pointer du doigt les jeunes des cités. Avec l’Après M, on veut faire l’inverse et leur tendre la main.”

Kaïs (*), 24 ans, est incarcéré pour trois ans. Soutenu par l’association de l’Œuvre des prisons, centrée sur la prévention de la récidive et à l’accompagnement des détenus vers le logement et l’emploi, le jeune homme bénéficie d’une promesse d’embauche à l’Après M. Si sa remise de peine est entérinée, le garçon libérable en mars pourrait commencer à y travailler dès la fin novembre. “Cela va lui remettre le pied à l’étrier. Mais le mettre à l’épreuve aussi. Car il va tester sa robustesse au travail, à respecter des horaires, à tenir toute une journée, à entendre des ordres… Mais aussi à dire non aux sollicitations de gars du quartier qui viendraient le solliciter”, observe Caroline Cellier, qui accompagne Kaïs au sein de l’Œuvre des prisons. Il fera 24 heures par semaine, payé 900 euros par mois.

Ancienne future salariée

La travailleuse sociale ne masque pas, non plus, la crainte de voir le jeune homme, “au parcours de vie chaotique”, baigner à nouveau dans “un environnement dans lequel il sera forcément plus vulnérable”. La travailleuse sociale compte sur l’équipe pour “bien l’entourer”. La responsabilité, elle ne l’ignore pas, est lourde.

Les chaine de production ont été nettoyées et révisées. (Photo C.By.)

“Revenir travailler ici, c’est notre revanche!”

Coralie, future manageuse

Coralie passe un doigt sur un toaster. Briquée à fond, la machine brille. Sur l’un de ses grille-pain géants, un petit post-it jaune annonce “OK”. Sous la supervision de Coralie, les lignes de production du resto ont été nettoyées et vérifiées. Tout fonctionne. Chevelure brune lissée en queue de cheval et pull beige, la trentenaire se présente comme “une ancienne future salariée”. À 32 ans, la jeune femme qui avait travaillé pour un autre McDonald’s marseillais de 2010 à 2019, sera l’une des cinq manageurs du lieu. À elle d’encadrer ces futurs salariés qui, comme Kaïs, sont le plus souvent éloignés de l’emploi. “Des personnes en difficulté, on en a toujours eu. La porte de l’Après M a toujours été ouverte pour eux. Et ici, il y a toujours eu des gens pour les accueillir “, insiste-t-elle. Définissant en peu de mots ce qui fait l’esprit du lieu.

Repère dans le quartier

“Revenir travailler ici, c’est notre revanche !”, enchaîne Coralie. Le fort caractère de la jeune femme qui transparaît derrière son sourire s’est aussi forgé au gré des mois de lutte contre l’ancien franchisé. Elle était alors déléguée syndicale. Dans un coin de la salle du restaurant, le M jaune iconique est recouvert d’un drap. La multinationale a peu goûté son utilisation par les salariés lors de leur occupation du site puis sa transformation en plateforme sociale.

Qu’importe, depuis le rond-point tout proche, le bâtiment désormais repeint de rose et de bleu est largement identifié par la population des environs. “Moi, j’ai grandi dans les McDo, reprend Coralie, native de Consolat (15e). C’est un repère pour les gens du quartier. Là où on fête les anniversaires, où les mamans viennent prendre l’air. En rouvrant le fast food et en menant nos actions sociales, on leur rend ce qu’ils nous ont donné. Ils ont été nos premiers soutiens.”

Sur l’année, 4600 familles ont eu recours aux distributions alimentaires de la plateforme solidaire. (Photo C.By.)

Sur le parking, Juliette charge sa petite voiture grise des colis alimentaires qu’elle va aller distribuer dans une des tournées baptisées “Uber solidaire”. Une cinquantaine de bénéficiaires – personnes âgées, malades ou handicapées, dans l’incapacité de se déplacer – sont ainsi livrées chaque semaine. Mais le gros des distributions alimentaires se fait sur place. Quelque 4600 familles, pour beaucoup issues des quartiers Nord, utilisent ou ont utilisé l’Après M en un an, selon Fathi Bouaroua.

400 à 600 personnes chaque lundi

“De 400 à 600 personnes viennent aux distributions chaque lundi. Leur nombre reste toujours important, c’est lié à la période d’augmentation des prix”, évalue le militant associatif. Raison pour laquelle à ses yeux, comme à ceux des 120 bénévoles de l’Après M, l’ouverture prochaine du restaurant va permettre également de consolider les actions de la plateforme solidaire. Le restaurant d’insertion, Fathi Bouaroua le voit d’ailleurs comme “une machine à fabriquer des excédents financiers pour les investir dans l’entraide”. 85% de ce qui sera dégagé sera “obligatoirement” réinvesti, dans le VIE – le village initiatives d’entraide – qui germe au milieu de conteneurs orange sur les 5000 m² entourant le fast food.

Ce restaurant sera une machine à fabriquer des excédents financiers pour les investir dans l’entraide.”

Fathi Bouaroua, militant associatif

Pour l’heure, l’Après M, qui ne bénéficie d’aucune subvention publique, s’acquitte d’un loyer modéré de 1200 euros mensuels auprès de la Ville de Marseille. Le bail court jusqu’à la fin de l’année. “Nous avons une oreille favorable de la mairie et nous allons faire évoluer ce bail précaire en bail commercial”, précise Fathi Bouaroua. “La rédaction de ce bail classique est en cours”, confirme Laurent Lhardit, adjoint au maire chargé du dynamisme économique qui voit d’un bon œil l’initiative déployer les fondamentaux de l’économie sociale et solidaire. “L’objectif, pour nous, c’est d’aider à sécuriser une opération qui avance sur deux pieds : un projet d’insertion générateur d’activité économique d’une part et un service social indispensable dans cette partie de la ville de l’autre”, synthétise l’élu.

Dans le restaurant qui prépare sa réouverture, Tony s’émerveille que l’aventure entre dans cette nouvelle étape. “On se lance dans une entreprise qui est peut-être plus grosse que nous. C’est un pari fou, mais il n’y a pas de raison que ça ne marche pas”, assure-t-il. Le quadra, ancien salarié, présent dès les premiers jours de la lutte veut voir encore plus loin. Il rêve que l’Après M – via sa société citoyenne immobilière, La Part du peuple, créée le 15 mai 2021 qui fédère 3700 personnes – puisse acquérir le bâtiment et les terrains environnants. “L’idée, c’est de ne pas être l’objet du jeu politique et de ne dépendre de personne”, appuie un autre bénévole. L’autonomie passe, d’abord, par la réussite de l’ouverture du restaurant dans les semaines à venir. Puis, sa pérennisation dans le temps. Les touristes américains l’ont bien compris. Ils repartent en agitant la main et en lâchant à la ronde des “good luck” pleins d’empathie.

(*) Le prénom a été modifié

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Commentaires

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  1. Tyresias Tyresias

    Formidable ! Restent des difficultés d’organisation du crowd funding : on est resté longtemps avec des actions La part du peuple, sans nouvelles ; plus récemment j’ai abondé à une collecte de fonds, tout a fonctionné au plan bancaire de mon côté mais je n’ai jamais été prélevé !

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  2. Haçaira Haçaira

    Fast food, cartons d’emballage, burger, dommage on aurait pu rêver autrement

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  3. Danièle Jeammet Danièle Jeammet

    Donc on ne sait rien sur la nature des emplois ( CDDI ? ) le niveau de rémunération ( SMIC donc totalement exonéré de cotisations sociales ? ) la durée des emplois ? Donc Marsactu ne s’interroge pas sur cet aspect social fondamental .;

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  4. polipola polipola

    Oh ils vont sans doute être exploités comme le reste des travailleurs !
    (ou on peut juste imaginer que tout n’est pas fixé encore mais que ça avance, petit à petit)

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