Lahouari abattu par un CRS : l’écrit du frère
Le 18 octobre 1980, Lahouari Ben Mohamed, âgé de 17 ans, est assassiné par un CRS à la fin d'un banal contrôle routier. 35 ans plus tard, son petit frère Hassan publie "La gâchette facile", une enquête témoignage sur les faits.
Hassan Ben Mohamed livre une enquête sur la bavure policière dont son frère Lahouari a été victime, 35 ans plus tôt. © EC
Place Félix Baret, deux flics se rencontrent. Deux anciens collègues qui se tapent dans le dos, heureux de se croiser par hasard. Hassan Ben Mohamed, le plus jeune, 39 ans, interroge son aîné. “Tu sais pourquoi je suis revenu à Marseille ? J’ai écrit un livre, tu devines de quoi il peut s’agir ?” L’autre devine, instantanément. “Ah ça… Ça doit concerner ton frère”. Les deux hommes ont travaillé ensemble et n’en ont jamais parlé. A l’Évêché où Hassan Ben Mohamed a travaillé, dans la cité des Flamants, (14e), au cœur des foyers, la chape de plomb a fermé les bouches pendant des années.
Les faits si douloureux auxquels Hassan Ben Mohamed a consacré un livre-enquête se déroulent le 18 octobre 1980. Quatre jeunes sont arrêtés lors d’un contrôle routier. Un CRS armé participe au contrôle, fait sortir du véhicule le jeune Lahouari Ben Mohamed, 17 ans. L’un des témoins entend le CRS s’épancher : “Je ne sais pas si c’est le froid mais ce soir j’ai la gâchette facile”. Alors que les jeunes remontent dans le véhicule parfaitement en règle, le CRS arme son fusil, entre son canon dans l’habitacle, tire deux coups mortels dans le visage de Lahouari. Le CRS, d’abord inculpé pour homicide involontaire en 83, est finalement jugé pour homicide volontaire quatre ans plus tard, devant la cour d’assises. Malgré la gravité des faits, il est condamné à 10 mois de prison dont quatre avec sursis, avant d’être amnistié.
Refermer les portes
Âgé de quatre ans au moment des faits, Hassan Ben Mohamed a grandi avec cette histoire cachée, “et comme seul souvenir de mon frère une photo diffusée à travers les médias”. La mort tragique de Lahouari – ce crime plutôt qu’une simple bavure – est portée au rang de symbole lors de la Marche pour l’égalité. Mais cela n’allège pas le fardeau porté par ceux qui ont perdu un fils, un frère. Trente-cinq ans après les faits, Hassan Ben Mohamed publie La gâchette facile, un livre qui lui permet aujourd’hui de se libérer d’une étreinte étouffante. Celle de “cette rage, de toute cette noirceur qui était en moi”. La décision d’écrire a pourtant mis du temps à s’imposer. En 2010, quand le journaliste Joseph El Aouadi-Marando se présente à sa mère pour réaliser un documentaire (Ya Oulidi, le prix de la douleur) il est surpris de sa réponse positive. Contre toute attente, elle accepte de se livrer.
C’est le déclic pour Hassan Ben Mohamed qui se plonge à son tour dans sa propre enquête. Il obtient une dérogation pour accéder aux archives, consulte les rapports d’autopsie, interroge des témoins, des protagonistes de l’époque. Il y consacre quatre années, met en péril sa vie privée. La rançon de sa légèreté. “Ce travail, soit il te détruit, soit il t’aide à faire ton deuil”. Mais pour cela, il fallait qu’il pose une limite. “Je voulais impérativement finir le livre pour le 18 octobre de cette année. Car lorsque tu tires une ficelle au cours de tes recherches, une multitude de portes s’ouvrent. Tu veux toutes les refermer. C’est sans fin.”
“Tout mais pas ça”
Sans cesse durant l’enquête, Hassan Ben Mohamed se demande s’il ne se fourvoie pas. La solitude l’accable. Il tient bon. Pour lui mais pas seulement. Les jeunes présents dans le véhicule avec Lahouari ne parviennent même pas à reparler du drame entre eux. Même les deux frères, Jamel et Zahir, brisés par la douleur. Paradoxalement, c’est cette même volonté de faire bouger les choses qui a décidé Hassan à entrer dans la police à 23 ans. “Au départ, pour moi, la police c’était les racistes. Puis je me suis dit que je pouvais prendre la place de l’un d’eux”. À l’époque, il recherche d’abord l’assentiment de sa mère. “Tout ce que tu veux mais pas ça” le prie-t-elle d’abord. Après l’intervention de ses frères, elle finit par céder, quelques temps après.
Le jeune homme entre à l’Évêché, mû par l’appréhension. “J’étais préoccupé par l’idée que l’histoire allait un jour ou l’autre remonter à la surface.” Cela finit par arriver alors qu’Hassan Ben Mohamed discute avec un collègue CRS proche de la retraite, en service dans les années 80. “Il connaissait forcément l’histoire. Il n’avait pourtant jamais fait le lien avec mon nom et mon adresse, aux Flamants.” Les deux hommes parlent de cette époque, puis du fait-divers. Hassan ne tient plus. “Ce jeune qui a été tué, c’était mon frère,” lâche-t-il. Le silence retombe. Il n’en parlera jamais plus avec ses collègues.
“En apnée”
Pour son enquête, Hassan a appelé les CRS qui ont procédé au contrôle, un à un. Puis il a rencontré celui qui a tiré. “Je voulais lui dire qu’il devait la vie à mon père. Trois jours après la mort de Lahouari, des gens du milieu sont venus lui proposer d’assassiner le CRS détenu aux Baumettes. Il a refusé, déclarant que si la justice en France ne passait pas, il y aurait toujours celle de Dieu.” L’homme se dit désolé, explique “qu’il est en apnée, qu’il a vécu avec les yeux derrière la tête pendant longtemps”. Pour Hassan, il se pose en victime. L’entretien s’arrête là, les deux hommes n’ont rien d’autre à se dire. Dans des moments pareils, “mettre ma casquette de policier m’a aidé, cela m’a donné le peu de distance nécessaire pour supporter cela”.
Dans ce livre, Hassan Ben Mohamed donne la parole à sa sœur, très affectée par la mort de leur aîné. Le premier chapitre est écrit à la première personne, “car je voulais faire vivre mon frère avant qu’il ne soit tué”. C’est la deuxième fois que vie est redonnée à Lahouari, après la pièce de théâtre intitulée Yaoulidi (mon fils), montée en 81 et jouée par ses amis de la cité.
Dimanche, au Merlan lors d’une après-midi d’hommage 35 ans après les faits, des textes devaient être lus pour accompagner la présentation du livre. Le comédien Moussa Maaskri, ami de Lahouari, n’a pas réussi à lire sa partie. Mais il a eu cette phrase pour Hassan, qui vient mettre un point final : “Il nous a tiré deux balles et toi, tu lui as envoyé un livre dans la gueule”.
La gâchette facile, Hassan Ben Mohamed, éditions Max Milo. 18,50€
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