L’adieu “aux armes” à Bernard Tapie

Reportage
le 8 Oct 2021
8

Ce vendredi, Marseille accueillait les obsèques de Bernard Tapie, à sa demande, dans la cathédrale de la Major. Durant toute la matinée, les supporters marseillais lui ont rendu un hommage vibrant et populaire.

Des supporters rendent hommage à Bernard Tapie devant la cathédrale de La Major vedredi 8 octobre. Photo Emilio Guzman.
Des supporters rendent hommage à Bernard Tapie devant la cathédrale de La Major vedredi 8 octobre. Photo Emilio Guzman.

Des supporters rendent hommage à Bernard Tapie devant la cathédrale de La Major vedredi 8 octobre. Photo Emilio Guzman.

Les épaules vêtues de noir sont couvertes de cendres, non celles dont on se couvrait la tête en signe de deuil, mais celle des fumis que les supporters ont craqué pour célébrer la fin de cérémonie des obsèques de Bernard Tapie. La corne de brume tient lieu de bourdon, tandis que les cloches sonnent le glas. Hamza Baggour, l’un des capos – le meneur – des South Winners est debout sur une barrière, face à la foule qui assiste depuis l’extérieur aux obsèques de Bernard Tapie. “C’est le dernier, faisons-le en hommage à sa mémoire”, gueule un autre des capos. Le “Aux armes !” retentit, énorme. Et, dans un étrange mimétisme avec les virages du stade, la famille Tapie répond, bras tendus vers les supporters. Au bout d’un mat, un drapeau floqué du visage du défunt flotte dans le vent.

Les chants se poursuivent, comme après un but, mimant même un début de pogo. Ce vendredi, des centaines de personnes ont assisté avec recueillement à la messe d’obsèques depuis le parvis de la cathédrale de La Major. Enzo patientait depuis longtemps. En première à Saint-Charles, il a séché français et sciences économiques et sociales pour être là. Autour de lui, d’autres membres des South Winners, trop jeunes pour avoir connu l’époque Tapie. “J’ai séché les cours,mais mes darons m’ont autorisé, explique ce jeune blond, aux joues boutonneuses. Mon père a mis rendez-vous chez le dentiste sur mon carnet”. Autour de lui, ils sont nombreux, t-shirt Kaotic group – surnom des Winners – écharpes bleues, à avoir oublié leurs cours. Le copain d’Enzo chasse une mouche agaçante : “Zobi ! C’est long la messe, j’avais oublié. Ils ont pris le modèle extra large et le curé parle comme Macron.”.

Rares sont ceux qui reprennent les prières avec monseigneur Aveline, l’archevêque de Marseille. Si les têtes sont baissées, c’est pour suivre le direct de BFM sur les portables. En fin de cérémonie, l’ecclésiastique relie ce mort qui suscite une telle couverture médiatique à Charlotte, adolescente de 14 ans décédée le 30 septembre des suites d’un incendie à Noailles et qui a eu bien peu d’écho.

Il a tutoyé les sommets du pouvoir et les cellules de la prison.

Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille

Dans cette pluie d’hommages, après le ministre et ami Jean-Louis Borloo, le maire Benoît Payan et son adjointe Samia Ghali, le président de région Renaud Muselier, Jean-Marc Aveline tente d’avoir le mot juste pour raconter l’irrésistible ascension de cet homme du peuple, devenu homme d’affaires, ministre, député et repris de justice, tombé pour des matchs truqués. “Bernard Tapie n’était pas un saint, loin de là, résume l’homme d’église. Il a tutoyé les sommets du pouvoir et les cellules de la prison. La vie de Bernard Tapie avait sa part d’ombre. Il était né dans le tiroir d’en bas et avait tout fait pour parvenir au plus haut, mais jamais seul.”

Dans la foule, personne ne veut retenir cette part d’ombre. Ce que tout le monde a à l’esprit, c’est le toit de l’Europe. Les chants rappellent ce jour du 26 mai 1993 qui a fait des supporters de l’OM, “à jamais les premiers” vainqueurs français de la Ligue des champions.

Le cortège des supporters réunis

C’est son action qui a permis à la fois le développement d’un mouvement ultra et empêché le développement du hooliganisme.

David Erhel, membre fondateur des South winners

Plus tôt dans la matinée, dès 9 heures, les supporters de l’OM s’étaient donné rendez-vous sous l’ombrière avec dress code strict : habits noirs et écharpe de l’OM. Pour l’occasion, une vieille bâche avait été ressortie, célébrant l’union des clubs Ultras, Winners et Fanatics, notoirement hostiles les uns aux autres. L’un des membres fondateurs des Winners, David Erhel rappelle ce que les clubs doivent à l’ancien président : “C’est lui qui nous a créés au sens qu’il nous a aidés à nous structurer en association, nous organiser. C’est son action qui a permis à la fois le développement d’un mouvement ultra et empêché le développement du hooliganisme. Au-delà du foot, c’est ce qu’on lui doit et c’est ce que [Jacques-Henri] Eyraud a tenté de tuer avant qu’on le chasse”.

Sur le quai de la fraternité, des groupes se forment au fil des conversations. Trois petits vieux se rappellent “le bon temps des équipes de 91 et 92”, détaillant chaque but. “J’étais à Jean-Bouin pour le match contre le Milan, raconte l’un, à la lippe gourmande. J’avais le regard vissé sur la ligne et j’ai crié but avant que le ballon rentre. Il y a Gérard aux grosses lunettes qui confie à mi-voix qu’il a “le même âge que le boss”. “Ils nous a menés tellement loin, et puis c’était pas des mercenaires comme aujourd’hui. J’aimerais que le stade porte son nom. Cela serait tellement mieux que “pastèque” Vélodrome. Mais s’il s’appelle comme ça, c’est à cause de l’argent qui pourrit tout dans le foot.” Gérard oublie au passage Tapie était un des premiers à faire valser les millions des transferts.

Corbillard et memento mori

Un doute subsiste sur le fait que le corbillard va bien passer là. Mais les voitures noires finissent pas faire une apparition. À grands coups de cris, les capos organisent le cortège. Les premiers fumis noircissent le ciel avant que le bleu, le blanc et l’orange l’égaient. Les chants se succèdent repris à plein poumons. Les groupes de supporters se mélangent. D’épaule en épaule, le crâne ricanant des Ultras rappelle à quel point le stade est plein de memento mori.

Alors que le cortège avance, un hommage vibrant est rendu aux autres morts du stade : Depé, le capo historique des MTP, Clément, un Fanatics mort en déplacement fin septembre, Pape Diouf ancien président et René Maleville, ancien élu et figure du stade. “Minouche ! Minouche !”, crient plusieurs supporters en mémoire d’un autre, membre de la Vieille garde, disparu en 2016. “C’est là que tu vois si tu es un vrai du stade”, rigolent les chanteurs en faisant tourner un pétard.

Arrivés devant la mairie, Benoît Payan sort sur le balcon. Il a du mal à se mettre au diapason : tente un baiser, une main sur le cœur et un coucou. “Vé-le ! Il est en campagne ! Rends les sous et descends !” Au tournant du fort Saint-Jean, la tête du cortège commence à s’agiter. L’OM a autorisé 20 personnes par groupe de supporters à l’intérieur de l’église. Forcément, ça joue des coudes entre anciens “authentiques” pour figurer sur la liste.

“Festival de Cannes”

Le cortège atteint la cathédrale quand les MTP déploient une bâche “à jamais notre boss” et des fumis. Les supporters se mélangent avec le public déjà présent. Des applaudissements nourris saluent le cercueil. Deux hommes prennent des photos, curieusement obsédés par la chute du pantalon d’une des personnes présentes. “Je suis le tailleur de Stéphane Tapie. Je voulais voir si le costume lui allait bien”, sourit l’homme.

Une fois la cohue des entrées apaisée, la cérémonie peut commencer sous un soleil de plomb. Elle se clôturera par le départ du corbillard sur lequel la foule laisse baisers et caresses. “Regarde les tous ces gens qui pressaient dans l’église comme s’ils étaient au festival de Cannes. Peuchère de lui. Comme il les détestait…” Le voilà Marseillais à jamais.

 

Cet article vous est offert par Marsactu
Marsactu est un journal local d'investigation indépendant. Nous n'avons pas de propriétaire milliardaire, pas de publicité ni subvention des collectivités locales. Ce sont nos abonné.e.s qui nous financent.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

    Avant c’était Mitterrand, maintenant c’est Macron…avant c’était…avant

    Signaler
  2. Fp Fp

    Bravo pour ce récit haut en couleur.

    Signaler
  3. Alceste. Alceste.

    Dubitatif, circonspect,face à tout ceci.
    Pas surpris,mais une drôle d’atmosphère.

    Signaler
  4. Lucien LAURENT Lucien LAURENT

    C’est pas l’évêque qui parle comme Macron, c’est Macron qui parle comme un curé

    Signaler
  5. Christiane CLOUET Christiane CLOUET

    les innombrables licenciés par Tapie -qui s’est fait “un pognon de dingue” sur leur dos- ont certainement un autre point de vue. Eux ce n’est pas “le toit de l’Europe” qu’ils ont entrevu mais le fond du désespoir.

    Signaler
    • MarsKaa MarsKaa

      Excellente enquête à ce propos, publiée aujourdhui, sur le site internet de France Info, intitulée “Après la mort de Bernard Tapie, d’anciens salariés racontent : “Son fonctionnement était brutal”” (je mets seulement le titre de l’article ne sachant pas si on peut mettre un lien).

      Signaler
    • Zumbi Zumbi

      En effet, et la mémoire très sélective tait le fait qu’ayant pris d’assaut l’OM comme toutes ces entreprises il l’a géré de la même façon, entre autres en achetant des matchs, s’est fait gauler pour l’un d’eux et à conduit l’OM… en deuxième division !
      Il aura tenté de faire la meme chose avecla Mairie, heureusement qu’une poignée de militant.e.s de gauche et d’extrême-gauche autour de Guy Hermier ont tout mis en oeuvre pour torpiller les manoeuvres, devant lesquelles les “grands” Partis de gauche étaient prêts à se coucher, voire d’aller à la soupe.

      Signaler
  6. GENIA GENIA

    Tapi le meilleur représentant de Marseille.
    Chacun voit le verre à moitié vide plein ou à moitié plein. Disons que ce personnage n’a pas été adopté par la ville par hasard. C’était la seule ville pouvant fermer les yeux sur le côté perfide du bonhomme en ne retenant que la gloriole pathétique……Qui de mieux qu’un Marseillais ne peut se projeter dans ce désir de sortir de sa médiocrité….Et quelle tristesse de voir une population réduite à n’avoir plus que des matchs de foot pour trouver un moyen (collectif) de s’exprimer….

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire