La Ville embauche 340 précaires et en oublie quelques centaines

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le 7 Juin 2013
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La Ville embauche 340 précaires et en oublie quelques centaines
La Ville embauche 340 précaires et en oublie quelques centaines

La Ville embauche 340 précaires et en oublie quelques centaines

Malgré son sourire, Nacer n'a pas encore réalisé. Le tribunal administratif vient de reconnaître comme emploi pérenne ses vingt années de travail comme éducateur à la mairie de Marseille : "Pendant 20 ans, j'ai eu des CDD de 12 heures avec des compléments d'heures pour arriver à 20 heures les bons mois, raconte-t-il. Les contrats s'arrêtaient l'été, il fallait à chaque fois courir partout, trouver des boulots en centre de vacances pour compléter. Je n'avais jamais de vacances. Je gagnais 700 euros par mois. Là, je vais avoir un temps plein comme animateur dans une mairie de secteur à la rentrée. Alors que je vivais chez ma mère, je vais enfin pouvoir prendre un appartement et avoir mon indépendance". Nacer a déjà atteint la quarantaine.

Son obstination devant les tribunaux comme celle de quelques autres a amené la mairie de Marseille a annoncer la titularisation de 340 agents, devançant ainsi la médiation que comptait mettre en place le tribunal administratif. Cette décision devra être validée lors du conseil municipal du 17 juin. Une belle victoire pour ses salariés et le syndicat SDU-FSU qui essaie de structurer ce combat en les réunissant en assemblée générale, lundi 2 juin. Le chiffre de 340 est dévoilé par le secrétaire général de la Ville en comité technique paritaire. Mais difficile de savoir quelle a été la règle de calcul. Il pourrait être au final bien plus important. Aujourd'hui, ce sont à peu près 6 000 agents non titulaires (contre 11 000 titulaires) qui travaillent pour la Ville, selon une estimation de la Chambre régionale des comptes qui figure dans la lettre d'observations provisoires que nous avons pu consulter. Ces employés concernés travaillent pour la plupart dans les mairies de secteur – essentiellement comme animateur – ou à la Direction des affaires culturelles qui emploie de nombreux intermittents du spectacle. L'ensemble de ces postes représente un coût de 9 millions d'euros par an.

"1750 agents dans les mairies de secteur"

Les plus importantes dérives de ce système apparaissent dans les mairies de secteur. Dans sa lettre d'observations provisoires, la chambre régionale des comptes relève qu'en 2011, "1750 agents exerçaient dans les mairies de secteur, selon la Direction des ressources humaines. La majorité de ces emplois concernent des agents de service, des animateurs et des directeurs de centres de loisir". Et tout cela se fait, explique la CRC sans que l'employeur, la mairie centrale, ne puisse réellement exercer son contrôle : "Elle ne peut contrôler le recrutement par les mairies de secteur car elle ne dispose pas des moyens d'apprécier les besoins et les types de recrutement."

"Ceux-ci sont une manne pour le clientélisme, tout le monde le sait", légende le syndicaliste SDU-FSU Pierre Godard. De nombreux agents racontent une histoire similaire, une entrée grâce à un élu sur un poste qui échappe à la logique des concours de la fonction publique territoriale. L'histoire de Monique(*) est à ce titre édifiante. Cette quinquagénaire qui espère bien faire partie des 340 titularisés travaille pour la mairie des 6e et 8e arrondissements depuis 13 ans. "J'ai tapé aux portes et je suis devenu agent de service. Là, comme tous les ans, ça va s'arrêter pour l'été et en septembre, Dieu seul sait si j'aurais du boulot en septembre. À chaque fois que je demande une titularisation, on me dit qu'il n'y a pas de poste pour moi. Et pourtant, j'ai fait ce qu'il fallait, mon mari a tracté, j'ai tracté pour monsieur Tian, j'ai tracté pour monsieur Miron, j'ai tenu des bureaux de vote. Mais moi, dans les bureaux, on me demande de mettre les tampons, pas de lire les noms sur les listes parce que ça prendrait la journée."

Monique, avec ses treize ans au compteur, n'est pourtant pas celle qui a été le plus longtemps maintenue dans la précarité par la mairie. Au cours de ses pérégrinations dans les couloirs de la mairie, la Chambre régionale des comptes a fait des rencontres plus qu'étonnantes. "Vingt agents sont vacataires depuis plus de vingt ans. […]  Trois ont plus de trente ans de service dans ce service [les cantines]", constate-t-elle ainsi. Un peu plus loin, dans ses observations, elle esquisse la raison de ce genre de situation. Les mairies de secteur et les services "renouvellent systématiquement les mêmes personnes comme vacataires malgré les rappels qui leur sont adressés."

Quel est l'ampleur réelle du phénomène ? Sur le papier, la théorie est simple car la jurisprudence du tribunal administratif est constante :

Un agent vacataire a le droit à la requalification de son contrat en contrat d'agent non titulaire s'il a occupé de manière continue un emploi à caractère permanent correspondant au besoin permanent de la collectivité.

Pour les seules mairies de secteur, qui ne représentent que 5 millions d'euros sur les 9 millions que pèsent les vacations dans le budget municipal, la CRC  estime que "cette jurisprudence pourrait en pratique concerner entre 25 et 35 % des 1750 agents vacataires compte tenu de leurs missions et de la durée de leurs contrats". Calculette en main, cela donnerait entre 437 et 612 titularisations sur ce seul point, loin des 340 promis par la Ville "Une négociation aurait fait ressortir les vrais chiffres. Elle n'a pas lieu avec cette annonce. La Commission administrative paritaire [censée examiner les cas individuels, ndlr] n'a pas été consultée", regrette Pierre Godard.

Le syndicaliste entend fédérer les précaires afin de veiller aux règles qui présideront à la titularisation. "Ils vont devoir en sélectionner 340. Il vont tenter de discriminer au piston. Nous, il faut qu'on casse ça", a-t-il ainsi lancé lundi 2 juin au cours d'une assemblée générale. Et de prévenir : "Dès que nous saurons que quelqu'un a été titularisé, nous demanderons que toutes les personnes théoriquement au-dessus dans la liste (selon des critères d'ancienneté et d'évaluation) soient traitées de la même façon. Et pour cela, s'il le faut, nous retournerons au tribunal".

Pas dit que cette perspective n'enchante Jean-Claude Gaudin qui voit disparaître là sa liberté d'embauche pour l'année à venir. En marge de l'inauguration du Mucem, le maire confiait ainsi à Libération que s'il rechignait à prendre des emplois d'avenir malgré les appels du pied du président de la république, c'était en raison de ces titularisations. Pierre Godard ose une traduction : "On leur bouffe deux ans de clientélisme".

(*) Le prénom a été changé.

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Commentaires

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  1. ALAIN PERSIA ALAIN PERSIA

    Votre article est très bien documenté. Une nouvelle fois Marsactu ne craint pas de dévoiler une grave anomalie de gestion .
    Je tiens à féliciter le syndicaliste P.GODARD qui dit toujours des opinions justes . C’est un honnête homme.

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  2. Anonyme Anonyme

    On peut appeler ça du syndicalisme. Bravo il faut continuer .!

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  3. Electeur du 8e Electeur du 8e

    C’est vraiment le taupe niveau, les critères de recrutement à la mairie du 6-8 : “faire ce qu’il faut, tracter pour MM. Tian et Miron”. Quand le personnel politique de cette ville combattra-t-il la misère et la précarité plutôt que de s’en servir ?

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  4. LiliAnonyme LiliAnonyme

    Et les asics alors, vacataires des ecoles

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