La ville de Marseille défend son projet de “vidéosurveillance automatisée” devant la justice
Assignée devant le tribunal administratif par deux associations, la ville de Marseille a défendu hier les vertus de la vidéosurveillance automatisée. Permettant d'isoler un individu ou un comportement, l'algorithme doit être déployé sur 50 caméras d'ici un mois.
La ville de Marseille défend son projet de “vidéosurveillance automatisée” devant la justice
“Je pensais avoir à peu près compris le sujet, mais j’avoue que j’ai l’esprit encore plus confus qu’avant l’audience” a lâché en fin de débat ce 2 mars la juge des référés Isabelle Hogedez. La magistrate du tribunal administratif de Marseille s’est même ouvertement dite “sceptique”, concernant la possible récolte de données biométriques, suspectée par les opposants au projet de la ville de Marseille de “vidéosurveillance automatisée”. Elle doit rendre un jugement en urgence, d’ici quelques jours, suite à la requête portée par deux associations : la Quadrature du Net et la Ligue des Droits de l’Homme. Celles-ci mettent en cause la mise en place d’un bouquet d’algorithmes sur une cinquantaine de caméras de vidéosurveillance.
Votée par la ville en 2018 et confiée à la Snef, opérateur privé, cette technologie peut repérer automatiquement certains mouvements. De quoi faciliter, selon la Quadrature du Net, “un suivi des individus” ou encore “la surveillance des manifestants et manifestations” (lire notre interview de Félix Tréguer de la Quadrature du net), de façon automatique et sans recourir à l’intelligence humaine, donc.
En début de plaidoirie, l’avocat de la ville, Me Nicolas Charrel, a offert à la salle une leçon de sémantique : “tout d’abord, je ne parlerais pas de “vidéo protection intelligente” car cela serait trop prétentieux. Je préfère parler de vidéo protection augmentée.” Toujours selon l’avocat, “le but de l’intelligence artificielle n’est pas de remplacer l’intelligence humaine. Le but, c’est d’offrir des nouveaux outils puisque les humains ne peuvent pas regarder partout à la fois.”
“Détecter un mouvement de foule et informer par une alerte sonore”
L’avocat fait référence aux agents du CSU (centre de sécurité urbain) chargés de surveiller l’intégralité du parc de vidéosurveillance marseillais, à savoir entre 1000 et 1500 caméras (lire notre dossier sur la vidéosurveillance à Marseille). Le projet controversé de vidéosurveillance automatisé offrirait à la technologie déjà en place un outil supplémentaire sous forme de “filtres”. Sur demande de la juge, un agent des services techniques de la ville présent dans la salle a fourni une illustration concrète : “imaginons par exemple qu’une caméra surveille un site où personne n’est autorisé à circuler. Si l’outil repère une présence humaine dans le champ de la caméra, les agents du CSU recevront une alerte.”
Autre exemple donné par Me Charrel : “il arrive que les agents du CSU passent à côté de certaines informations. Avec ces algorithmes, le système pourra détecter un mouvement de foule et en informer les services par une alerte sonore.” L’avocat assure en tout cas que “ce projet ne changera rien aux règles de conservation des images : elles seront écrasées sous dix jours, comme c’est déjà le cas aujourd’hui.”
Des requêtes filtrées à partir “d’avatars ou de photographies”
Mais selon les deux associations requérantes, ces nouveaux algorithmes franchissent une ligne rouge rigoureusement encadrée par la réglementation européenne : la collecte de données biométriques. “La biométrie, c’est la possibilité d’identifier des individus à partir de leurs caractéristiques biologiques ou physiques, détaille l’avocat des requérants, Me Alexis Fitzjean O‘Cobhthaigh. L’identification de la couleur des vêtements ou de la manière de bouger entre donc dans la définition de la biométrie. Or, là-dessus, on est protégé par un règlement européen : le RPGD.”
Selon l’avocat, “la décision portée par la ville est grave et dangereuse. Car l’automatisation n’est pas qu’un outil supplémentaire : elle offre à la vidéosurveillance une ampleur tout à fait nouvelle.” Il ne manque pas de rappeler que cet outil pourrait potentiellement capter chaque personne entrant dans le champ d’une caméra équipée, soit “jusqu’à des dizaines de milliers de marseillais par jour.”
Les craintes des deux associations se fondent surtout sur une phrase inscrite des documents municipaux détaillant le projet : “Il est écrit que les agents pourront effectuer des requêtes par filtres, notamment à partir d’avatars ou de photographies ! Et ça, c’est de la reconnaissance faciale”, dénonce Me Fitzjean O’Cobhthaigh.
Les 50 caméras sont déjà équipées
Or, le 26 février dernier, ce même tribunal administratif a justement mis un coup d’arrêt à un projet de la région qui visait à expérimenter la reconnaissance faciale dans deux lycées. Cette décision est donc venue souligner l’avis défavorable qu’avait déjà rendu la Cnil (commission nationale de l’informatique et des libertés), qui avait été saisie sur ce sujet par… la Quadrature du net. Pas de quoi décourager la municipalité : “Je peux vous assurer que notre projet de vidéo protection augmentée n’inclut pas de reconnaissance faciale”, promet l’avocat de la ville. En marge de l’audience, Me Charrel s’aventure même à formuler une garantie : “le projet expérimental est encore en phase de conception. Il sera déployé sur 50 caméras à partir du 3 avril. À ce moment, nous saisirons nous-mêmes la Cnil et attendrons son avis. Nous souhaitons être en conformité.”
Selon les requérants, la situation est d’autant plus critique que “le dispositif a été monté dans l’opacité totale”, s’insurge leur défense. Cette dernière rappelle que les associations ont appris l’imminence du projet en décembre dernier seulement, et dans un article de Télérama.
Et pour les associations, le doute plane quant au stade d’avancement du projet. Le 31 décembre, la ville leur a précisé par courrier que les agents du CSU n’avaient pas encore accès aux algorithmes… mais que “l’infrastructure technique a été initiée” sur les “50 caméras”. À moins que le tribunal administratif ne s’y oppose, ce projet sera le premier du genre en France.
Commentaires
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excellent
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Et Berland d’insister longuement, dans son entretien avec Marsactu, sur le fait que sa colistière Caroline Pozmentier, adjointe à la sécurité, tout en n’ayant rien à voir avec le bilan de Gaudin, a un excellent bilan personnel : il est donc pour la vidéosurveillance “intelligence” et l’invisibilté de la police municipale.
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