La Ville de Marseille censure sa propre exposition sur mai 68
La Ville a volontairement censuré un film documentaire qui devait prendre place dans l'exposition Marseille et mai 68 au musée d'histoire. Ce court film de témoignages militants avait le tort de donner la parole à l'ancien syndicaliste des municipaux, Pierre Godard.
L'écran où le documentaire sur les témoignages d'acteurs de mai 68 devait être diffusés.
Le geste avait de l’audace : consacrer une exposition du musée d’histoire de la ville aux évènements marseillais de mai 68. Faire l’histoire du temps présent, avec nuance et pédagogie, comme entendait le faire le directeur des musées, Xavier Rey, à l’initiative de cette exposition en arrivant à la tête du réseau marseillais en 2016. Cette audace échoue sur un acte de censure qui rappelle celle du pouvoir gaulliste de l’époque, à laquelle l’exposition consacre d’ailleurs un espace dédié.
Selon nos informations, la Ville a sciemment soustrait de la scénographie de cette exposition, par ailleurs de grande qualité, une vidéo rassemblant les “témoignages d’acteurs de mai 68 à Marseille” dont celui d’un ancien syndicaliste à la Ville, très remonté contre l’administration Gaudin, Pierre Godard.
Demande de remontage
Or, d’après nos informations, c’est bien la personnalité de Pierre Godard qui explique cette censure. Laquelle est semble-t-il intervenue dans la précipitation à quelques heures de l’inauguration de l’exposition. D’après nos informations recueillies auprès de la prestataire qui a réalisé ce documentaire, une demande de suppression du témoignage de Pierre Godard lui a bien été faite par la Ville le mercredi 2 mai, dans l’après-midi. “J’ai répondu que cela demandait un remontage. Et je leur ai envoyé un devis correspondant au coût de cette prestation, indique-t-elle. Je n’ai pas eu de suite. Je me suis donc dit qu’ils avaient dû se débrouiller autrement”. En l’occurrence, en supprimant purement et simplement le document de la scénographie finale à quelques heures de l’inauguration.
Personne au commissariat de l’exposition ou à la direction des musées n’a pu nous expliquer les raisons de ce qui s’apparente bien à une censure. Du côté de la Ville, notre demande d’information est restée sans réponse dans les délais de bouclage de cet article.
Film d’archives
Ce document devait être présenté au public au centre de l’exposition, entre la partie historique et la dernière salle, dédiée à des œuvres plastiques faisant écho aux évènements. Il s’agissait d’un court film documentaire qui donne à entendre différentes facettes des luttes militantes. Or, durant la visite de presse à laquelle Marsactu a participé, puis lors de l’inauguration et encore ce vendredi, l’écran présente un film d’archives sur les grandes manifestations marseillaises. Ledit écran est dénué de tout cartel explicatif, au contraire d’un autre film diffusé dans la salle du fond et qui donne la parole à des acteurs culturels de l’époque.
Cette disparition, Pierre Godard l’a découverte en participant à l’inauguration ce mercredi. Avec d’autres anciens acteurs de la gauche de l’époque, il est venu découvrir comment la Ville rend compte de ces évènements dont l’histoire officielle n’a retenue que la flambée parisienne. “Je me suis aperçu que le film dans lequel j’avais témoigné n’était pas dans l’exposition”, constate-t-il sans en savoir plus des raisons qui justifient cette suppression. Jeune élève de seconde au lycée Puget en 68, Pierre Godard évoquait dans ce film le rôle des lycéens dans la mobilisation. Tout comme Samy Johsua (aujourd’hui élu de gauche dans les 13e et 14e arrondissements) y parle du mouvement étudiant, Jean-Claude Aparicio, des effets du mouvement de grève sur la liberté syndicale dans l’industrie pétrochimique et Pierre Amendola du rôle de la CGT dans les manifestations pacifiques du printemps.
La stature de l’opposant
Aucun de ces souvenirs n’a pu être partagé avec les premiers spectateurs de l’exposition. Joint par nos soins, l’historien Robert Mencherini, membre du comité scientifique de l’exposition, découvre cette disparition et confirme que ce documentaire était bien inscrit dans la scénographie de l’exposition au moins jusqu’à une période récente : “L’idée était de mettre en scène des témoignages du temps présent, quelles que soient leurs orientations politiques”. C’est lui-même qui suggère donc le nom de Pierre Godard, pour donner à entendre le rôle important des lycéens dans les semaines de mobilisation à Marseille.
Mais, du côté de la Ville, ce nom résonne autrement. Après avoir joué un rôle au sein du mouvement lycéen, Pierre Godard a poursuivi sa carrière syndicale en entrant à la Ville comme éboueur. À ce titre, il a longtemps été un cadre du syndicat CFDT puis fait partie des créateurs du syndicat SDU devenu depuis la FSU territoriale. Depuis l’arrivée de Jean-Claude Gaudin, il n’a jamais mâché ses mots pour reprocher à sa gouvernance de poursuivre le clientélisme municipal et la cogestion avec Force ouvrière.
“Ce que je trouve navrant, c’est que j’ai dans ce film aucun propos polémique, regrette l’intéressé, aujourd’hui à la retraite. Au contraire, dans mon souvenir, je fais une évocation très romantique de ces jours et de la liberté qui régnait dans les rues de Marseille ces jours-là”. Visiblement, 50 ans après, cet esprit de liberté, le nom de Pierre Godard et la liberté de parole qu’il symbolise continuent d’effrayer.
Commentaires
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Comme chacun sait l’actuelle municipalité a une façon bien à elle d’être attachée à la liberté d’expression, elle est même complètement “charlie” …
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Au-delà des sempiternels errements du quotidien, Marseille se rapproche-t-elle des méthodes utilisées dans certains pays à l’est de l’Europe?
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Où va donc encore se loger la “connerie” de cette municipalité ?.
Dans la censure d’événements datant de 50 années et portant sur le témoignage d’un lycéen de l’époque, qui effectivement plus tard n’a pas été nommé ingénieur comme l’autre.
Problème, le témoin en question est critique vis à vis de la politique de ce qui nous sert de maire.
Deux réflexions:
La première , j’ai une pensée émue pour le conservateur qui voit son travail édulcoré et surtout je pense à la couleuvre ou plutôt au boa que ce dernier vient d’avaler à cette occasion. Entre parenthèse cela démontre une fois de plus la qualité d’historien de celui qui nous sert de maire . Il est bon à raconter des blagues et encore. A quand la sélection par le maire des ouvrages en bibliothèques puisque nous en sommes là ? . Pour le fun ,d ‘Estienne d’Orves parlant de Mai 68 , faut oser !
La deuxième, cette municipalité fait tout son possible pour éliminer, éradiquer toute trace de critiques à son encontre. Godard en est le parfait exemple , Vigouroux de même ,etc. Tous les moyens sont bons ,même les plus vils et les plus ridicules. Mais à quoi s’attendre de la part de cette équipe, je vous le demande ?
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Excellent commentaire !
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cher antoine, pourquoi dites vous ” destienne d’orve faut oser? “
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Il faut, je le crains, se rendre à l’évidence. Ce refus de regarder la réalité telle qu’elle est, ce refus de reconnaître d’autres syndicats que FO, ce refus d’admettre même que FO puisse être minoritaire (au point d’affirmer qu’avec 45 % des voix, FO “reste majoritaire” – sic !), ce refus de toute parole critique, c’est probablement plus grave que la seule sénilité.
Mais n’y a-t-il personne pour rattraper les c.nneries du géronte ?
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On reste quand même sans voix tellement c’est énorme…
C’est difficile de penser que c’est Gaudin lui même qui a pris cette décision, il ne doit même pas avoir compris que cette exposition existe et, si on lui a dit, en quoi elle consiste… Cela veut dire qu’il y a un larbin politique ou syndical assez con, et en même temps avec assez d’autorité, pour imposer une censure aussi dingue… Et pourquoi ? La suite c’est qu’il vont effacer le visage de Defferre des photos d’archives où l’on voit Gaudin jeune ?
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Et oui Gaudin se prend pour Pharaon , il tente d’effacer les représentations ou les images de ses prédécesseurs et contradicteurs. Nous avons affaire non plus au maire mais au souverain municipal TOUTHENSENILITE, que Râ nous en préserve!
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Pharaon peut-être, mais déjà momifié.
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Je vois dans tout cela l’action deux sucreurs de fraises (dont c’est bientôt la saison soit dit en passant…): le gang des JCG épris d’un nettoyage frénétique en fin de mandat pour essayer de laisser place nette.
Malheureusement, pour eux , le nettoyage se passe aussi mal que celui des rues…
Si on veut du changement au lieu de critiquer: aller voter en masse et efficacement dans 2 ans.
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Faut oser , car parler de Mai 68 après avoir été déléguée à la culture de G.TEYSSIER est assez cocasse .
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La Provence du 6 mai 2018 évoque :
“des soupçons d’autocensure de la Ville de Marseille autour du témoignage d’anciens syndicalistes. Lorsque la contestation est sanctifiée par une entrée au musée, c’est le genre de péripéties qui peut arriver…”
Je suppose que la Provence n’a pas eu les moyens ni le temps de vérifier ces sinistres soupçons.
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La Provence, journal d’échotiers, sans âme…sans intérêt? La Provence et investigations sont antinomiques.
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Cher Michel Samson , dans ce cas là il faut remplacer le mot péripétie par vraisemblablement le mot volonté.
C’est comme si vous évoquiez le conflit des dockers marseillais sans faire la projection du film de P.CARPITA :”Le rendez-vous des quais”, puisque nous sommes à Marseille. Cela n’a de valeur que de témoignage , mais il a le mérite d’exister et de confronter les points de vue.
La panthéonisation d’événements ne doit pas être sélective . Quand on fait œuvre d’Histoire au musée d’Histoire , toutes les Histoires doivent être racontées sans faire d’Histoire sauf, si ce sont des raconteurs d’Histoire qui font l’Histoire. Mais avec notre “peudo” professeur d’histoires nous sommes servis.
Je revisite à la mode Jean-Clôôôôôôde
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J’ai fait un lien vers cet article, en toute cordialité, sur la page Facebook des Musées de la Ville de Marseille. Commentaire supprimé. Belle atteinte à la liberté d’expression.
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D’accord avec les réflexions d’Antoine. Pierre Godard censuré, le syndicat auquel il appartenait ne bénéficiait pas de la même écoute de ses revendications que FO, de la part des autorités municipales. Même retraité la haine du maire le poursuit ! FO a reconnaissante, pour tous les services rendus, a promu ces dernières années le Maire en le gratifiant du titre d’ adhérent d’honneur. Nouvel employé dans les services, on vous parlera” du” syndicat – les autres ayant été occultés, mais quand FO décide d’une grève (il faut bien de temps en temps qu’elle se distingue) le Maire parlera “des” syndicats. Et puis tant d’autre choses anormales… Ces événements sont emblématique de la médiocrité des gestionnaires de notre ville qui pour ne pas assumer leurs responsabilités passent leurs services aux entreprises privées.
Pierre, ce n’est pas toi qui est humilié, la situation t’honore plutôt.
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En fin de règne Gaudin et les gaudinistes font preuve d’innovation en reprenant un procédé cher à Staline et Hitler : effacer de la photo ou du film, caviarder de l’article ou du livre le personnage qu’ils ont décidé de “jeter aux poubelles de l’Histoire”. Ce qu’Orwell dans 1984 appelait le Ministère de la Vérité. L’ennui est qu’il y a toujours un morceau de mémoire qui remonte, un livre qu’on a oublié de brûler, une photo qui dormait dans un grenier… Et que le nom des censeurs restera, comme le nom des censurés.
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Où peut-on visionner ce film censuré ?
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Bonjour, le film documentaire n’est pas accessible. En espérant que la révélation de cette censure fera changer d’avis la Ville et permettra à tous les visiteurs de découvrir ce film.
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Le film est est accessible depuis le 20 mai ! Les visiteurs et visiteuses qui profitaient de la visite commentée par l’historien R. Mencherini de l’expo sur Mai 68 lors de la nuit des musées ont donc pu le voir.
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On en parle de la nuit des musees ? Des Équipes privées au MHM… Comme presque partout pour museler les agents qui refusaient de participer.exprimant leur mal-être. Une censure silencieuse payée par le contribuable. Elle n’était pas gratuite et festive cette nuit Europeenne des musées à Marseille… Mais heureusement il y avait des contractuels ailleurs et quelques habitués des coups de Jarnac. Mais vous ne le lirez nulle part. Le Silence est d’Or, comme le vif. Alla kedavara pour tuer dans l’œuf la révolte…
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Film visible ici
https://vimeo.com/267230558
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