La Soleam vire un de ses cadres pour harcèlement moral après des années d’alertes

Enquête
le 4 Jan 2023
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La société d'aménagement publique de la métropole a été déchirée par une affaire de harcèlement moral qui s'est étirée dans le temps. Le directeur de service incriminé a finalement été licencié pour faute grave durant l'été.

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L'entrée de l'immeuble que la Soleam partage avec l'agence d'urbanisme métropolitaine. (Photo : B.G.)

L'entrée de l'immeuble que la Soleam partage avec l'agence d'urbanisme métropolitaine. (Photo : B.G.)

“Valoriser les compétences des personnels de la société”. Dans le communiqué mis en ligne le 24 novembre dernier, le nouveau président de la Soleam, Yves Moraine, décline sa feuille de route, celle qui doit faire de la société publique d’aménagement “une référence à l’échelle nationale”. Il l’a présentée mardi 13 décembre à l’ensemble des équipes, en insistant sur “le nécessaire bien-être au travail”. “Je crois que j’ai même parlé de la prévention des risques psycho-sociaux parce que je m’y suis intéressé de près en tant que conseil de chefs d’entreprise”, raconte l’avocat d’affaires et homme politique (LR) qui vient de prendre la tête d’une société qu’il connaît bien, pour en avoir été le premier président.

En posant ses cartons dans les bureaux de la Canebière, il croisera quelques têtes connues, comme celle de Jean-Yves Miaux, l’inamovible directeur général, déjà cadre dirigeant de Marseille Aménagement, il y a un quart de siècle. En revanche, il ne croisera pas Frédéric B., un autre des piliers de la société, qui a suivi le même cursus. En interne, on lui prédisait un avenir à la tête de l’entreprise publique. Ce ne sera pas le cas. Frédéric B. a été licencié pour faute grave, durant l’été 2022, après plusieurs décennies de service. Interrogé à ce sujet par Marsactu, Yves Moraine dit ne rien savoir de cette histoire, “qui de toute façon ne concerne pas le président”.

Pourtant, ce départ a provoqué un certain remous au sein de l’immeuble Louvre & Paix, siège de l’entreprise sur la Canebière. “C’était un licenciement à l’américaine, commente un témoin. Il a été accompagné jusqu’à son bureau avec un carton. Il y avait avec lui l’agent de sécurité de l’immeuble et un serrurier“. Après une période de mise à pied, Frédéric B. a été convoqué pour un entretien préalable, puis licencié pour faute grave. Ce départ, vécu comme “un choc violent et injuste” par l’intéressé, clôt une longue période durant laquelle, selon plusieurs témoins, ce directeur bénéficiait au contraire d’une totale impunité dans les couloirs feutrés de la Soleam.

Ambiance feutrée entre cadres supérieurs

Au sein de la société publique d’aménagement, l’immense majorité des employés sont des cadres supérieurs, plus habitués aux dossiers techniques qu’aux procédures pour harcèlement. En 2018, Jean-Yves Miaux décide de refondre l’organigramme. Il confie la tête d’une direction, fusion de celles de la construction et de l’aménagement, à celui que tout le monde perçoit déjà comme son protégé. Jusque-là, Frédéric B. dirigeait le pôle construction et assurait le suivi de tous les chantiers de la société, avec 15 personnes sous ses ordres.

Son action a consisté à déstabiliser le service en jouant les uns contre les autres.

Muriel, ex-directrice de programme

Dans cette nouvelle entité, Frédéric B. retrouve deux directrices de programme, que nous appellerons Gabrielle et Muriel. Elles pilotent de grosses opérations comme la zone d’aménagement concertée du vallon de Régny, dans le Sud de Marseille, ou celle de Château-Gombert, dans le Nord. Très vite, la nouvelle organisation tourne au cauchemar pour les deux directrices. “Frédéric B. ne voulait qu’une seule tête, raconte Muriel* qui a quitté la société pour fuir son supérieur hiérarchique. Pour lui, l’une de nous deux était de trop. À partir de là, son action a consisté à déstabiliser le service en jouant les uns contre les autres“.

Un poste unique est finalement créé. Encouragée par sa hiérarchie, Gabrielle se décide à postuler, avant de se raviser en s’apercevant que Frédéric B. entend organiser son service à sa place. Le poste n’est pas pourvu et les réactions se tendent entre le nouveau chef et les deux directrices, toujours en place.

Il n’arrêtait pas de souffler le chaud et le froid. Soit il ne répondait pas, soit il disait en public l’inverse de ce qu’il soutenait en réunion, poursuit Muriel. Ma vie a changé en quelques mois. Là où je prenais mon travail à cœur, c’est devenu de plus en plus dur alors que l’opération que je suivais était la plus prometteuse et la plus stratégique pour la boîte“. L’une comme l’autre constatent que leur chef hiérarchique agit différemment dès qu’il a une femme en face de lui. Une attitude confirmée par plusieurs témoins qui l’ont côtoyé dans un contexte professionnel.

“Pétage de plomb” en comité de direction

La tension arrive à son acmé à la fin de l’année 2018. Le 10 décembre, un comité de direction se tient au sein de l’immense plateau occupé par la société. Les bureaux ne sont séparés que par de minces cloisons. “Très vite, des collègues viennent me voir en me disant « il y a Frédéric B. qui est en train de péter un plomb en Codir, il vous traite de connasses en hurlant »”, raconte Muriel.

Ni le ton, ni le propos ne surprennent les deux femmes, habituées à ces sautes d’humeur et accès de colère. “Mais là, c’était trop, s’agace Gabrielle. On savait pertinemment qu’il parlait de nous”. Selon les collaborateurs présents à proximité de la salle de réunion, Frédéric B. ajoute “s’en battre les couilles qu’on l’entende”, alors que les personnes présentes lui demandent de baisser le ton.

Elles décident donc de saisir le directeur général par le biais d’une lettre recommandée avec accusé de réception. Elles y disent être “choquées et affectées par la violence des propos et des termes injurieux employés qui ne sauraient être tolérés dans un cadre professionnel normal“. Pour elles, “de tels propos tenus de manière à ce qu’ils soient diffusés au-delà de la salle de réunion de la direction ne sont pas de nature à renforcer la cohésion de l’équipe“.

Le directeur général de la Soleam assistait à ladite réunion. Il met plusieurs jours à répondre à ses collaboratrices. “Cette instance est un organe de décision dont les séances e tiennent à huis-clos, leur écrit Jean-Yves Miaux. Vous comprendrez, dès lors, qu’il est difficile d’établir la véracité de ce que vous affirmez, les termes incriminés étant probablement sortis de leur contexte“. Il conclut sa réponse en réaffirmant l’autorité hiérarchique de Frédéric B. vis-à-vis d’elles.

Réorganisation express

Le lendemain, l’intéressé envoie un mail à toute l’équipe, avec le directeur général en copie dans lequel il décharge les deux directrices de programmes de toutes responsabilités hiérarchiques. Désormais, les employés placés sous leurs ordres devront en référer à lui seul. Pour les deux femmes, la gifle est plus cuisante encore que l’insulte rapportée. Par courrier, en février 2019, Jean-Yves Miaux prend position pour son subordonné direct et soutient la réorganisation du service.

Pour Muriel, le métier passion tourne au cauchemar. Elle ne parle plus à son supérieur direct. “J’avais peur d’être dans le même ascenseur que lui. J’avais peur dans les parkings souterrains, quand je prenais ma voiture pour rentrer chez moi, à cause des accès de colère dont il pouvait faire preuve“.

Lors d’une réunion avec les services de la métropole, Frédéric B. s’en prend de nouveau à une cadre.

Gabrielle n’est pas la seule à alerter. Dans un échange que Marsactu a pu consulter, le directeur général des services (DGS) de la métropole, Domnin Rauscher, intervient par mail auprès de Jean-Yves Miaux, pour dénoncer le comportement de Frédéric B.. Lors d’une réunion avec des représentants de la métropole, ce dernier s’est emporté contre une cadre du service lors d’une réunion en janvier 2019. “Un comportement inapproprié“, pour le DGS de la métropole pour lequel “de tels actes ne peuvent être acceptés”.

La réponse de Jean-Yves Miaux au DGS de la métropole est étonnante. Il fait état d’un SMS envoyé par Frédéric B. à un cadre de la métropole, seul homme présent : “Désolé de mon comportement auprès de [X] tout à l’heure mais de toujours répéter des choses évidentes m’a exaspéré, d’autant que j’avais 39,5° de fièvre”. En appui de son subordonné, le directeur général souligne qu’il était en congé maladie le lendemain, “ce qui ne peut toutefois justifier son comportement“. Il dit avoir demandé de ce dernier “de mieux se contrôler” et de présenter ses excuses à l’intéressée. On ne sait si ces excuses ont été prononcées, mais, pendant un temps, les personnels féminins de la métropole ne participaient plus aux réunions où Frédéric B. était présent.

Des années avant la prise de sanctions

De tout cela, le président de l’époque, Gérard Chenoz était averti, sans qu’aucune action n’ait été entreprise pour mettre fin ou limiter des agissements vécus comme toxiques. Il serait intervenu en médiation, avant de conclure à un simple problème de “communication”. Selon un administrateur contemporain de la présidence Chenoz, Frédéric B. était perçu comme un “cadre à l’ancienne“, “un macho” qui avait un comportement avec les femmes “qui ne se fait plus”.

Avec l’arrivée de Lionel Royer-Perreaut à la présidence en 2020, Gabrielle trouve une oreille plus attentive. Elle le connaît en tant que maire de secteur et il la reçoit très longuement. Un audit est lancé. Tout le monde espère du changement. Gabrielle part en congé maternité, l’esprit plus serein. À son retour, elle découvre que Frédéric B. s’est installé dans son bureau. Pire, la personne embauchée pendant son congé pour gérer le programme de la Zac Vallon de Régny est appelée à conserver l’opération. Pour Gabrielle,c’est l’affront de trop, elle décide poursuivre sa carrière ailleurs.

Selon sa collègue, Muriel, Gabrielle n’est pas la seule à avoir jeté l’éponge dans le service. “Sur les huit personnes du service aménagement, six ont quitté la société ou demandé à rejoindre un autre service”, affirme-t-elle. Un chiffre difficile à vérifier.

Pourtant, les signalements finissent par porter leurs fruits. En coulisse, la secrétaire générale d’alors constitue un dossier disciplinaire sur Frédéric B., encouragée en cela par Lionel Royer-Perreaut. “Quand j’ai été informé de ces faits, j’ai demandé à ce qu’on veille à ce que la procédure soit inattaquable sur le plan du droit“, assure l’ancien président et nouveau député de la majorité présidentielle. C’est aussi la réponse de Jean-Yves Miaux qui justifie ainsi le délai dans la réponse de la direction aux faits incriminés. Il se refuse à répondre à toute autre question, arguant du risque de contentieux alors que Frédéric B. a porté l’affaire devant les prudhommes. Joint par Marsactu, ce dernier considère avoir été victime d’une procédure “totalement abusive”. Et met aussi en avant cette procédure pour garder une réserve sur son dossier.

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Commentaires

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  1. Richard Mouren Richard Mouren

    Une belle illustration du “je te tiens, tu me tiens par la barbichette” si répandu dans nos administrations locales. La barbiche de monsieur Miaux devait être bien agrippée par monsieur Frédéric B. Cette affaire est aussi la démonstration que les présidences de ces organismes sont octroyées comme prébendes honorifiques et alimentaires à des politiques qui s’en désintéressent complètement. Monsieur Y.Moraine ne nous déçoit toujours pas qui nous déclare ne rien savoir de cette affaire (ce serait bien le seul) qui d’ailleurs ne le concerne pas. Circulez…..

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  2. Mars, et yeah. Mars, et yeah.

    Avec uniquement la version d’une des parties, difficile de comprendre les tenants et aboutissants réels de tout ça.

    D’ailleurs quel est le propos in fine ? La SOLEAM cépabien ? Frédéric B. iléméchan ? JY MIAUX tétrolen ? Après tout, la situation est semble-t-il réglée et le reste relève des Prud’Hommes, non ?

    Quand au temps nécessaire pour traiter un tel licenciement… Nous sommes en France, pas aux Etats-Unis : ça ne se fait jamais d’un claquement de doigts, à moins d’être dans une PME ou une start-up.

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    • Alceste. Alceste.

      Les multinationales et grandes entreprises procèdent aussi de cette manière. Cela n’est pas l’exclusivité des startopeuuuu ou des PME.

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    • Mars, et yeah. Mars, et yeah.

      Vous avez raison Brallaisse, je le sais bien pour avoir évolué dans de tels groupes. Mais arrivé à cette échelle, croyez-moi la démarche de mise à pied conservatoire, pour brutale qu’elle ait l’air, n’a rien d’impulsive : elle nécessite d’avoir été soigneusement préparée et dûment étayée.

      Et cela, ça prend du temps : si j’en crois la chronologie des faits décrits ici, cela s’étend sur 2 voire 3 ans. Rien n’indique que ce M. Frédéric ait eu le même comportement auparavant. Claquer une durite / prendre un mauvais virage / virer vinaigre, ça arrive (ce qui n’excuse rien, s’entend).

      Ceci étant, pas de réponse sur le propos de cet article, autre que de jeter une opprobre très vendeuse, puisque sur la SOLEAM, en ce début d’année au sujet de personnes qui n’y travaillent plus (exception faite du Directeur Général).

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  3. Alceste. Alceste.

    Opprobe,concernant la Soleam est un pléonasme voire un synonyme.

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  4. Philippe Philippe

    je lis ici que “les présidences de ces organismes sont octroyées comme prébendes honorifiques et alimentaires à des politiques qui s’en désintéressent complètement.”. Je témoigne du contraire puisque j’ai été élu à la présidence de Marseille Aménagement en 2007. Mais j’en ai démissionné 6 mois après devant le front uni du directeur de cabinet du maire et du directeur général de la société. Entre temps j’avais saisi la Cour des comptes de l’incroyable situation de celle-ci. Mes rapports sont lisibles sur mon site. Les faits rapportés ici ne m’étonnent donc pas.

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    • barbapapa barbapapa

      L’url de votre site svp ?

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      Cette démission est toute à votre honneur et corrobore complètement les termes dans mon commentaire. Cette démission doit être un cas très particulier dans l’histoire de Marseille Aménagement et d’autres organismes similaires. Elle n’a pas dû souvent se reproduire. Je salue votre intégrité.

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    • ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

      La Gaudinie vous a fait comprendre de ne pas agir, que vous ne étiez là que pour organiser des cocktails. Vous avez préféré partir et c’est tout à votre honneur.
      Moraine, puis Chenoz, puis Moraine au contraire n’ont pas mordu la main qui les nourrit. LRP a mordillé un peu, dans un geste digne de Mazarin.
      Cela confirme le menfoutisme des GaudinBoyz Chenoz et Moraine : pas au courant, pas concerné, faites ça entre vous

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  5. didier L didier L

    … et pendant ce temps perdu à des embrouilles personnelles provoquées par un personnage toxique, comme il en extiste encore quelques uns à la mairie – un peu moins qu’il y a quelques années – que devenaient les dossiers en cours. Difficile de tout gérer les ego, les macho à la tête de services important et l’habitat indigne qui gangréne cette ville.

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  6. Zumbi Zumbi

    Faudrait aller voir du côté des hauts cadres de la Région, qui passent à l’essoreuse depuis l’arrivée d’Estrosi, puis Muselier. Mais on n’en parle qu’à mots couverts, “je te le dis mais ne le répète pas”…

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  7. GENIA GENIA

    Bizarre que quelque chose sorte de cette société qui règle ses problèmes à l’abri de tous, habituellement.
    Syndic bénévole d’un immeuble REHABILITE, en zone RHI, j’ai été littéralement persécutée par la SOLEAM, pendant une bonne vingtaine d’année, d’abord pour me faire démissionner, en rendant ma mission impossible, ensuite en gagnant des procès dont les arguments étaient des déformations de la réalité et même truffés de faux. Les mensonges et les scénarios inventés de toutes pièces l’on emporté en 5 mn lors de l’exposé verbal, annulant un dossier apportant toutes les preuves de mes allégations, plus la loi et les jurisprudences adaptés !
    Imaginez que vous soyez victime d”‘une autre entité et que ce soit vous qui deviez le payer ensuite ? Vous, vous ne pouvez pas croire que notre système judiciaire soit du même niveau que celui de la Russie ! Vous vous dites que cette société ne peut pas corrompre aussi bien le service publique que privé! Comment cela peut-il se produire dans un pays démocratique ? Comment ce fait-il que les “gros” peuvent encore se permettre d’écraser les plus faibles et vous sanctionner , vous spolier, puis arriver à vous réduire au silence par épuisement physique, moral et financier, avec l’assentiment des institutions légales. D’ailleurs, pour arriver à leur fin, ils sont capables de s’allier aux pires individus (exemple pou moi des marchands de sommeil)
    Il n’est pas une personne sur cette terre qui ne puisse pasadmettre mon statut de victime…………..Revenons à la SOLEAM : Ce cher Mr MIAUX a bien été partie prenante dans mon dossier, mais au lieu d’être équitable et juste, il a préféré choisir la malhonnêteté. Il faut bien que la paranoia puisse s’exprimer ! Il a embauché des avocats à son image, capables d’écraser ses adversaires, sans limites morales. D’ailleurs, mes propres défendeurs ont préféré eux-mêmes me trahir : C’est ça Marseille, une surface clean sur des réseaux dessous à l’esprit mafieux, y compris dans les institutions où l’on devrait être normalement irréprochable…
    Quand aux différents Présidents successifs de cette société, ils en ont strictement rien à fiche de ce type de problème….
    Alors Mr MIAUX, c’est quand même le chef d’orchestre la-bas.
    Il peut toujours actionner ses armes de destruction massives pour faire taire tous ceux qui osent dénoncer.
    Mais non, voyons, il peut compter sur l’omerta locale……

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