La réponse politique à la crise de l’habitat indigne balbutie encore

Décryptage
par Julien Vinzent & Benoît Gilles
le 26 Nov 2020
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Deux ans après les grandes annonces, la lutte contre l'habitat indigne est toujours un sujet prioritaire pour l'État, la Ville et la métropole. Pourtant rien n'a beaucoup avancé. Avec la venue de la ministre du logement, les trois institutions locales ont acté le copilotage du projet. Passage en revue en attendant du concret.

Les immeubles qui forment l
Les immeubles qui forment l'entrée de la rue de Versailles ont peu de chance d'éviter la démolition.

Les immeubles qui forment l'entrée de la rue de Versailles ont peu de chance d'éviter la démolition.

Depuis la préfecture ou le palais du Pharo, en novembre 2018, l’État et la métropole avaient promis des millions par centaines et de nouveaux outils pour faire une priorité de la lutte contre l’habitat indigne, après les huit morts de la rue d’Aubagne. Deux ans et une élection municipale plus tard, ce dossier prioritaire n’a pas beaucoup avancé dans le concret. En visite à Marseille ce mercredi, la ministre du logement ne l’a pas caché : “Deux ans après les événements, et après ma première venue en juillet, je suis là pour dresser un bilan avec vous des actions urgentes. Il est maintenant temps d’accélérer la mise en œuvre des actions prioritaires”.

Emmanuelle Wargon était en préfecture pour présider le comité de pilotage du projet partenarial d’aménagement, l’un des outils de ce nouveau meccano institutionnel. Marsactu ouvre cette boîte à outils pour faire le tour des sujets en cours.

Le retour de l’union sacrée

Un peu en décalage avec le ton de son discours dont les parties soulignées marquent la volonté d’avancées concrètes, Emmanuelle Wargon répond à la presse en présence de la maire de Marseille Michèle Rubirola et la présidente de la métropole Martine Vassal pour se réjouir. “Je suis satisfaite de la mobilisation de la Ville et de la métropole qui ont décidé de travailler en commun”, dit-elle en préambule. Effectivement, quelques instants plus tôt, la présidente Martine Vassal a proposé à la maire de Marseille de copiloter le projet partenarial d’aménagement aux côtés de la métropole et de l’État. “La métropole est un outil au service des communes, rappelle la présidente LR. La ville-centre doit redonner de la vie au centre-ville, nous attendons donc son projet”.

Pour sa part, Michèle Rubirola (Printemps marseillais) se dit tout aussi “satisfaite de cette journée”, même si au-delà du symbole, on ne sait comment ce copilotage va se traduire dans les différents outils techniques. Une fois, les deux élues parties, le discours ministériel s’infléchit tout de même et la satisfaction laisse la place à un discours plus volontariste : “On est bien dans la recherche d’une impulsion et de dynamisme”, reconnaît-elle, pour enfin passer à l’opérationnel alors que la ville se débat toujours dans le relogement des personnes évacuées après la rue d’Aubagne. Là-dessus, la répartition des rôles devrait également évoluer avec la mise en place d’une équipe de maîtrise d’œuvre urbaine et sociale, chargée par la métropole des opérations de relogement.

Un horizon vaste et une demande de “concret”

Le Copil du PPA ? Dans cette forêt de sigles qui a poussé autour de l’habitat indigne, les institutions ont tout de même choisi un nom, avec un logo, pour incarner leur démarche : Marseille Horizons, “comme une évocation des espérances de tout un chacun”, image la métropole sur son site. Ou de l’étendue couverte par cette stratégie commune : 15 ans et 1000 hectares englobant le centre-ville jusqu’à Bougainville, au Jarret et à la place Castellane.

Le périmètre du projet partenarial d’aménagement.

Au poste de pilotage ce mercredi, on trouvait les différents signataires de ce contrat, pour faire un premier point après son lancement le 15 juillet 2019 : l’État et ses agences nationales spécialisées sur la rénovation urbaine et l’habitat (ANRU et ANAH), les collectivités locales, Euroméditerranée, l’établissement public foncier, les bailleurs sociaux et la Banque des territoires. Mais pas d’associations, qu’elles soient de quartier ou de lutte contre le mal-logement.

Que dit la pilote des pilotes, Emmanuelle Wargon ? Le PPA doit “se traduire rapidement par des premières actions concrètes, sur le terrain, visibles pour les habitants. (…) Par actions concrètes, j’entends la définition d’un projet urbain, des modalités d’association des habitants, le relogement, et les premières actions d’aménagement à préparer et à lancer par la Société publique locale d’aménagement d’intérêt national, SPLA-IN).” Sur ce point, la ministre se dit tout à fait favorable à une association pleine et entière des associations “à la gouvernance du projet”. Reste à définir sous quelle forme.

La Spla-in se cherche une tête

Ce nouvel acteur de la lutte contre l’habitat indigne a un nom à coucher dehors mais il est signifiant. La société publique locale d’aménagement vaut surtout pour les deux dernières lettres de son acronyme, IN comme intérêt national. Ce qui n’est pas sans rappeler une autre opération d’intérêt national, Euroméditerranée, qui depuis 1995 déroule sur le front de mer, du J4 aux tours d’Arenc, avec des incursions jusqu’à la porte d’Aix.

À l’instar de la Soleam à la Plaine, Belsunce ou encore la Capelette, c’est cette société, avec ses agents, ses appels d’offres, qui appliquera dans le concret la stratégie du PPA. Ses agents, et notamment son directeur. Pour l’heure, la SPLA-IN n’a pas de tête. C’est Didier Kruger, un haut fonctionnaire en poste dans les Bouches-du-Rhône entre 2008 et 2011, qui assure l’intérim. “Ce n’est pas sain d’avoir une vacance trop longue”, prévient Emmanuelle Wargon, qui annonce une décision avant Noël sur ce poste-clé.

Depuis ce lundi, la présidence du conseil d’administration elle-même est dans le flou. Frédéric Guinieri, vice-président en charge de l’habitat et du logement à la métropole était pressenti. Sauf qu’il vient de donner sa démission de ce poste. “Ne vous inquiétez pas, il y aura quelqu’un de nommé à la place, balaie Martine Vassal. Nous ne manquons pas d’élus de talent.”

La Ville veut plus de poids

Comme son nom l’indique aussi, la SPLA-IN est publique car constituée à part inégale par la métropole, son principal actionnaire et l’État, qui y siège via Euroméditerranée. Le dernier actionnaire est la Ville de Marseille. Il y est entré après un bras de fer entre l’État et la métropole en 2019. Cette dernière entendait faire de cette société un outil d’intervention dans l’ensemble des communes de son périmètre comme à Marignane ou La Ciotat. Pour l’État au contraire, la priorité est Marseille.

À l’époque de ce combat, c’est Jean-Claude Gaudin qui était à l’hôtel de Ville. Le pied mis dans la SPLA-IN par la municipalité prend un sens encore plus stratégique avec l’avènement du Printemps Marseillais. Lequel a entamé de nouvelles négociations pour accroître son influence. “Nous souhaiterions effectivement voir la part de la Ville progresser, explique Mathilde Chaboche, adjointe à l’urbanisme, en marge du conseil municipal ce lundi. Nous souhaiterions également que les associations et habitants puissent participer aux comités de pilotage”. De son côté, Laure-Agnès Caradec qui pilote l’urbanisme à l’échelle du conseil de territoire de la métropole ne juge pas la demande de la ville illégitime : “La représentation de chaque membre dépend de sa participation au capital”, prévient-elle. Sous-entendu : si la Ville souhaite voir sa place réaffirmée, il faudra qu’elle remette au pot. Pour l’heure, cette question d’une nouvelle répartition des parts et donc des sièges n’est pas arrêtée.

La grande opération d’urbanisme à tout faire

Entre les plans dessinés par le PPA et leur réalisation par la SPLAIN, un dernier outil s’est glissé dans la boîte. Avec son cadre dérogatoire, la grande opération d’urbanisme (GOU) fait office d’accélérateur, de coupe-file dans les procédures habituelles. On retrouve là le fonctionnement d’Euroméditerranée, qui est seul maître à bord sur son périmètre pour les permis de construire, normalement signés par le maire, et a par exemple construit l’école Ruffi à la place de la Ville.

L’un des chantiers prioritaires de cette GOU concerne justement les écoles et notamment celles de la Belle de Mai, pleines à craquer. Et parmi les les écoles visées, la première qui devrait émerger est en elle-même un symbole : il s’agit de l’école National, situé sur le boulevard du même nom, dont le chantier est une pomme de discorde municipale depuis, au bas mot, 12 ans. Autant d’années au cours desquelles, les enseignants et parents d’élèves, relayés par l’opposition d’alors, demandaient un agrandissement et une mise aux normes de cet établissement scolaire esquiché dans une maison de ville. La Ville a fini par racheter en 2019 le garage attenant, non sans de longs tracas juridiques qui ont ralenti l’opération. Mais c’est donc la métropole qui finira le travail en s’emparant du chantier. Consolation pour la Ville : cela s’accompagnera d’un financement plus collectif.

Autre joyeuseté attendue depuis des lustres, la grande opération d’urbanisme a repris dans son giron la future maison pour tous du domaine Ventre. Ce petit quartier fermé au cœur de Noailles fait partie des quatre îlots démonstrateurs de la grande opération (avec la place Halle-Delacroix toujours à Noailles, ainsi que le secteur Hoche-Versailles et une partie de la Belle de Mai dans le 3e). Là encore, l’opération attendue depuis 20 ans lestée. Elle fait l’objet de trois recours de riverains devant le tribunal administratif, de discussions avec l’architecte des bâtiments de France et d’une interrogation durable sur le choix de cette implantation en bordure d’une résidence fermée. Au final, seule l’annexe réservée aux adolescents, rue de l’Arc, pourrait voir ses travaux démarrer dans les deux ans.

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Commentaires

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  1. 236 236

    Bonjour ! Ses agents, et notamment son directeur.

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  2. Alceste. Alceste.

    L’essentiel est fait, nous avons un logo.

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  3. Alceste. Alceste.

    Je viens de finir l’article des Échos concernant la situation de Marseille décrite par l’institut Montaigne. Cela fait peur, mais nous le savions en grande partie.. Deux commentaires ou trois : la gestion Gaudin et consorts odieuse, nos élites locales sont d’un niveau pitoyable, enfin merci aux Parisiens pour ce rapport vu que les “tronches” locales en sont incapables.
    Merci à Marsactu pour plus de détails du travail effectué en préfecture

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  4. 236 236

    Oui ça serait bien . Peut être aussi des infos sur le contrôle de légalité des collectivités comme la métropole par exemple, sujet déjà abordé par Jacques89

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  5. 236 236

    des délibérations des collectivités

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  6. Mars1 Mars1

    Merci pour cet article qui permet de mieux comprendre ce qui est en jeu en clarifiant notamment tous ces acronymes et sigles du jargon administratif.

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  7. jasmin jasmin

    C’est quoi le PPA? Est ce le projet qui définit le contour géographique de l’habitat indigne de Marseille? Si oui, pourquoi sur un probleme Marseillo-Marseillais, on a la métropole qui est dans le comité de pilotage et qui veut parler de Cassis ou d’ailleurs, alors que les deux autres acteurs Etat et municipalité sont d’accord pour dire que c’est un problème à Marseille? On voit bien qu’on a créé un monstre en transformant la métropole en guichet de distribution d’argent. Et en plus elle exige que la municipalité paie pour être partie prenante? Pourquoi le comite de pilotage doit avoir un directeur et un président de conseil d’administration, les deux vacants, et qui soit occupé par un haut fonctionnaire, nommé par la métropole?? Et pourquoi il faut un pilote des pilotes en la personne d’Emmanuelle Wargon?? J’espère que cette usine à gaz ne va pas finir en une énorme structure de gouvernance en multiples couches, et quatre pelés trois tondus à faire les travaux d’aménagement dans l’habitat indigne.

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    • jasmin jasmin

      Autant pour moi, j’ai trouvé dans le deuxième paragraphe que PPA doit vouloir dire Projet de Partenariat d’Aménagement. Désolée.

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  8. petitvelo petitvelo

    Hors de la GOU, point de salut !

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    • Jb de Cérou Jb de Cérou

      Désespérant.
      Encore un machin a faire présider par M. Royer Perreaut, homme sans passif ni passé…
      Pourquoi Euroméditérranée a un peu réussi: la réponse est simple; parce que l’Etat y était majoritaire et capable , grâce aussi aux financements qu’il apportait de faire prendre des décisions qui court-circuitaient les combines politiques locales. Il est bien connu que si Gaudin avait décidé seul… il n’y aurait pas de Mucem … ou on l’attendrait encore
      Avec un co-pilotage Ville-Métropole et un Etat minoritaire qui va pouvoir compter les coups, il est bien certain que Marseille Horizon est bien bouché;
      Avec un périmètre de 1000 ha quand on n’a pas été capable d’en rénover dix correctement….
      Etc… etc..;

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