[La Provence en toc] Comment le thym a réussi à faire reconnaître ses racines
L'été en Provence est propice aux marchés touristiques où les savonnettes authentiques côtoient les cigales en plâtre. Marsactu enquête sur cette Provence en toc aux parfums de contrefaçon. Retour sur la bataille des producteurs provençaux d'herbes aromatiques pour obtenir une indication géographique protégée pour leur thym.
Le thym de Provence certifié a fait son arrivée sur les étals en 2018. (Image LC)
L’été venu, il trône parmi les vedettes des vendeurs d’aromates. Le thym connaît avec la belle saison son heure de gloire, parsemé dans les ratatouilles, salades mais aussi grillades estivales, quand il n’infuse pas tout simplement dans les tisanes de fin de soirée. Pour trouver la précieuse farigoule, les flâneurs préfèreront aux flacons de grande distribution les étals des marchés et les sacs débordant d’épices et d’herbes alignés. Question origine du produit en revanche, le consommateur n’a pas toujours le choix. À Noailles, le thym est proposé en une seule variété et vient d’Espagne ou du Maroc, comme inscrit très honnêtement sur les étiquettes.
Il faut pousser jusqu’au marché des allées du Prado pour trouver le thym local. Sur un stand, au milieu des dizaines d’aromates proposés, le thym se taille une belle part, proposé en trois catégories : thym simple, thym de Provence, et thym de Provence bio, tout un programme. “C’est très rare que les gens posent des questions sur l’origine, observe le commerçant, Philippe Lhote. Je propose les trois pour que les gens aient le choix, mais le plus vendu c’est le thym de Provence”.
“Il vient véritablement de Provence”
En 2018, l’aromate a pris dans le Sud un statut tout particulier. Au terme d’années de combat, le thym de Provence a obtenu en février dernier son IGP, indication géographique protégée. Reconnaissance que l’aromate provençal est unique, et que ne peuvent se targuer de ce nom que les producteurs locaux. “On pouvait déjà parler de thym de Provence avant, mais là, il est protégé. Il y a un sacré cahier des charges, on est sûr quand on l’achète qu’il vient véritablement de Provence”, se félicite Nathalie Vuche,r membre de l’association interprofessionnelle des herbes de Provence (AIHP) qui a mené la bataille mais aussi principale architecte du cahier des charges en question.
Si le processus pour faire reconnaître la singularité du thym provençal a pris du temps, le consensus autour de sa définition a été simple, contrairement à d’autres produits comme le savon de Marseille où les producteurs butent depuis des années sur la recette à déposer. Faire certifier une herbe aromatique a été autrement plus simple. “On s’est appuyés sur une étude ethno-botanique qui montrait que le thym sauvage qui pousse spontanément dans la garrigue de Provence a une teneur extrêmement forte en carvacrol, ce qui le distingue fortement des autres thyms. Au nord le thym est plus doux”, précise la spécialiste.
C’est donc la teneur en carvacrol, un composé organique lié à l’exposition au soleil des plantes, très présent dans l’huiles essentielle de thym ou d’origan, qui fait l’exception. Viennent ensuite un mode de production très encadré (ramassage, séchage, tri), et un territoire délimité : la Provence, du sud de la Drôme jusqu’au Var à l’est, en empiétant un peu sur le Gard à l’ouest. Autour de la table pour monter le dossier, “des producteurs, des transformateurs, des metteurs en marché… L’amont, et l’aval”, détaille Nathalie Vucher.
La bataille perdue des herbes de Provence
En gravissant les échelons pour obtenir l’IGP, le thym de Provence et ses défenseurs ont dû faire face à plusieurs interrogations. Passés les comités français qui n’ont émis aucune objection, c’est du côté de l’Europe que des oppositions ont pris forme. “Il nous a fallu prouver que l’appellation “thym de Provence” n’est pas générique, contrairement aux herbes de Provence”, détaille Nathalie Vucher. Car la solidarité des acteurs du thym n’est certainement pas étrangère à un regret partagé par tous : avoir perdu un autre combat, celui des herbes de Provence, dès le début des années 2000.
“On ne voulait pas que la même chose arrive nous arrive pour le thym. Pour les herbes de Provence, la bataille était déjà perdue. On aurait pu essayer, mais, avec un petit pincement au cœur, on a su que ce serait trop difficile. On n’en produit pas assez en Provence pour justifier l’IGP”, narre la défenseuse des plantes aromatiques du cru. Malgré la création en 2003 d’un Label rouge pour certifier les mélanges d’herbes vraiment locaux, le terme “herbes de Provence” est considéré comme générique, c’est à dire qu’il n’est pas associé à un territoire donné. Comme la molécule d’un médicament générique, n’importe quel producteur d’aromates, allemand, grec ou marocain, peut vendre un mélange d’herbes sous cette appellation.
Interrogé, Philippe Lhote, le vendeur d’épices sur le Prado ne dit pas autre chose : “L’herbe de Provence, elle ne vient pas du tout de Provence. Elle vient souvent d’Espagne, du Maroc, mais surtout de Grèce. Elles sont meilleures là-bas il faut le dire, l’origan de Grèce est très réputé. Quand je fais ma commande, je demande des herbes de Provence, ce qui correspond en fait pour le fournisseur à “mélange grillade”; mais bon, les gens ont l’habitude de demander les herbes de Provence, donc on continue de l’appeler comme ça”.
Dans leur parcours pour certifier le thym provençal, les professionnels locaux ont d’ailleurs dû tirer un trait définitif sur la controverse. “Prouver que le thym de Provence n’est pas générique n’a pas été très compliqué, puisque les autres pays peuvent faire du thym tout court, se souvient Nathalie Vucher. Mais après, quand on pensait que c’était bon, l’Allemagne a fait opposition parce qu’elle craignait qu’en reconnaissant le thym de Provence, on ne pourrait plus associer “Provence” aux herbes. Les autorités françaises ont dû les rassurer sur le fait qu’herbes de Provence resterait générique”. Ce dernier doute levé, l’accession à l’IGP était acquise.
Convaincre les consommateurs
Un soulagement pour les producteurs et revendeurs provençaux. “Il commençait à y avoir des usurpations flagrantes, avec des produits du Maroc estampillés Provence”, déplore la spécialiste. Mais si, sur les étals on retrouve beaucoup de thym marocain et espagnol, comme celui vendu par Philippe Lhote par exemple -“mes fournisseurs ne précisent pas d’où c’est mais ça fait quarante ans que je fais ce métier. Il vient d’Espagne, je le sais à force”- la vraie concurrence est de l’autre côté de la boussole : en Pologne, passé premier producteur mondial.
Reste désormais à convaincre le consommateur de regarder plus attentivement les étiquettes. Nathalie Vucher est optimiste. “Les consommateurs sont très demandeurs, ils veulent de plus en plus des produits identifiés”, estime celle qui siège par ailleurs aussi sein de l’INAO, l’institut national des appellations d’origine, en tant que présidente du conseil des agréments et des contrôles.
Pour la question du prix en revanche, un peu de pédagogie s’avère nécessaire. À titre d’exemple, Philippe Lhote vend 50 grammes de son thym d’Espagne à 1,80 euros contre 2,50 pour le thym de Provence. Mais Nathalie Vucher compte sur le bon sens des consommateurs. “Le thym de Provence est deux à quatre fois plus riche en huiles essentielles que les autres, donc forcément on en met moins. Même moi qui suis une grosse consommatrice, un flacon me dure toute l’année, donc sur l’année que vous payiez 2 ou 4 euros si vous en utilisez moins, ça revient au même. Et pour ce prix, on maintient un producteur sur sa terre et on encourage des circuits courts”.
Du thym presque comme au naturel
Quand on regarde du côté du thym de Provence bio, le montant grimpe davantage. À 3 euros sur cet étal, le même marchand reconnaît que “c’est trop cher pour la plupart des gens”. Sur ce sujet, Nathalie Vucher relativise l’enjeu : “Le mode de production que nous avons fixé pour l’IGP est très proche d’une pousse naturelle dans la garrigue, ce sont des semences fermières, un thym qui se développe presque tout seul grâce à l’ensoleillement. On peut avoir la certification bio en plus, mais c’est presque redondant, estime-t-elle. Forcément, ce n’est pas la même production qu’en Pologne où ils doivent arroser sans cesse, c’est presque de l’herbe après !”
Que ce soit sur les marchés ou en grandes et moyennes surfaces, le thym de Provence devrait donc se tailler sa part de marché dans les années à venir. Prochain combat envisagé par l’association : l’origan de Provence. Lui aussi possède cet ingrédient secret que le monde nous envie : le soleil de Provence.
Commentaires
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C’est bien que la Provence ait obtenu cette IGP, mais à mon avis, on trouve du thym d’excellente qualité partout en Méditerranée, Corse, Espagne, Italie, Grèce, Turquie… le thym développe des aromes exceptionnels au soleil lorsqu’il n’est pas arrosé (il ne faut pas la sécheresse non plus, l’an dernier le thym était famélique dans la nature)
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Les producteurs Provençaux de thym ont réussis à se préserver , les fabricants de calissons aussi, bravo à eux , c’est quelque part une reconnaissance de leur travail . Et nos savonniers marseillais en sont toujours au même point , c’est à dire nulle part sur la protection de leur savoir-faire.
Quel dommage de laisser partir en biberine ce fabuleux produit.
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