La mobilisation des profs de l’éducation prioritaire s’ancre dans la durée
Mobilisés depuis la mi-mars, les professeurs des collèges ont parcouru les rues de Marseille mardi. Ils constatent une baisse de moyens qui les contraint à abandonner certains projets pédagogiques.
Les enseignants ont défilé de l'avenue de la Corse jusqu'à la gare Saint-Charles mardi. (Photo : Suzanne Leenhardt)
Un chant de stade de foot résonne avenue de la Corse. “Jean-Michel Blanquer, tu nous mets les nerfs, on va te faire la misère “, entonne une centaine de personnes sur un air qui vise d’habitude le président du club lyonnais. Au départ du collège Gaston-Defferre, des professeurs marseillais se mettent en marche, banderoles et pancartes en main, vers les bureaux de la direction des services départementaux de l’Éducation nationale (DSDEN), du côté de la gare Saint-Charles.
Rosa-Parks, Quinet, Renoir, Wallon, Belle-de-Mai, Monticelli, Rimbaud, la majorité d’entre eux travaillent dans des établissements membres du “réseau d’éducation prioritaire” (REP et REP +), où les élèves connaissent plus de difficultés qu’ailleurs. Depuis le 14 mars, une grève perlée s’est mise en place à raison d’un collège par jour. Point d’orgue de cette mobilisation : l’appel à manifester de l’intersyndicale Sud, CGT Education, CNT-SO, ce mardi 29 mars. Ils dénoncent le manque de moyens et l’impact sur l’enseignement délivré aux collégiens.
Une baisse de la dotation et une augmentation des effectifs
Comme chaque année, les collèges se voient attribuer un nombre d’heures, allouées par semaine pour la rentrée scolaire prochaine. Cette dotation horaire globale (DHG) est calculée en fonction de divers critères : nombre d’élèves projeté, projet pédagogique, classement en éducation prioritaire ou non. Dans une réponse écrite, Véronique Blua, directrice académique adjointe des services de l’Éducation nationale indique à Marsactu que l’enveloppe a augmenté et est dotée de 100 000 heures pour la rentrée 2022 pour tout le département.
“On prend 14% de plus en effectif, et on perd la moitié en heures.
Jean-François Negri (Sud éducation)
Pourtant, dans le cortège, le constat est unanime : vu depuis les collèges, la dotation baisse depuis plusieurs années, alors que l’effectif des élèves, lui, augmente. “On prend 14% de plus en effectif, et on perd la moitié en heures, illustre Jean-François Negri, syndiqué Sud éducation et professeur d’Histoire-géographie au collège Renoir (13e). C’est une gestion de la misère liée à ce qu’attribue le ministère”.
Il revient au chef d’établissement de dispatcher ces heures entre les disciplines obligatoires et les projets du collège comme les options. Et si la dotation diminue, il faut bien rogner quelque part. “Ça part en pugilat entre disciplines“, déplore un prof de lettres. Souvent, c’est le dédoublement des classes en demi-groupe qui est supprimé. Un temps où les enseignants pouvaient porter une attention particulière aux élèves, regrettent-ils. Et mettre en place des travaux pratiques, notamment en sciences.
Autres conséquences de la diminution de ces heures : la suppression de classes et de postes d’enseignants. Antoine Nicoud-Morabito, prof de français au collège Defferre, est remonté. “On nous vend une inclusion humaniste, mais c’est plutôt une inclusion chiffrée“, grince-t-il, pendant la marche. Dans son collège, la projection pour la rentrée scolaire 2022 s’élève à 519 élèves, tous niveaux confondus. Deux classes vont fermer et un poste d’enseignant sera supprimé. Le professeur s’attend à avoir 29 à 30 élèves par groupe. “Nous avons la chance d’accueillir des élèves non-voyants dans le collège. Nous aurons forcément moins de temps à leur accorder“, se désole-t-il.
Le constat alarmant du retard des élèves
Le cortège marque une pause sous l’ombrière du Vieux-Port, le temps de former des cercles et de scander en rythme : “Donnez nous des moyens, nos élèves en ont besoin“. Le soleil est déjà bien haut quand le défilé arrive à la porte d’Aix. Il semble redonner de l’énergie aux manifestants qui enchaînent les slogans mais aussi à la foule environnante. Un badaud euphorique se greffe à la foule en levant les bras, tout sourire.
On sent les effets des deux dernières années, les résultats du brevet blanc sont dans le rouge.
Un prof d’histoire-géographie
“On est contents, c’est un mouvement qui a démarré depuis 15 jours. Mais dans la campagne présidentielle, on n’en parle pas alors que c’est un sujet qui concerne toute la société“, regrette Julien Huard, documentaliste au collège Rosa-Parks. Avec la pandémie, les confinements et l’enseignement à distance, le retard s’est accumulé. Un groupe d’enseignants du collège Belle-de-Mai s’alarme particulièrement du niveau des élèves dans ce quartier de Marseille. “On sent les effets des deux dernières années, les résultats du brevet blanc sont dans le rouge”, explique un prof d’histoire-géographie. Et les disparités sont énormes dans la maîtrise de la langue française, insistent ces professeurs.
Quelques enseignants de lycées parsèment le cortège. Ils sont là par solidarité, mais aussi parce que les enfants des collèges présents sont leurs futurs élèves. Deux profs du lycée Victor-Hugo ont fait le déplacement. Ils dénoncent les suppressions d’options, comme celle d’audiovisuel dans leur lycée. “Ce sont des espaces où les élèves se ventilent le cœur“, image Franck Malige, professeur de maths.
Une marge de manœuvre de 100 heures
Le trajet jusqu’au boulevard Charles-Nédelec aura permis à presque tous les collèges de prendre la parole au microphone. Arrivés devant la DSDEN, la police stationne sur le trottoir à l’entrée pour empêcher les manifestants de s’approcher. “Envoyer une police prête à en découdre pour une manifestation d’enseignants je n’ai jamais vu ça“, peste un prof de français. Des têtes s’approchent des fenêtres au cinquième étage de l’immeuble.
Comme prévu, une délégation composée d’un représentant des collèges Defferre, Monticelli, Prévert, Parks et Renoir, a été reçue. “On a été écoutés, peu entendus“, juge l’un d’entre eux. Les différents syndicats se sont réunis en assemblée générale et ont décidé de continuer les grèves à la chaîne. “On n’est pas satisfaits, l’idée c’est de continuer dans cette dynamique“, abonde Jean-François Negri (Sud). De son côté, la direction des services départementaux de l’Éducation nationale indique avoir gardé une enveloppe de 100 heures hebdomadaires pour “assurer des ajustements au cours du mois de juin“. Reste à voir comment elles seront réparties.
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