La justice interroge la viabilité écologique de la centrale biomasse de Gardanne

Décryptage
le 23 Oct 2023
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À la fin d'une saga judiciaire de six ans, la centrale de Gardanne sera fixée le 10 novembre sur son autorisation d'exploiter. Devant la cour administrative d'appel de Marseille, le rapporteur public a demandé une régularisation, mais assortie d'une nouvelle enquête publique et d'une étude d'impact étendue à la question des forêts.

Rassemblement des associations environnementales opposées à la centrale de Gardanne le 20 octobre 2023 à proximité de la Cour administrative d
Rassemblement des associations environnementales opposées à la centrale de Gardanne le 20 octobre 2023 à proximité de la Cour administrative d'appel. Photo : PID.

Rassemblement des associations environnementales opposées à la centrale de Gardanne le 20 octobre 2023 à proximité de la Cour administrative d'appel. Photo : PID.

“Sommes-nous face à une aberration écologique comme l’affirment les associations requérantes ?” La question est formulée par Olivier Guillaumont, rapporteur public à la cour administrative d’appel de Marseille, dont le rôle est d’éclairer les magistrats dans leur décision. Le dossier de la centrale biomasse de Gardanne-Meyreuil est examiné une ultime fois par cette instance ce vendredi 20 octobre. Convertie du charbon au bois depuis une décennie, son unité “Provence 4” est vertement critiquée par une demi-douzaine d’associations environnementales pour ses incidences négatives sur les forêts.

Avec 850 000 tonnes de bois annuelles appelées à y être brulés, dont la moitié issue de ressources forestières, il y a effectivement de quoi s’interroger sur les impacts de cette “mégacentrale”. Elle est notamment accusée par ses opposants de favoriser la déforestation par sa gloutonnerie. L’affaire occupe la justice administrative depuis 2017, initiée par un recours partagé des associations, des parc naturels régionaux du Verdon et du Luberon, d’un syndicat de travailleurs forestiers (le SNUPFEN) et de deux communautés de communes des Alpes-de-Haute-Provence.

“Les effets sur les massifs forestiers doivent être analysés”

En mars 2023, le Conseil d’État a confirmé la première décision du tribunal administratif de Marseille (cassée en appel en 2020) qui avait annulé l’autorisation d’exploitation de “Provence 4”. Depuis 2019, elle est la propriété de Gazel énergie filiale du groupe EPH du magnat tchèque Daniel Křetínský. La décision de première instance justifiait une “insuffisance de l’étude d’impact”, menée préalablement à l’autorisation préfectorale de 2012, qui ne prenait pas en compte les conséquences induites sur les forêts. L’audience de ce vendredi doit donc permettre de préciser les suites réglementaires à l’arrêt du conseil d’État. L’unité biomasse pourrait être autorisée à poursuivre son activité moyennant une autorisation provisoire et une régularisation de sa situation, ou se voir contrainte de stopper la chaudière et de reprendre sa demande réglementaire à zéro.

Ce projet nécessiterait un débat national.

Olivier Guillaumont, rapporteur public

À quatre reprises la même rhétorique de “l’aberration écologique” revient lors de l’énonciation des conclusions du rapporteur public devant les juges. “Nous ne l’affirmerons pas. Nous n’affirmerons pas non plus le contraire. L’étude d’impact ne permet pas de le dire. Et c’est bien ce qu’on lui reproche”, poursuit-il. “Les effets sur les massifs forestiers locaux doivent être analysés. Je suis convaincu de la justesse de ce raisonnement”, déclare-t-il en reprenant les motivations du Conseil d’État. “De quels massifs forestiers parle-t-on ? Les conditions des coupes sont inconnues. Est-ce que ce sont des coupes rases ? Est-ce que ce sont des forêts matures ou de jeunes forêts pour lesquelles il y a moins d’enjeux ? Et quelle est la qualité des essences d’arbres ?”, questionne-t-il en rafale pour souligner ce qui aurait dû être étudié avant que la conversion puisse être autorisée.

Une réflexion qui tranche avec celle tenue il y a trois ans dans la même salle, à l’occasion d’une audience en appel dont le résultat avait donné tort aux requérants. Le rapporteur public de cette époque-là avait alors considéré l’étude d’impact suffisante. “Les opérations d’exploitation forestière ne sont pas de la responsabilité [de l’exploitant de la centrale] mais des exploitants forestiers qui sont encadrés par le Code forestier”, avait-il argumenté.

“Le changement climatique bouscule nos référentiels”

En ce 20 octobre 2023, “le changement climatique bouscule nécessairement nos référentiels”, considère plutôt Olivier Guillaumont, qui, lui, lie la responsabilité de l’énergéticien à celle des exploitants forestiers. Il rejette une “stratégie du sous-traitant” qui considère “qu’un groupe industriel n’est pas responsable”. L’analyse des incidences doit de son point de vue se faire sur l’ensemble des fournitures, y compris étrangères. Or Gazel énergie continue d’importer la moitié de ses besoins, notamment du Brésil, comme l’a raconté récemment Marsactu. “L’impact sur le rejet du CO2 est significatif, quel que soit le lieu de provenance”, précise-t-il. À ce titre, “l’empreinte carbone du transport par bateaux et camions n’est pas évaluée”, ajoute-t-il.

Le rapporteur public rappelle également toutes les fonctions de la forêt qu’il conviendrait de ne pas heurter : puits de carbone, fixation des sols, rétention de l’eau. Puis, il cite comme aiguillon la Charte de l’Environnement intégrée au bloc constitutionnel par un vote du parlement en 2005 :

“Qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins.”

Olivier Guillaumont questionne même le bien fondé de la méthode pour produire de l’électricité. “Brûler du bois, notamment noble ? Il y a mieux à faire pour valoriser le bois”, argumente-t-il. C’est le fond de l’argumentaire des associations qui est repris ici, par lequel elles affirment qu’une priorité à des usages durables doit être donnée plutôt qu’à le faire partir en fumée. “D’abord pour le bois d’œuvre, après pour le bois industrie et ensuite le bois énergie”, liste Eric Posak, l’avocat de FNE Alpes-de-Hautes-Provence, du SNUPFEN et de trois associations de Gardanne et des Cévennes. “Ce projet nécessiterait un débat national”, affirme le rapporteur public. Qui n’a donc jamais eu lieu.

Vers une nouvelle enquête publique ?

Le magistrat demande aux juges d’imposer une régularisation de l’arrêté préfectoral autorisant l’exploitation via “la reprise d’une étude d’impact” suivi d’une “nouvelle enquête publique” comme cela est obligatoire. Celles-ci seraient donc étendues aux territoires concernés par l’exploitation forestière dans un rayon de 250 kilomètres autour de Gardanne et devraient faire part d’éléments sur les fournitures étrangères.

L’avocat de Gazel énergie prend la parole pour “confirmer que la société a la volonté résolue de procéder à la régularisation par une nouvelle étude d’impact. Nous sommes preneurs du degré d’exigence que vous pourrez prendre dans votre décision”, adresse Frédéric Defradas aux juges.

Du côté des requérants, on essaie d’enfoncer le clou pour obtenir l’arrêt de “Provence 4”. “Je considère qu’il n’y a aucun élément qui ne fasse obstacle à ce que l’on suspende l’exploitation. Dans le cas de figure où tout est à refaire, on peut se poser la question d’annuler l’arrêté préfectoral. On n’a aucun élément d’analyse d’impact de cette centrale”, plaide l’avocat Mathieu Victoria qui représente France nature environnement Bouches-du-Rhône (FNE 13) et l’association Convergence écologique du pays de Gardanne.

Son confrère Eric Posak insiste, lui, sur la contribution au changement climatique de l’unité biomasse. “Aujourd’hui encore, son rendement énergétique est bien plus bas que la prévision [36%, ndlr], de l’ordre de 23%. Le problème c’est que la majeure partie de la biomasse brulée part dans l’atmosphère et contribue à l’alimenter en gaz à effets de serre”, argumente-t-il, avant de rappeler le recours à une part de charbon dans la chaudière. “15% ce n’est pas mineur. Ça veut dire qu’elle fonctionne en grande partie avec de l’énergie fossile”, conclut-il.

La décision de la cour administrative est mise en délibérée au 10 novembre prochain. Les associations voient en elle l’opportunité d’assoir une jurisprudence majeure au sujet d’industries de grande taille. “Si la décision suit le rapporteur public, ce serait un bond en avant énorme. Le droit ne prendrait plus seulement en compte les incidences directes dans un périmètre autour des installations industrielles mais pourrait aussi considérer celles relatives à l’exploitation des matières premières”, analyse Mathieu Victoria à la sortie de l’audience.

Une nouvelle étape de mise en conformité réglementaire ajouterait une difficulté supplémentaire vers l’avenir incertain de la centrale de Gardanne, qui ne fonctionne toujours pas en continu. La CGT du site, accusée de souffler sur les braises du mouvement social et la direction, pointée pour avoir rompu son contrat d’achat d’électricité à tarif garanti pour aller sur un marché aux prix volatiles, se renvoient la responsabilité de l’échec.

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Commentaires

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  1. jack13 jack13

    Cette entreprise qui ne respecte pas le contrat qui lui a permis de prendre la suite de l’ancien propriétaire a-t-elle malgré tout touché des subventions publiques?
    Par ailleurs est-elle en charge de la dépollution du site en cas d’arrêt d’activité ou de changement de destination?
    J’ai cru comprendre que leur rapport d’activité envoyé au préfet n’est pas rendu publique, y a-t-il moyen d’avoir plus de transparence sur les carburants (provenance du bois et du charbon)?

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