La guéguerre entre Marseille et la région prive-t-elle la posidonie d’une aide de l’Europe ?

Herbiers de posidonie. Photo d'illustration. Benjamin L. Jones

Tout commence, du moins publiquement, lors d’une conférence de presse au mois d’octobre 2023. La rencontre préfigure la séance du conseil régional et son président (Renaissance) Renaud Muselier, est bien décidé à tirer dans les pattes de l’équipe municipale marseillaise. Parmi les critiques, il déplore l’absence de sollicitation par la Ville des fonds européens, ceux-là même que sa collectivité distribue. À ce sujet, il cite un exemple : “Ils viennent de perdre 600 000 euros sur un dossier posidonie, car le document déposé n’a jamais été signé, malgré nos relances.” En décembre, l’élu en remet une couche, à 200 000 euros près, dans un courrier au maire Benoît Payan (divers gauche) : “L’absence de signature sur un document officiel en septembre 2023, malgré nos alertes répétées, vous a fait perdre 412 100 euros de crédits européens pour sauver les posidonies”, y écrit le président de la région PACA, avant d’envoyer sa lettre à la presse.

Interrogé dans la foulée à ce sujet, l’adjoint au maire chargé du littoral et de la mer, Hervé Menchon, partageait dans un premier temps sa surprise. “Je ne vois pas du tout de quoi il parle”. La Ville a bien un plan pour cette herbe marine protégée et menacée, essentielle pour l’écosystème local. Mais l’élu dit ne pas se souvenir de s’être vu proposer une telle somme de la part de la région. C’est dans l’hémicycle municipal que les joutes se poursuivent ensuite. Le 15 décembre dernier, Hervé Menchon y présente le fameux plan posidonie. “Je tiens à ce que nous nous félicitions pour l’inscription au plan pluriannuel d’investissement d’un plan posidonie”, entame l’adjoint qui déroule ensuite ses objectifs de “protection et préservation de la posidonie. […] que nous aimons tous, Quelles que soient les collectivités.” Rien qui puisse calmer l’opposition.

Un plan posidonie à trois grands axes

Ce plan posidonie se fixe pour objectif d“‘étudier et protéger cette plante marine”, de “rechercher des solutions pour la restauration de l’herbier“ et enfin de “sensibiliser” les citoyens à sa valeur écologique. Selon les chiffres diffusés par la mairie, à Marseille, l’herbier de posidonie s’étend sur “plus de 100 hectares autour du Frioul, 400 autour de l’archipel de Riou le long du littoral des Calanques et sur une centaine d’hectares sur la zone du grand port maritime”. Pilier de l’écosystème local, la posidonie constitue aussi un puits de carbone utile dans la lutte contre le réchauffement climatique.

“S’il y a eu une erreur, je veux savoir où”

Sur le même registre que Renaud Muselier, Isabelle Campagnola Savon, membre de l’opposition et par ailleurs conseillère régionale, prend le relais. Face à ces attaques répétées, Hervé Menchon tente de noyer le poisson. Il rappelle ainsi les 70 000 euros accordés par le secrétariat d’État à la mer pour ce plan de sauvegarde écologique ainsi que l’engagement de la région à hauteur de 187 500 euros, sur un total d’1,5 million, puis conclut : “Nous avons monté plusieurs dossiers de demandes de subvention de différents fonds, nous recherchons toujours un taux de subvention maximal. Mais même si ce plan n’était pas subventionné, il serait financé par la Ville de Marseille.” Au sein de cette dernière, il semblerait pourtant qu’un loup persiste.

Croisé quelques jours plus tard en marge de la venue du secrétaire d’État à la mer, l’adjoint au littoral marseillais informe Marsactu qu’une enquête administrative est en cours sur le sujet. Hervé Menchon ne nie plus qu’une absence de signature, ou plutôt, une signature effectuée par la mauvaise personne au sein de ses services ait pu porter préjudice à une demande de subvention. “S’il y a eu une erreur quelque part, il faut que je le sache”, lâche Hervé Menchon qui n’écarte pas pour autant l’éventualité “d’un sabotage” de la part de la région qui chercherait absolument à polémiquer. “Je n’ai eu aucun échange avec eux, pourquoi n’ont-ils pas décroché leur téléphone pour m’en parler s’il y avait un problème ?”, s’interroge-t-il.

“Tous les documents sont à votre disposition”… ou pas

Contacté, Christophe Madrolle, président de la commission mer et littoral à la région, refuse de s’exprimer sur le sujet. “Ils ont merdé, ils ont merdé. S’ils ne le reconnaissent pas, ce n’est plus mon problème”, expédie-t-il. Fin décembre, le conseiller régional apportait pourtant son grain de sel à la polémique sur les réseaux sociaux. “Le dossier de subvention […] est incomplet et malgré les diverses relances des services de la région, aucune nouvelle… Et donc la Ville de Marseille a perdu au minimum 400 000 euros. Tous les documents sont à votre disposition”, écrit-il à l’adresse d’Hervé Menchon sur X (ex-Twitter). Des documents dont il refuse aujourd’hui de faire part à Marsactu pour appuyer ses dires.

Hallucinant,@Menchon_Herve le dossier de subvention 🇪🇺pour la posidonie déposé par @JCanicave est incomplet et malgré les diverses relances des services région aucune nouvelle …et donc la ville de @Marseille perdu au minimum 400000 euros.tous les docs sont à votre disposition. pic.twitter.com/D5VE0iRYkh

— Christophe Madrolle (@cmadrolle) December 18, 2023

Contacté, Joël Canicave, l’adjoint aux finances, n’a pas répondu dans les délais – restreints – impartis à la publication de cet article. Idem pour l’antenne basée à Marseille de la commission européenne. “Qu’ils me disent où [nous avons commis une erreur] s’ils le savent”, continue de se défendre de son côté Hervé Menchon, l’adjoint municipal à la mer. L’enquête interne devrait bien finir par répondre à cette question. Mais les conclusions de celle-ci seront, contrairement aux prémices de cette histoire, probablement discutées en sous-marin.