La grève chez Aix en bus, révélateur d’un service public à la peine

Actualité
le 9 Mai 2022
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Depuis lundi 2 mai, environ 120 grévistes de Keolis paralysent les lignes de bus du pays d'Aix, et une cinquantaine bloque le dépôt. Ils dénoncent des conditions de travail et un service dégradés depuis 2019.

La grève chez Aix en bus, révélateur d’un service public à la peine
La grève chez Aix en bus, révélateur d’un service public à la peine

La grève chez Aix en bus, révélateur d’un service public à la peine

3, 4, 5, 6, 7… En tout, 16 lignes du réseau aixois sont coupées. Depuis lundi 2 mai, environ 120 grévistes paralysent le pays d’Aix. Aucun véhicule ne prend la route : le dépôt est bloqué par une cinquantaine de salariés, au grand dam des utilisateurs qui se plaignaient déjà d’une dégradation du service. Sur le piquet de grève, ils s’appellent tous “David” : tous, ou presque, souhaitent rester anonymes “par peur des représailles“. Ils dénoncent une “dictature” de la direction de Keolis, l’entreprise qui exploite via une délégation de service public la majeure partie des lignes d’Aix en Bus. Sous les tonnelles, un café latte sucré brûlant dans les mains, les “David” accumulent les exemples.

En ligne de mire : les conditions de travail “infernales” d’après Miloud Laroui, délégué de la CGT. L’absentéisme constitue le problème central ; tout le monde est d’accord, directeur comme employés. Mais pas sur les causes. Pour Vincent Nicolau-Guillaumet, à la tête de la filiale aixoise, c’est surtout le Covid qui a provoqué de nombreux arrêts-maladie. Quant au taux d’absentéisme élevé, il s’agit d’une difficulté “inhérente au secteur d’activité“, souligne-t-il.

Un climat “nauséabond” pour un service public dégradé

Les “David”, eux, expliquent que les arrêts maladie sont des burn-out, causes directes d’un climat “nauséabond” avec la direction. “C’est la maladie du ras-le-bol. Si je n’avais pas été arrêté, j’aurais écrasé quelqu’un“, éructe l’un d’eux, en poste depuis presque 20 ans. Un second s’est bloqué le dos. “On vient la boule au ventre“, raconte un autre. Un plus jeune a pris des congés parce qu’il était “en dépression“. Au final, environ 20 % des salariés seraient en arrêt maladie selon la CGT.

Une conductrice explique se retenir de boire pendant les services pour éviter d’être en retard en cas de pause aux toilettes.

Les grévistes dénoncent des cadences de travail trop fortes. “Fliqués comme des minots” par des managers “cachés” et à l’affut de la moindre faute, ils racontent avoir des temps de pause inexistants. Cécile C., conductrice à Aix depuis une vingtaine d’années, explique se retenir de boire lors de ses trajets. Pour ne pas aller aux toilettes et ainsi ne pas être trop en retard sur les horaires. “Je fais des cystites à répétition“, confie-t-elle.

Malades, absents ou fatigués, tout cela se traduit par un service public affaibli. “S’il y a un absent à la prise de service, il y a un véhicule de moins à la ligne“, reconnaît le directeur de la filiale aixoise. Résultat : des retards et des clients mécontents. “Selon les lignes, le temps d’attente des passagers peut aller de 15 minutes à 40 minutes“, explique Miloud Laroui.

Changement de conditions en 2019

Depuis le renouvellement de la délégation de service public (DSP) en 2019, “tout a empiré“, dénonce le délégué syndical de la CGT. En concurrence avec Transdev pour le renouvellement du marché en 2018, Keolis, qui en était déjà titulaire depuis 2012, a proposé une offre basée sur un nombre de conducteurs sensiblement plus faible : 382 contre 416 auparavant. Même si le service demandé était plus important, les charges de personnel étaient ainsi globalement réduites de 11 %. La métropole a jugé que ces effectifs étaient adaptés au réseau.

Pour Miloud Laroui, le tournant a été très clair : “J’ai vu les choses se dégrader en quatre ans, avant on roulait bien. Depuis la DSP en 2019, ils ont voulu amortir sur le dos des salariés, au détriment de la sécurité”.

Du côté de la direction, Vincent Nicolau-Guillaumet assure que les difficultés ne sont pas à chercher de ce côté-là. “Il ne faut pas prendre un chiffre comme ça, pour dire que l’offre est la même mais qu’on prend moins de gens”, balaye-t-il, évoquant notamment l’arrivée des bus à haut niveau de service BHNS Aixpress, dont il n’a pas la gestion. À ses yeux, les effectifs actuels sont suffisants… tant qu’il n’y a pas d’absent. “J’ai le volume suffisant normalement, mais l’absentéisme fait que je ne peux pas le réaliser et j’adapte le réseau”, assure-t-il. Les recrutements en CDD sont tout de même réguliers. “On a du mal à en trouver”, reconnaît le directeur. L’un des formateurs grévistes va jusqu’à dire qu’”ils prennent tout et n’importe quoi (sic) pour conduire les bus maintenant. Surtout n’importe quoi.

La métropole reste à distance

Le sujet de la grève a été évoqué jeudi en conseil métropolitain. “La métropole gère ce service, il faut une intervention“, a demandé Claudie Hubert, conseillère municipale à Aix issue de la liste d’opposition Aix-en-Partage. Henri Pons, vice-président de la métropole délégué aux transports et à la mobilité durable, lui a répondu faire “les efforts maximum” pour régler la situation. Bien que responsable du réseau, l’institution reste globalement hors du conflit entre Keolis et ses salariés. Les “David” avaient pourtant envoyé une lettre d’interpellation à Martine Vassal, présidente de la métropole. Ils n’ont pas reçu de réponse.

Il y a une continuité du service, puisque 35 % du pays d’Aix bénéficie d’un service minimum“, explique-t-on à la métropole, qui “ne peut pas intervenir dans des discussions qui concernent des délégataires“. La métropole n’a pas “les marges de manœuvre nécessaires“, et rappelle que le secteur est “en tension, comme dans beaucoup de villes de France“. La mairie d’Aix, pour sa part, n’a pas souhaité commenter la situation auprès de Marsactu.

La direction refuse de négocier tant que le blocage se poursuit.

À ce stade, rien ne bouge. Les grévistes veulent négocier avec la direction avant de lever le blocage du dépôt. À l’inverse, le directeur refuse de discuter dans ces conditions : “On subit depuis le 2 mai une atteinte à la liberté de travailler. 80 salariés environ par jour qui souhaitent travailler et ne peuvent pas”. Évoquer le sujet des salaires, dans le cadre des négociations annuelles, fait partie des propositions de la direction. Mais parmi les grévistes, la défiance est forte après de précédentes mobilisations qui n’ont pas abouti.

Alors, ils continuent de tenir leur piquet. À quelques mètres des grévistes, une voiture passe, vuvuzela hurlant à la fenêtre pour les soutenir. Après ces quelques jours de mobilisation, certains promettent de partir de Keolis dès que possible, peut-être vers Marseille et la RTM. D’autres se cramponnent à leur ancienneté. Les derniers espèrent une reconversion.

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Commentaires

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  1. Richard Mouren Richard Mouren

    Ainsi vont les services publics dans notre belle “start-up nation”: hôpitaux, transports urbains, etc. Tous doivent être rentables puisque la doxa est la baisse des impôts. On prend le moins disant dans les DSP et on peut se glorifier ensuite des “économies” ainsi faites.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      On prend tellement le moins disant que, parfois, on prend celui qui affiche fièrement des prix cassés grâce au sacrifice du Code du travail et de la sécurité des usagers : https://marsactu.fr/le-prefet-immobilise-140-autocars-suma-pour-sanctionner-une-fraude-massive/

      Et les grands groupes, qui n’ont de “privés” que le nom (Keolis est filiale de la SNCF, donc de l’Etat, Transdev est filiale de la Caisse des Dépôts, donc de l’Etat), doivent tenter de s’aligner sur l’exigence du prix le plus bas.

      Au bout du bout, ce sont le salarié et l’usager qui trinquent.

      Cette grève met en évidence le sous-financement dont souffre le transport collectif dans notre pays, alors qu’il devrait bénéficier d’un effort massif si l’on veut décarboner la mobilité.

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  2. uneetoilefilante uneetoilefilante

    Keolis, c’est une filiale de la SNCF ou je me trompe ?

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Oui : 70 % SNCF et 30 % Caisse de Dépôts et Placements du Québec.

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  3. ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

    un absentéisme “inhérent au secteur” (donc il est normal d’être malade au travail dans le transport), une métropole qui se félicite d’un service minimum et qui regarde courageusement ailleurs.
    Encore une franche réussite de Vassal and Co

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