La gestion en mode freestyle du festival Jazz des cinq continents
Depuis 20 ans, le festival Jazz des cinq continents dépend très largement des subventions des collectivités locales. Une manne publique qui n'est pas accompagnée d'une grande rigueur dans la gestion des dirigeants de l'association. La chambre régionale des comptes va publier un rapport sévère sur celle-ci.
Concert au parc Longchamp dans le cadre de Jazz des cinq continents en 2014...
Pour qui aime la musique sous toutes ses formes, le festival Jazz des cinq continents a offert en deux décennies de belles pépites sonores, dans l’écrin du palais Longchamp. Bercé par la musique et les cigales, on en oublierait presque que l’institution estivale existe presque exclusivement grâce à l’argent public.
Or, avec 1,3 million d’euros de subventions en 2021, l’association dépend majoritairement des subventions des collectivités locales, à commencer par la Ville de Marseille, principal financeur du festival. La raison de ce soutien est historique : l’évènement doit sa naissance à la volonté d’un ancien adjoint au maire de Jean-Claude Gaudin, Roger Luccioni, grand amateur de jazz et contrebassiste reconnu de la scène locale.
Depuis son lancement en 2000, le festival installé d’emblée dans un parc public n’a eu cesse de grandir, proposant des concerts un peu partout dans la métropole et le département, au gré du soutien de ces deux institutions, en relais de la municipalité. Dans le même temps, l’association a conservé un mode de gestion très arrangeant mais peu compatible avec la manipulation d’argent public, comme le révèle un rapport cinglant de la chambre régionale des comptes (CRC) sur la période de 2015 à 2022. Et qui souligne, très justement, “ce haut niveau de dépendance” aux financements des institutions locales. Là où Jazz in Marciac et Jazz à Vienne ne dépendent plus qu’à hauteur de 17% des finances publiques, le taux monte à 54% pour le festival marseillais. Et la Ville elle-même pèse pour 70% dans ces subventions.
“La pérennité de l’association ne pourra être assurée que par une refonte complète de son modèle économique“, prévient ainsi la chambre. La CRC prend appui sur la coupe sèche décidée par la Ville en 2022 qui a baissé d’un coup sa subvention de 30% “le temps d’une étude approfondie de l’apport à l’intérêt général de l’action de l’association“.
Des “spectacles privés” payés avec de l’argent public
Or, parmi les leviers disponibles, figure la billetterie dont les tarifs n’ont plus évolué depuis 2017. À ce propos, les magistrats tiquent sur le très grand nombre d’invitations distribuées pour les concerts du palais Longchamp, en plus des concerts gratuits offerts au public. En 2019, la part d’invitations variait de 63 à 81%. Un taux vertigineux que l’association justifie par la difficulté de commercialisation de certaines dates. Un argumentaire qui ne convainc pas la chambre qui note :
“la présence largement majoritaire, voire quasi-exclusive des personnes invitées éloigne les événements concernés de la logique festivalière pour se rapprocher d’une logique de spectacle privé, dont le financement est pourtant assuré par les subventions publiques.”
Qui plus est, poursuit le rapport, cette politique “généreuse” n’est pas orientée en direction de nouveaux publics mais plutôt vers “les personnalités et les partenaires, ainsi que les adhérents et les salariés de l’association“. Interrogé par Marsactu, le président de l’association, Régis Guerbois – un temps salarié par l’association -, module les conclusions de la chambre. D’après lui, c’est uniquement deux concerts – “dont un de John Zorn“, pape du free jazz – qui ont donné lieu à de telles distributions d’invitations “pour éviter qu’ils ne jouent devant un parterre vide“. “Dans le taux de 71% de places gratuites établie par chambre, celle-ci mélange les concerts gratuits que nous réalisons dans les villes de la métropole avec notre politique d’invitations, explique-t-il. Jamais les invitations ne représentent un tel taux“.
Mais ce n’est pas le seul écart de l’association dans sa relation aux partenaires. La chambre s’alarme tout autant sur le fait qu’un des principaux mécènes du festival est par ailleurs un prestataire régulier qui a perçu 700 000 euros sur la période étudiée. Un cumul proscrit par “le guide des bonnes pratiques” édité par le ministère de la Culture qui rappelle qu’une “entreprise ne saurait être à la fois mécène et fournisseur ou prestataire sur un même projet“. Le mécénat culturel permet aux entreprises qui le réalisent d’obtenir en contrepartie des réductions d’impôts. On comprend donc pourquoi le ministère proscrit les logiques circulaires.
Effacer la dette fiscale d’un salarié
Les irrégularités concernent également la gestion interne de l’association. Ainsi le nouveau directeur, nommé après le décès de Bernard Souroque, le fondateur du festival, a bénéficié du paiement de dettes fiscales, pour un montant global de 34 000 euros. En délicatesse avec le fisc, le salarié s’était vu émettre une Saisie administrative à tiers détenteur. Dans ce cas, l’employeur verse aux services fiscaux une somme déterminée prélevée sur le salaire de l’employé. Mais, dans le cas présent, l’association du festival a versé l’intégralité des sommes dues, éteignant de ce fait la dette fiscale du directeur. Or, “il est interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit ou de financement d’effectuer des opérations de crédit“, rappelle la chambre. Depuis, le directeur a fini par régler ses dettes auprès de son employeur. “Nous avons conclu cet arrangement pour soulager psychologiquement notre directeur et permettre qu’il travaille sans ce nuage sombre au-dessus de la tête“, plaide Régis Guerbois, qui reconnaît “une erreur de gestion“.
Mais ce n’est pas la seule incartade en matière de gestion. Pendant des années, l’association a eu recours au service d’une attachée de presse, payée en tant que micro-entrepreneuse, pour des sommes plutôt confortables allant de 17 000 euros à 24 000 euros par an. Or, cette personne était par ailleurs fonctionnaire de la Ville où elle exerçait le même métier d’attachée de presse, dédiée à la Culture, notamment auprès d’Anne-Marie d’Estienne d’Orves, adjointe à la culture et veuve du fondateur, Roger Luccioni. Durant ses investigations, la Chambre n’a trouvé nulle trace d’une autorisation de cumul d’activités du côté de la municipalité. Et elle note par ailleurs que les fonctions d’attaché de presse ne figurent pas parmi les activités pour lesquelles le cumul est autorisé. Cette collaboration, “irrégulière à plusieurs titres” aux yeux de la CRC, a cessé depuis le contrôle. Contactée par Marsactu, celle-ci n’a pas donné suite à nos appels.
Le fiasco du Claridge
L’un des projets phares de l’association à partir de 2017, encore une fois sous l’impulsion de la municipalité Gaudin, consistait à rénover le Claridge, un ancien lieu de musique situé sur la Canebière, pour en faire une maison du jazz. Le département puis la métropole sont mis à contribution pour participer au projet pour un montant conséquent de 590 000 euros, le lieu nécessitant d’importants travaux de rénovation. Mais, au fil des années, le projet s’enlise sans que le conseil d’administration ne soit réellement informé de ses avancées. En mars 2023, la commission permanente du département finit par déclarer “caduque” la subvention de 130 000 euros, accordée quatre ans plus tôt. “On a pris la crise du Covid qui a tout ralenti, puis un immeuble voisin en péril et des coûts de rénovation qui ont explosé“, regrette Régis Guerbois qui reconnaît que le projet est désormais enterré.
L’épisode décrit bien l’ambiguïté des relations que l’association entretient avec les collectivités. La chambre régionale des comptes épingle plusieurs prestations réalisées pour le compte de collectivités et qui contreviennent aux règles de la commande publique. Le département achète ainsi directement un concert pour l’ouverture du festival, en 2019. Or, pour la chambre, une telle prestation relève de la subvention qui aurait dû faire l’objet d’un vote en séance du conseil départemental. La chambre formule les mêmes doutes à l’égard de concerts “coréalisés” avec la Ville de Marseille ou avec la mairie du 9/10 – dont est désormais maire Anne-Marie d’Estienne d’Orves – qui contreviennent de la même façon aux règles de la commande publique. Le président Guerbois admet “des erreurs” et promet un changement de modèle économique. Moins gourmand en argent public.
Le rapport complet, a été mis en ligne par la CRC le 12 février
Actualisation le 14 février : correction du montant des subventions perçues (1,3 million d’euros au total en 2021)
Commentaires
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Cochons gamelards de l’argent public de la ville pauvre
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Voilà un exemple type du système de la droite marseillaise, clairement exposé ici. Ça fait des années que ça dure, dans divers secteurs, et ça a plombé la ville et le département (sous le PS tambien).
Plusieurs personnes ne comprennent pas que c’est illégal puisque “ça a toujours marché comme ça”, et au détriment de tous, pour une poignée de privilégiés qui s’approprient l’argent public. Aucune probité de certains élus et fonctionnaires.
Heureusement que la cour des comptes (et Marsactu) font leur travail.
Il faut absolument nettoyer toute la gestion des collectivités locales. Il y a des “erreurs de gestion” partout. Et ça nous coûte très cher à tous (sauf aux bénéficiaires, qui le plus souvent font la morale)
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Ayant un peu de temps, on cherche à comprendre, et on tombe sur ce morceau de biographie de Madame d’Estienne d’Orves (La Marseillaise, 12/09/2022, lorsqu’elle succède à Royer-Perreaut à la mairie du 9_10) :
“Lors de son premier mandat entre 2008 et 2014, elle était aussi déléguée au Festival de jazz des Cinq continents, créé par Roger Luccioni, son défunt époux. Toujours élue dans les 9-10, Anne-Marie d’Estienne d’Orves, LR jusqu’en 2020 et aujourd’hui non encartée mais « soutien » de la majorité présidentielle, s’est vue confier la délégation culture en tant qu’adjointe lors du dernier mandat de Jean-Claude Gaudin (2014-2020). « J’ai eu la totalité de la culture et de son budget, c’était une belle mission car personne n’avait eu encore cela », expose-t-elle.
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Cet article est tres ambigu. Si les dérives exposées dans sa deuxième partie sont en effet problématiques,
L’attaque de la première partie sur le taux de subventions, la sallevide et certains concerts gratuits est aussi un pamphlet pour du spectacle vivant “privé ” et “rentable” , bref un système uniquement commercial de ” produits”.
En quoi offrir des concerts gratuits est un problème? En quoi un prix des billets non réévalué est il un problème? En quoi un equilibre avec 54% d’argent public est il un problème?
Toutes ces remarques sont au profit d un recul de l’argent public dans la culture ( recul entamé depuis 20 ans) au profit d’un modèle privé ( lui aussi subventionné ) où le benefice et les grosses marges sont la seule loi, avec un taux de remplissage a 99% et des billets chers. Un modèle économique qui a ses vertus, mais qui, en terme de spectacle vivant, signifie uniformisation, fin de la curiosité etde la découverte, et aucune chance pour l emergence.
Que Marsactu relaie la cour des comptes sans debunker aussi ce qu il y a de politique dans son discours est triste…
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@RML oui c’est important de garder une politique de prix accessibles, voire une gratuité mais ici le système d’invitation a l’air plus qu’opaque et réservé à des personnes qui auraient probablement les moyens de se payer de tels concerts.
Le Jazz5C a un public très privilégié et se soucie assez peu d’élargir ses publics.
Aussi la gestion du bar est donné je crois à la buvette préexistante dans le parc Longchamp, et donc le festival s’assoie sur des recettes potentielles énormes, en plus de laisser la buvette fournir un service très médiocre (si vous avez deja vécu l’expérience c’est criant d’attendre presque 1h pour une boisson). Les recettes de bar en festival sont en general au même niveau que les ventes de billets…
Alors oui pour un festival semi-public et bien subventionné mais en bonne intelligence et pas à la rasbaille sous couverts de privilèges politiques passés
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Il y a concert et concert
Avec une star comme John Zorn on peut s’attendre à du remplissage à 100% qui ne soit pas fait d’invitations, le concert peut donc s’autofinancer, et l’argent public obtenu par subvention partir sur des missions de service public :; soutien aux artistes émergents, promotion d’esthétiques moins commerciales, actions, vers les publics.
En revanche La Défense du festival qui pointe les erreurs de la CRC est assez pathétiques. Des amateurs ces juges financiers, ils ne savent pas différencier un concert gratuit d’une invitation…
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Une chronique de plus portant sur les magouilles marseillaises. Jusqu’à la prochaine. Que peut-on encore découvrir de la gaudinie? Il suffit de prendre les délégations municipales les unes après les autres et de faire les poubelles .
Chers contributeurs, ne dites pas il faut conserver la gratuité, rien n’est gratuit dans ce bas monde,la preuve.
Ce qui est terrible dans cet article c’est le fait que les profiteurs grattent Jusqu’à l’os les petits avantages. Marseille dans toute sa médiocrité.
Je me souviens des débuts du festival au palais LONGCHAMP sur la pelouse avec la buvette à côté, où durant le concert nous pouvions
entendre, et 2 entrecôtes !
Impensable à Juan les pins.
A jamais les derniers.
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du coup, je n y remettrai plus les pieds ni les oreilles. Tout est foireux dans cette ville, ça me dégoûte. A bon entendeur, salut !
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70% d’invitations pour les copains et le réseau évidemment c’est moche. Vrai du temps de Gaudin est-ce que cela a changé avec le Printemps marseillais ? La zone ” vip” à côté de la scéne m’a encore semblé bien garnie lors des dernières éditions.
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Merçi voilà tout s’éclaire …. public qui ni comprends que dale au Jazz …. qui parlent de l om etc… rien a foutre de l artiste sur scène … c’est récurent pour ce festival ( pour les gratuits, c’est rarement plus de 2 ou 3 concerts hors marseille , avec des artistes moins connus) a moins que ….. un peut la meme chose a l espace julien … en pire blah blah blah … et ohhh il y a de la musique sur scène … ( mais tout a change dans le bon sens … il me semble ) avec une nouvelle asso qui regroupe plusieurs lieux et programmation plus pointue et intéressante . La culture et marseille …. c’est autre chose quant on vois des villes comme Toulouse, La rochelle, Nantes … avec des programmations et festival classe et de qualité ….
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