La Fondation Abbé-Pierre dénonce un “effondrement” de la construction de logements sociaux

Interview
le 5 Oct 2021
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Dans son dernier rapport, la Fondation Abbé-Pierre alerte sur le manque de création de logements en PACA. Pour Florent Houdmon, directeur de l'agence régionale de la fondation, le sujet est explosif et peu pris en compte par les pouvoirs publics.

Florent Houdmon plaide pour rénover davantage le bâti ancien. (Photo LC)
Florent Houdmon plaide pour rénover davantage le bâti ancien. (Photo LC)

Florent Houdmon plaide pour rénover davantage le bâti ancien. (Photo LC)

La Fondation Abbé-Pierre vient de publier son rapport sur l’état du mal-logement dans la région. Dans un premier chapitre intitulé “Provence-Alpes-Côte d’Azur, une région où la pauvreté est très importante et intense”, le document pointe à plusieurs reprises un contexte peu propice à la construction immobilière. Lorsque celle-ci concerne les logements sociaux, mais pas uniquement. Ce retard, constaté depuis quelques années déjà, vient aggraver fortement la pauvreté et le mal-logement.

Marsactu a demandé à Florent Houdmon, le directeur de l’agence régionale de la Fondation Abbé-Pierre d’éclairer cette problématique. Situation actuelle de la construction, causes profondes et conséquences pour l’avenir… Pour lui, il s’agit de tirer la sonnette d’alarme sur un problème qui tient de la bombe à retardement prête à exploser dans plusieurs années. Surtout si les pouvoirs publics ne tentent pas d’y remédier avec plus de détermination en incitant à la production, en encadrant les prix et en acceptant de densifier la ville… sans oublier les enjeux environnementaux.

Dans votre rapport, vous évoquez “une année 2020, avec son cortège d’événements peu propices au développement de la construction” en référence à la crise sanitaire, économique et au changement politique à l’échelon municipal. Comment cela se caractérise-t-il dans la région ?

Florent Houdmon, directeur de l’agence régionale de la Fondation Abbé-Pierre.

En fait, c’est une tendance que l’on a constatée avant la crise. Mais cela a explosé avec celle-ci, tout comme le taux de pauvreté, et ce, plus fortement ici qu’ailleurs. En ce qui concerne la production de logements sociaux, on note carrément un effondrement. Avec la construction de 5135 logements en 2020, on est sur le taux le plus bas de la décennie. C’est catastrophique. Il manque sur la région 265 000 logements sociaux. En PACA, l’État a fixé un objectif en dessous de la loi SRU [qui impose 25 % de logements sociaux dans les communes, ndlr].

Cet objectif s’explique par le retard accumulé depuis des années. Auquel s’ajoute donc l’année Covid avec sa crise économique et le changement de municipalité. Mais la pandémie est un prétexte, car comme je le disais, la tendance est là depuis 2016. C’était déjà le cas en 2017, en 2018 et en 2019. Ça le sera encore en 2021. La tendance est nationale, mais encore plus marquée dans la région.

Comment l’expliquer ?

Tout d’abord, il y a un manque de volonté de l’État. Durant les quinquennats précédents, on a vu une vraie impulsion à la construction de logements sociaux, que l’on a perdue. Les mairies qui font venir de nouveaux habitants vont dépenser plus d’argent, mais n’engrangent pas forcément de revenus fiscaux en échange. On a supprimé la taxe d’habitation sans réelle compensation.

Il y a aussi une bonne raison, si l’on peut dire. Jusqu’à présent, on a trop conquis les terres agricoles. Le discours de protection de l’environnement a rendu le foncier plus rare. C’est une bonne chose, mais cela a un impact sur le logement, et il faut le compenser.

Il faut favoriser la densification dans les villes, en misant sur l’acquisition-amélioration. Nous n’avons jamais eu de discours ambitieux là-dessus. Mais la rénovation des taudis serait une bonne chose ici. Sauf que cela coûte plus cher. C’est la même chose pour le logement privé. Social ou pas, les maires sont fiscalement moins incités à construire.

Et localement, à Marseille ?

Localement, nous avons un déséquilibre structurel et une mauvaise volonté politique. Un déséquilibre parce que le prix du foncier est très disparate. Certains endroits sont très peu chers. Il s’agit de quartiers ghettoïsés où il est hors de question de rajouter du logement très social, comme dans le 15e arrondissement de Marseille, par exemple. En revanche, il faudrait construire dans le 8e, le 9e, le 10e, le 11e et le 12e. À l’échelle de la métropole, on parle d’Éguilles, de Gémenos et de Ceyreste… et non de Vitrolles ou d’Aubagne !

De plus, la tendance nationale est amplifiée au niveau local parce qu’historiquement les élus font part d’une mauvaise volonté manifeste. Et ce n’est pas moi qui le décrète, mais le préfet qui constate des carences. Éguilles fait partie des communes les plus carencées de France en logements sociaux.

À cette situation s’ajoute la question des loyers : le coût du logement est ici le plus cher du territoire après l’Île-de-France. Les loyers de Marseille ont augmenté de 20 % ! Tandis que ceux de Paris et Lille, qui sont encadrés, de 10 %. Chez nous, la métropole a refusé l’encadrement.

À ce sujet, on a vu fleurir dans plusieurs médias une autre explication quant à l’augmentation des loyers et du foncier à Marseille qui empêchent les ménages les plus pauvres de se loger : il s’agirait de l’attractivité de la ville. Qu’en pensez-vous ?

Il faut être prudent là-dessus. C’est une fausse idée de croire que les gens qui s’installent ici ont un impact sur les prix. On parle de 400 ou 500 personnes. Et on ne compte pas le fait qu’il y en a autant qui repartent. Marseille est toujours une ville qui subit un dénigrement. En revanche, Airbnb a un impact, c’est clair. Mais cela concerne des micro endroits, pas la totalité de la ville.

Pour revenir sur le retard dans la construction, comment envisagez-vous les années à venir ?

Depuis dix ans, les prix augmentent, la pauvreté aussi, et il n’y a pas de régulation. À part dans des discours, rien ne se passe. Les livraisons d’aujourd’hui doivent être faites dans quatre ou cinq ans et le seront, dans les faits, dans cinq ou dix. Ce sont des constructions pour les 30 années à venir. Bref, on se prépare à quelques choses de massif. C’est une vraie sonnette d’alarme que nous tirons.

Il faut que l’État remette de l’aide à la pierre, que les maires aient intérêt à bâtir. Tout cela en partageant les enjeux environnementaux en soutenant l’acquisition-amélioration qui, il est vrai, coûte plus cher que la construction neuve. Et enfin, il faut accepter de densifier la ville. Parfois, des bâtiments en R+2 ou R+3 peuvent être plus denses que certaines grandes tours que l’on construisait précédemment, avec d’énormes dalles. Les quartiers peuvent être denses, mais vivables.

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