La délicate évacuation du Gyptis, copropriété indigne en plein centre-ville
Officiellement, le syndic et les copropriétaires n'ont plus que quelques jours pour évacuer le Gyptis, frappé d'insalubrité depuis des mois. En coulisses, l'État et la Ville préparent une évacuation avec concours de la force publique, à l'issue de ce délai.
Un arrêté municipal, en date du 16 février 2023, a décidé de l'évacuation de cette copropriété très dégradée de la rue Cristofol (3e). (Photo C.By.)
“Je suis venu parce qu’il paraît qu’ils évacuent aujourd’hui…” Casquette vissée sur le crâne, doudoune marron et discret taser à la ceinture, Christian Farrugia est un des propriétaires du Gyptis, cette copropriété très dégradée du 3e arrondissement, désormais érigée en symbole de l’habitat indigne. Depuis le 16 février, comme l’a écrit La Marseillaise, la grande barre de la rue Cristofol, conçue à la base pour accueillir des étudiants dans des studios “tout confort”, est frappée d’un nouvel arrêté de “mise en sécurité” qui interdit “l’accès et l’occupation” de l’immeuble.
Au rez-de-chaussée, le gardien salarié par le cabinet Traverso, le syndic de copropriété, débarrasse un petit local, encombré de détritus de toutes sortes, dans la perspective d’une évacuation qu’il imagine “imminente”. Mais lui non plus n’a pas de date certaine.
Ni le 27 février, ni le 6 mars
Contrairement au bruit qui court dans les longs couloirs sinistres, l’évacuation n’est pas prévue ce lundi 27 février. “Elle est prescrite par l’arrêté, précise Patrick Amico, l’adjoint au logement. Mais il appartient au syndic et donc aux propriétaires qu’il représente d’y faire procéder avant le 6 mars.”
La date du lundi 6 mars avait bien été choisie, un temps, par la préfecture pour prêter le concours de la force publique. Elle ne serait plus d’actualité, selon les informations que Marsactu a pu recouper. Ce décalage est justifié par la proximité avec le mouvement social contre la réforme des retraites, annoncé pour le mardi 7 mars et les jours qui suivront.
“L’arrêté nous a été envoyé, jeudi, parce qu’on l’a demandé. Il avait été affiché dans le hall puis arraché par les dealers, raconte Rémi Traverso, du cabinet de gestion de bien immobilier du même nom. Effectivement, il prévoit que nous procédions nous-mêmes à l’évacuation de l’immeuble. Certains propriétaires ont relogé leurs locataires. D’autres attendent l’intervention de la Ville.”
Bien entendu. C’est toujours sur nous que ça retombe alors qu’ils ont sciemment laissé les choses se dégrader.
Un propriétaire
Pour l’instant, les propriétaires rencontrés ne se précipitent pas pour procéder à l’évacuation et au relogement. “Bien entendu. C’est toujours sur nous que ça retombe alors qu’ils ont sciemment laissé les choses se dégrader“, s’exclame Christian Farrugia avec ironie, avant de partir sur une longue tirade xénophobe sur les squatteurs qu’il dénomme “les animaux” et accuse d’avoir transformé le lieu en bidonville vertical. “Il a fallu qu’on installe un filet pour les empêcher de jeter des ordures dans la cour, à l’arrière de l’immeuble. Mais ils ont continué. On évacue plusieurs tonnes de déchets par semaine”, assure-t-il.
“Dès qu’on peut, on vend”
Il fait défiler sur son téléphone, le long mail reçu du syndic Traverso qui partage les dernières nouvelles avec un groupe de copropriétaires. Le gestionnaire de l’immeuble a une autre date en tête : ce mercredi 1er mars, le tribunal doit décider de la mise en place d’un administrateur provisoire en lieu et place du syndic professionnel. “Nous attendons ce délibéré depuis plusieurs mois, constate Rémi Traverso. À chaque fois, la décision est repoussée faute d’administrateur disponible.” À partir de cette date, il se retrouvera sans mandat et redeviendra un copropriétaire parmi d’autres, au titre des sociétés civiles immobilières (SCI) dont il est gérant et qui possèdent plusieurs appartements sur place. “Nous avons pris ce mandat après la démission du précédent syndic et parce que personne ne voulait le faire”, explique le gestionnaire.
Il n’est pas le seul multi-propriétaire de l’immeuble. Christian Farrugia en a eu jusqu’à sept dont il ne reste plus que trois, toujours occupés, aux 2e, 3e et 8e étages. “Dès qu’on peut, on vend, souffle-t-il. Les gens qui ont investi ici ont des revenus souvent très bas, de petites retraites. Ils n’ont pas de répondant, en cas de coup dur. Ils se retrouvent bananés et, au moindre problème, ils baissent les bras“. De son côté, il assure avoir délogé de lui-même des squatteurs qui occupaient ses biens. En revanche, il n’entend pas procéder au relogement des locataires encore en place en dépit des obligations que posent l’arrêté.
Pas de relogement
Joint par Marsactu, Gabriel Saghroun, propriétaire d’une quinzaine de lots, avec ses frères, est sur la même ligne : “Je souhaite qu’il y ait une évacuation. Cela veut dire que l’État, la préfecture, la mairie, la métropole, ou qui vous voulez… agit enfin !” Mais il n’envisage pas pour autant de reloger, comme la loi l’y oblige, ses locataires après l’évacuation. Il assure “tout louer à la régulière“, mais affirme finalement que “les locataires en titre ont tous fichu le camp“. Sur place, pourtant, Marsactu a pu constater l’inverse.
Les incertitudes liées à cette évacuation concernent également le nombre et le statut des occupants. Souvent décrit comme en proie au squat généralisé, le Gyptis présente une réalité plus complexe. On y trouve encore des locataires qui présentent quittances de loyer et bail en bonne et due forme. D’autres locataires, souvent vulnérables du fait de l’absence de titre de séjour, pensent être hébergés de bon droit alors que ce n’est pas le cas. Enfin le réseau de narco-trafic occupe et marchande une partie des appartements pour son propre bénéfice.
Délicate enquête sociale
La Ville n’a d’ailleurs pas réussi à réaliser une enquête sociale complète, appartement par appartement. La situation sécuritaire du lieu rend complexe un travail au porte-à-porte, dans des couloirs maintenus dans le noir, et où patrouillent les petites mains du réseau de drogue.
Selon nos informations, les enfants scolarisés dans les écoles du quartier seraient moins d’une trentaine. Quant à la caisse d’allocations familiales (CAF), elle dénombrait une centaine de bénéficiaires de l’aide au logement, avant que l’arrêté d’insalubrité ne bloque son versement.
Hôtel ou hébergement d’urgence
Le jour de l’évacuation, la Ville devra prévoir les places d’hébergement suffisantes pour accueillir les locataires de bonne foi, dans des hôtels, le temps d’assurer leur relogement, qui reste à la charge du propriétaire. Les sans-papiers en situation de squat seront basculés vers les services d’hébergement d’urgence, gérés via le 115, après un passage par un gymnase, le temps d’une enquête sociale et de quelques heures de répit.
Par sa taille et sa complexité, l’opération rappelle celle qui avait concerné le bâtiment A du parc Corot qui mêlait, dans la même situation chaotique, squatteurs en nombre et locataires en titre. Là aussi, le bâtiment en béton, sans péril visible, était littéralement traversé par les fuites d’eau qui dévalaient d’un étage à l’autre. Les mêmes maux affectent le Gyptis. En décembre, des travaux ont pourtant été réalisés par la Ville, en se substituant à la copropriété, après un arrêté de mise en sécurité pris en novembre.
Quel destin?
Pour la première fois, au Gyptis, une évacuation ne concerne pas une barre des grands ensembles comme à Kalliste, au printemps dernier, ou au Petit Séminaire, aux Flamants, les années précédentes. Le Gyptis est un immeuble de centre-ville, situé dans une rue très passante, où l’intervention des forces de l’ordre est forcément plus complexe qu’ailleurs.
Enfin, une fois fermé et sécurisé, il faudra trouver un nouveau destin à cet immeuble, entre redressement de la copropriété ou transformation en logement social, via une expropriation de la métropole. Visible depuis les étages, la cité voisine du Moulin de Mai, sous la coupe d’un autre réseau de narco-trafic depuis des mois, prouve que la question du logement ne se règle pas sans traitement des questions sociale et sécuritaire.
Merci pour cet article. Toutefois, une petite précision sur le dernier paragraphe : le droit de préemption ne permet pas de se rendre propriétaire de l’immeuble, il permet de bloquer une vente et de forcer le propriétaire à choisir entre vendre au titulaire du droit de préemption au prix donné par les services domaniaux ou renoncer à la vente.
S’agissant d’une copropriété, à moins d’attendre gentiment que TOUS les propriétaires mettent en vente leur bien ET acceptent l’offre du titulaire du droit de préemption, la SEULE façon de devenir propriétaire de la totalité de l’immeuble est l’expropriation. Qui peut exproprier ? La métropole ou ceux à qui la métropole en délègue le pouvoir : l’EPF (établissement public foncier), un aménageur, la Ville, etc.
Comme toute expropriation, il faudra un soutien politique fort de la Ville et de la Métropole.
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Bonjour, c’est effectivement une erreur. Nous la corrigeons. Il était question d’expropriation et non pas de préemption.
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La cité voisine en question qui appartient à un bailleur social, lol… On sent en ce moment une lame de fond présentant les bailleurs comme sauveurs des copropriétés (voire gestionnaires idéaux des copros en général). Même s’il serait injuste de les mettre tous dans le même panier, quand on les pratique dans la gestion de nos copros mixtes on a plutôt l’impression d’avoir affaire à des financiers comme les autres.
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Passé un certain niveau de dégradation physique et financière d’une copropriété, la seule issue valable est l’expropriation, la remise en état par un professionnel-bailleur social si la puissance publique décide de maintenir le caractère social de l’immeuble. On peut tout aussi imaginer une revente des appartements remis en état à des particuliers, occupants ou non et ainsi récupérer les fonds investis dans l’expropriation et les travaux, car bien malheureusement les immeubles dans cet état ne manquent pas.
Il est aussi impératif de faire de la prévention; nombre de copropriétés semblent en équilibre précaire; le taux d’impayés des charges s’accroit; le syndic n’arrive pas à faire rentrer les fonds, les gros travaux impératifs ne sont pas payés; l’immeuble se déglingue; les occupants en “bon père de famille” quittent le navire et les squatts et sous locations pirates commencent, accélérés par la revente à de nouveaux copropriétaires sans scrupule… bref, tout un processus inexorable est en marche: comment l’arrêter à temps? La Ville met-elle en place un observatoire des copropriétés fragiles? Quelles aides à la prévention envisager?
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Ce n’est pas la ViIle qui est en charge du logement, mais c’est une compétence de la Métropole. Trop contente de cette confusion, cette dernière collectivité reste très discrète sur ce sujet qui n’apporte que des désagréments infinis vu l’état de nombreuses copropriétés marseillaises. Notamment parce qu’il est très difficile juridiquement pour des collectivités publiques d’intervenir sur des propriétés privées, les procédures sont très lourdes, très longues et ne peuvent âtre engagées qu’une fois les bâtiments dans un état de dégradation irrémédiable. Les procédures incitatives ne pouvant être engagées que sur des copropriétés qui fonctionnent assez bien, il a une zone grise pour les bâtiments déjà très dégradés dont il fait attendre la totale déchéance avant de pouvoir envisager une intervention publique. Nota : La ville est en revanche chargée de la salubrité et de la sécurité. C’est à se titre qu’elle intervient sur le Gyptis
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Voir page 4 des mesures issues des Etats Généraux du Logement des 28 et 29 novembre.
https://www.marseille.fr/sites/default/files/contenu/mairie/PDF-Mairie/34_mesures_concretes_pour_un_logement_accessiblea_tous.pdf
Mais le mal est à prendre à la racine : arrêter de penser “construction” à tout prix (avec l’aimable participation de l’Etat et les non moins aimables pressions sur notre adjointe à l’urbanisme actuelle) sans jamais penser “gestion”. La plus grande partie de ce qui se (mal) construit aujourd’hui dans le quartier sont de potentielles copros dégradées des décennies à venir.
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Des gens sûrement charmants, les copropriétaires de cet immeuble, qui ont acheté pour pas cher afin de maximiser le rendement grâce à l’argent de la CAF. Cerise sur le gâteau, ils “n’envisagent pas” de reloger leurs locataires.
Le trafic de drogue et ses trafiquants sont un fléau, mais le trafic de logements insalubres et ses trafiquants, même si ces derniers sont bien mis en apparence, en sont un autre, qui exploite sciemment la misère.
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et quelque part, je trouve ça pire.
ce trafic de logements insalubres, à quelques exceptions près est parfaitement légal.
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Merci pour cette article et plus généralement pour le taf que vous faites Marsactu. J’apprécie grandement pouvoir comprendre la complexité des situations de notre ville, bien au-delà de ce qui se dit au café du coin.
Rien que le fait de rappeler ce qui échoit à la métropole et ce qui est responsabilité de la ville, c’est précieux.
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Ces distances ténues entre les responsabilités des uns et des autres , ça n’arrange pas la situation. Pour le citoyen non diplômé en droit de l’urbanisme c’est peu clair . .Doit on s’attendre à ça pour ce qui va concerner la voirie???
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