La défense du dentiste Lionel Guedj plaide la faute involontaire

Reportage
le 6 Avr 2022
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Ce mardi se tenait l'ultime jour d’audience du procès des dentistes des quartiers Nord accusés de mutilations. Après les lourdes réquisitions de la veille, l’avocat du fils a demandé un "juste équilibre" dans la peine. Celle du père a réclamé sa relaxe.

Les avocats en charge de la défense de Lionel et Carnot Guedj : Mathilde Gentil, Frédéric Monneret et Anne Santana-Marc. (Photo : CBy)
Les avocats en charge de la défense de Lionel et Carnot Guedj : Mathilde Gentil, Frédéric Monneret et Anne Santana-Marc. (Photo : CBy)

Les avocats en charge de la défense de Lionel et Carnot Guedj : Mathilde Gentil, Frédéric Monneret et Anne Santana-Marc. (Photo : CBy)

À la barre, sa voix flanche. Lionel Guedj se tient à côté de son père Carnot debout face au tribunal. Leur procès touche à sa fin, ils sont invités à s’exprimer une dernière fois. “Je voudrais m’adresser aux patients”, bredouille le fils de son débit de mitraillette. Avec douceur, la présidente Céline Ballerini l’invite à se calmer avant de poursuivre. Le principal prévenu s’adresse aux quelque 350 parties civiles engagées dans ce procès hors norme : “Jamais au grand jamais je n’ai voulu vous nuire ou vous blesser. J’ai toujours voulu vous soigner en suivant les enseignements que j’avais reçus. Je vous demande de nouveau pardon. J’espère que vous allez tous pouvoir redémarrer une nouvelle vie après ce procès.” Son père renouvelle lui aussi sa demande de pardon.

Le fils de 41 ans et le père de 70 ans comparaissent depuis le 28 février devant la 6e chambre correctionnelle de Marseille. Ils sont accusés de violences volontaires ayant entrainé une mutilation ou une infirmité permanente, escroquerie et faux et usage de faux. On leur reproche d’avoir dévitalisé à la chaîne les dents saines de leurs patients pour les remplacer par des prothèses dentaires et ainsi empocher de très nombreux remboursements indus de la part de l’Assurance maladie et des mutuelles.

Carapace de défense

Ces excuses-là sonnent plus juste que celles que lâchait du bout des lèvres Lionel Guedj à l’ouverture des débats. Entre-temps, six semaines d’audiences parfois musclées se sont écoulées et les réquisitions très lourdes demandant dix ans de prison pour le fils et cinq ans assortis d’un an de sursis probatoire pour le père, sont tombées. En ce dernier jour d’audience, les avocats de la défense ont la parole. Ils le savent, ils n’ont pas la partie facile. Frédéric Monneret, qui défend Lionel Guedj, s’y colle avec la verve et la virtuosité qui sont les siennes. Un micro à la main, il parcourt la salle d’audience dans sa largeur.

La puissante charge du parquet a dressé, lundi 4 avril, un portrait très noir des prévenus. “Le ministère public les a perçus froids, durs, inaccessibles à tous remord. Il n’a pas réussi à percevoir une empathie sincère”, avait cinglé le procureur Michel Sastre. Frédéric Monneret veut d’abord assurer que son “client a changé.” L’accusation a fait de lui un homme arrogant, insolent, cupide. Lui voit sur le banc des prévenus un homme qui “a voulu effectivement, maladroitement, se forger une carapace de défense”. Soit à ses yeux “le réflexe humain de défense d’un individu mort de trouille, d’un individu qui a honte de ce qu’il a fait.”

C’est sûr qu’il a failli à son serment. C’est sûr que des fautes gravissimes sur le plan déontologique et éthique ont été commises”

Frédéric Monneret, avocat de Lionel Guedj

Moustache finement taillée et cheveux ramenés en arrière, Frédéric Monneret s’emploie ensuite, à aller au cœur de sa démonstration. Il n’est pas question pour lui de dédouaner son client. “C’est sûr qu’il a failli à son serment. C’est sûr que des fautes gravissimes sur le plan déontologique et éthique ont été commises, cadre-t-il. Je ne viens pas demander de le blanchir totalement. Il reconnaît ses fautes, il doit être condamné de ce chef”. Puis se tournant vers le prévenu, il affirme : “Vous n’avez pas voulu, toutes ces souffrances.”

Spirale infernale

La faute est là, donc. Mais elle était involontaire, assure le conseil de Lionel Guedj. Il balaye les arguments de l’accusation. Il n’est pas question pour lui de “préméditation”, de “système”, de “piège mercantile” imaginé pour tromper les victimes. Frédéric Monneret plaide “la faute d’imprudence et de négligence” et entraîne le débat sur le terrain de l’erreur médicale. Il fait presque de Lionel la première victime de lui-même. Il dépeint “quelqu’un d’assez fragile, contrairement aux apparences” : “Il s’est trouvé confronté à une spirale infernale”. Les parties civiles s’agacent sur leurs bancs. L’avocat voit dans les fautes commises la conséquence de l’orgueil de l’ex-dentiste – “campé dans ses certitudes” – mais ferme sciemment les yeux sur son appât du gain.

Et puis, insiste l’avocat alors que la salle se crispe un peu plus encore, “ce n’est pas non plus sur le nombre des victimes que l’on peut caractériser une faute.” Il demande d’ailleurs de ramener ce dossier à sa “juste mesure”. Il s’appuie sur des scandales sanitaires encore dans les mémoires : le Médiator, les prothèses PIP ou le docteur Maure, chirurgien esthétique marseillais. “La justice ne doit jamais se laisser emporter vers la démesure sous prétexte que l’on vit un dossier exceptionnel”, argue-t-il.

Les pleurs du prévenu

Alors, le ténor du barreau demande que son client soit relaxé du chef d’escroquerie. Pour les autres infractions, principalement les violences volontaires ayant entraîné les mutilations, l’avocat invite à “rechercher le sens de la peine”. Lionel Guedj a déjà été sévèrement puni, clame-t-il, puisque jeune et brillant praticien il s’est déjà vu radier de l’ordre des dentistes. Les parties civiles grondent, il enfonce le clou : “La sanction, c’est aussi de croiser le regard de sa femme tous les jours, de ses enfants. Qui lui demandent pourquoi ?” Sur son banc, Lionel Guedj fond en larmes. Son père passe sa main dans son dos.

L’avocat rappelle les condamnations dans les procès du docteur Maure (quatre ans dont un avec sursis) ou du scandale des prothèses PIP (quatre ans fermes) et réclame au tribunal une peine équilibrée pour son client. Contre toute attente, quelques applaudissements d’ordinaire réservés aux avocats des parties civiles, jaillissent des rangs des plaignants.

Lionel Guedj et son père Carnot arrivent au Tribunal. (Photo C.By.)

Alléger le père, charger le fils

Plus tôt dans la journée, Anne Santana-Marc s’était employée à minorer les responsabilités de son client, le père Carnot, dit Jean-Claude, Guedj. “Après cinq semaines d’audience, mes interrogations [sur sa culpabilité] sont devenues des certitudes. Aujourd’hui, avec force je vais vous plaider la relaxe de Jean-Claude Guedj”, pose-t-elle d’emblée.

Il peut paraître froid, peu chaleureux, mais ça ne fait pas de lui un délinquant.

Anne Santana-Marc, avocate de Carnot Guedj

Pour décharger son client, elle ne craint pas d’alourdir un peu plus la barque du fils. Jean-Claude Guedj est renvoyé pour les cas de 170 patients : “Très peu le désignent uniquement lui” comme l’auteur des travaux dentaires, pique l’avocate. Le père n’était tout simplement pas au courant des pratiques du fils, tente-t-elle de démontrer, “il n’a jamais établi de plan de traitements”. À la différence de son fils, peut-on entendre en creux. L’avocate décrit son client comme “peu causant” : “Il peut paraître froid, peu chaleureux, mais ça ne fait pas de lui un délinquant.”

Victime collatérale

Elle fait même de Carnot la victime collatérale de Lionel. Un homme « éreinté », obligé de suivre le rythme infernal de son fils. Anne Santana-Marc feint de chercher la participation intentionnelle de Guedj père. Dit ne pas la trouver : “Il y a probabilité de commission d’actes ». Mais pas de preuve. Pour elle, cela ne fait aucun doute, le sexagénaire n’est pas “le complice” de son fils. Elle demande donc la relaxe.

Aux alentours de 16 heures, les débats s’achèvent. Après presque six semaines de procès, la présidente Céline Ballerini annonce une mise en délibéré pour le 8 septembre à 14 h. Avocats et plaignants s’égaillent dans la cour de la caserne du Muy. Plusieurs femmes, issues des rangs des parties civiles, forment un petit groupe. Elles s’embrassent et s’étreignent. Elles serrent les mains des avocats, qu’elles appellent désormais par leurs noms. Certaines vont même saluer Frédéric Monneret. “Voilà, lâche l’une d’elle. C’est fini. Maintenant, on va pouvoir passer à autre chose.”

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Commentaires

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  1. vékiya vékiya

    et mangez à l’aide d’une paille c’est plus pratique, moi je pars bientôt au soleil gérer mon insolvabilité.

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  2. Richard Mouren Richard Mouren

    Ces respectables avocats se sont trouvé une belle vitrine pour leur business. Les paroles s’envolent, certes, mais les faits sont têtus. Jusqu’à 70 rendez-vous par jour, un taux d’actes onéreux inverse par rapport à la moyenne de la profession, plusieurs millions d’euros engrangés en seulement 7 ans, l’appât du gain évident, escroquerie à l’assurance, etc, etc… Les défenseurs font leur travail pour essayer d’obtenir pour leur client une juste peine mais tombent malheureusement dans une exagération rhétorique qui éclipse volontairement ces faits avérés et deviennent ainsi non crédibles. “Mon client a changé”, ” il a demandé pardon”. Mais 350 (au moins) “fautes d’imprudence et de négligence” en 7 ans, ça fait quand même beaucoup et ça démontre une systématique du type escroquerie…. Il ne faut pas oublier, comme rappelé par vékiya, l’organisation raisonnée de l’insolvabilité du patrimoine. Que justice passe et sévèrement.

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  3. TINO TINO

    délibéré le 8 septembre, dans 5 mois ?

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    • EmiRom EmiRom

      Après dix ans d’enquête!

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  4. Zumbi Zumbi

    Faute “involontaire” multipliée par centaines pendant de très longues années ? Il “ne voulait pas” infliger de souffrances alors qu’il est censé avoir fait de longues études pour pouvoir pratiquer son métier ? Veut-on dire qu’il a décroché son diplôme dans une pochette surprise ? À se demander si ces “excuses” et ce plaidoyer ne l’enfoncent pas encore plus !

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