La défense d’Alexandre Guérini démonte l’enquête monstre et dénonce une affaire “politique”

Actualité
le 8 Avr 2021
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Au dernier jour du procès, la défense du principal prévenu a plaidé la relaxe pour l'ensemble des faits qui lui sont reprochés. Le parquet avait requis huit ans de prison ferme et l'incarcération immédiate contre Alexandre Guérini.

Alexandre Guérini le 16 mars 2021. Photo Emilio Guzman.
Alexandre Guérini le 16 mars 2021. Photo Emilio Guzman.

Alexandre Guérini le 16 mars 2021. Photo Emilio Guzman.

Pendant quatre semaines, ils auront tout fait pour s’ignorer, pour ne pas rentrer ou sortir ensemble du palais Monthyon, pour limiter les échanges de regards. Alexandre et Jean-Noël Guérini ne se parlent plus, a répété devant tribunal correctionnel de Marseille l’aîné, sénateur et ancien président du conseil général. Mais à l’heure des plaidoiries de la défense les deux frères se sont retrouvés dans un élan commun. Le lien est judiciaire bien sûr car Alexandre est notamment accusé d’avoir recelé une prise illégale d’intérêts via son frère. Mais il va au-delà. Aux yeux de la défense d’Alexandre, le principal accusé du procès qui porte leur nom, leurs sorts ont été joints au prix d’un procès “politique”.

Celui qui porte cette accusation est le quatrième et dernier avocat à prendre la parole face à la présidente Céline Ballerini et ses assesseurs. Son corps entier scande sa plaidoirie, il la terminera exténué, vidé de sa vérité et de celle de son client. Le Corse Jean-Louis Seatelli a mutliplié les allers-retours avec l’île pendant le procès. Le trio qui l’a précédé a plaidé sur “les préventions”, au prix de développements techniques mobilisant tantôt les règles fiscales, tantôt les subtilités de la gestion des déchets par les collectivités publiques. Lui termine donc, apportant sa verve de pénaliste chevronné.

“On a voulu faire le buzz”

Pour lui, “dans ce dossier, on a voulu faire le buzz”. Le dernier mot est prononcé comme le rapace homonyme, mais personne n’a envie de rire. “Ce dossier que vous avez à juger, si Jean-Noël Guérini n’était pas poursuivi, Alexandre Guérini n’aurait jamais eu à comparaitre. Celui qu’on veut atteindre c’est lui, celui qu’on veut éliminer c’est lui.” Il sait l’énormité du dossier et de ses 12 ans d’enquête, il connaît la lourdeur de la peine requise par le parquet contre son client : huit ans de prison ferme et le mandat de dépôt à l’audience. Ces réquisitions ont fait dire un peu avant lui à Fabien Perez, l’avocat de Jeannie Peretti : “l’horizon de cette femme, c’est de se rendre au parloir”. Façon de dire que le futur de ce couple est plus que jamais entre les mains du tribunal.

Jean-Louis Seatelli s’autorise à accuser directement, à donner les noms que ses prédécesseurs ont tu derrière les fonctions. Il cible nommément “Charles Duchaine”, premier juge à instruire l’affaire, aujourd’hui à la tête de l’Agence française anticorruption. À ses yeux, il a “créé le dossier”, croyant “la lettre d’un âne-onyme” qu’il soupçonne plus que fortement d’être l’actuel président de région “Renaud Muselier” à l’époque menacé sur ses terres électorales et privé de la présidence de la communauté urbaine par Jean-Noël Guérini et ses amis.

Une enquête amaigrie

Trouvez-vous normal que pas un seul des chefs de mise en examen lors de sa première comparution, qui lui ont valu la détention provisoire, n’ait été retenu par le tribunal ?

Jean-Louis Seatelli

Jean-Louis Seatelli le rappelle : le dossier est arrivé amaigri à la barre. Au risque d’un procès incomplet, le nombre de prévenus a été réduit, les infractions ont été abandonnées ou minorées. Ce travail de tri et de requalification opéré par le dernier juge d’instruction Fabrice Naudé devient un argument pour la défense. “Trouvez-vous normal que pas un seul des chefs de mise en examen lors de sa première comparution, qui lui ont valu la détention provisoire, n’ait été retenu par le tribunal ?”, surligne l’homme de robe.

Tout son discours tend à ajouter de la solennité à la future décision des juges. “Je vais vous demander un instant qui va peut-être durer tout le délibéré, insiste-t-il. Je vais vous demander de vous détacher de ce corps auquel vous appartenez pour devenir des arbitres. Je veux que vous arbitriez entre les arguments de l’accusation et ceux de la défense. Je veux que vous les évaluiez et à ce moment-là seulement, je saurai qu’Alexandre Guérini a été jugé.”

Cette ultime et tonitruante supplique vient souligner la défense pied à pied choisie par l’entrepreneur. Ses avocats ont tenté durant plus de dix heures de démontrer que les infractions retenues mériteraient encore de descendre dans la hiérarchie des délits jusqu’à la relaxe. La plus menaçante est pour Alexandre Guérini l’accusation de blanchiment qui, parce qu’il serait “commis à titre habituel”, ne lui vaut pas d’être sous la menace de cinq ans de prison mais de dix. En l’occurrence, il est accusé d’avoir blanchi le fruit de la vente, en l’an 2000, d’une de ses sociétés exploitant la décharge de la Vautubière, la Somedis, à Veolia pour 33 millions d’euros dont 26 millions de part variable en fonction de la capacité de la décharge.

“L’idée que Veolia ait besoin de l’influence d’Alexandre Guérini est baroque”

Le délit ne tient que s’il est bien le fruit d’un autre, le trafic d’influence. Alexandre Guérini est soupçonné d’avoir convaincu Veolia que seul lui pourrait obtenir auprès de l’Agglopole Provence, une collectivité alors dirigée par le PS, une demande d’augmentation des autorisations d’enfouissement de déchets. Les avocats du patron des sociétés SMA tentent de décortiquer le montant, montrent les intérêts divers portés à la Somedis en vue d’un rachat : “Alexandre Guérini a plusieurs propositions, c’est à lui de fixer son prix. Il fixe un montant qui est jugé acceptable au sein de Veolia”, note Benoît Caviglioli. “L’idée même qu’Alexandre Guérini puisse faire comprendre à des gens de Veolia qu’ils ont besoin de son influence, c’est baroque”, soupire Jean-Charles Vincensini.

Le problème se nomme Bruno Vincent, ancien salarié de Veolia impliqué dans la vente de la Somedis et jugé en son absence pour raisons de santé. Lui a admis pendant l’enquête que l’influence d’Alexandre Guérini était clé. Il a dit avoir reçu sur des comptes à l’étranger près de 3 millions de francs. Confronté à des écrits bancaires, Alexandre Guérini a évoqué “un prêt”, jamais remboursé. Sur ces faits, la défense ne s’attarde que pour noter les versions changeantes de ce cadre. “Vous savez ce que je pense des aveux qui ne sont pas corroborés par les faits”, tente Benoît Caviglioli.

Relaxer Jean-Noël pour éviter de surcharger Alexandre

Le même a développé avec vigueur la double question du Mentaure. Il y a d’abord la distinction entre déchets privés et publics enfouis sur cette décharge du pays d’Aubagne. Mais il y a surtout celle qui supporte la nef de ce dossier, l’alliance bien comprise entre les deux frères : l’extension de la décharge du Mentaure gérée par Alexandre grâce à une double décision de préemption puis de revente d’un terrain par le conseil général dirigé par Jean-Noël.

Benoît Caviglioli plaide l’absence d’avantage pour Alexandre Guérini : l’extension de la décharge était un engagement contractuel de la communauté de communes, “si SMA environnement attaque au tribunal administratif, elle va obtenir l’ensemble des bénéfices qu’elle était en droit d’attendre de l’exploitation du terrain sur la durée du contrat. Il cherche aussi à convaincre par ce qu’il présente comme une évidence : “La participation même à la délibération établit qu’il ne savait pas.” Autrement dit, si Jean-Noël avait voulu tricher se serait caché et n’aurait pas pris part au vote.

Malgré des éléments parfois manquants, les écoutes restent accablantes pour la défense d’Alexandre Guérini.

Il sait que les éléments sur ce point précis manquent dans le dossier. Aucun écrit de l’ex-président du département à ce sujet n’a été trouvé, son cabinet a tout suivi et rédigé. Ils plaident encore la relaxe sur l’immixtion d’Alexandre Guérini dans la gestion de la communauté urbaine de Marseille qui ne lui aurait rien rapporté. Mais restent les écoutes, celles qui ont animé les débats. Des enregistrements d’une violence et d’une vulgarité crasses vaguement masqués derrière “le parler marseillais”. La défense ne sait qu’en faire si ce n’est admettre qu’ils font tache. Ils ne prouvent pas tout – les interceptions ont lieu en 2009 et de nombreux faits dont ceux reprochés à Jean-Noël Guérini ont lieu au début de la décennie – mais ils colorent. À 14 heures le 28 mai, le tribunal dira si leurs traces sont indélébiles.

 

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Commentaires

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  1. Jacques89 Jacques89

    « …seul lui pourrait obtenir auprès de l’Agglopole Provence, … une demande d’augmentation des autorisations d’enfouissement de déchets. »
    C’est quand même le Préfet au nom de l’Etat qui délivre les autorisations aux ICPE. Les assemblées territoriales auraient-elles un poids suffisant pour contraindre l’Etat à autoriser des installations ? Non, ce n’est pas une question. Je déconne!
    Suffit de voir comment les services de l’Etat se défilent pour ne rien voir de ce qui pollue ou autoriser en passant outre les étapes démocratiques. Marseille, « mère » de la décentralisation nous montre à quel point et en avant-première comment la les regroupements gangrènent ce pays.

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  2. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    Titulaire d’un emploi à la discrétion du gouvernement, les préfets n’ont guère les moyens, notamment en effectif, pour pouvoir exercer à posteriori, efficacement le contrôle de légalité des actes Multiples produits par les nombreuses collectivités territoriales ou assimilées du département des Bouches-du-Rhône ainsi que par la région PACA En effet il leur faut saisir , dans des délais très courts, le tribunal administratif pour obtenir l’annulation d’une décision prise par une collectivité territoriale , ou son refus de prendre en compte une lettre d’observation. Par ailleurs la politique « contractuelle » ne facilite pas les choses. En effet une certaine prudence est nécessaire car le préfet doit négocier le contrat « État région » à l’occasion duquel la plupart des collectivités territoriales sont concernés et doivent souvent apporter leur contribution. Quant à Marseille « mère » de la décentralisation, c’est ni plus ni moins qu’un retour à l’ancien régime avec ses privilégiés . Charles Maurras, originaires de Martigues, et royaliste antisémite en avait rêvé, François Mitterrand avec Gaston Defferre ont exaucé ce rêve .

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