La cité jardin de La Gardanne ne veut pas disparaître sous les eaux de l’Huveaune

Reportage
le 1 Avr 2017
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Arrêté par le préfet en février, le plan de prévention du risque inondation va imposer des prescriptions précises sur une partie des bordures de l'Huveaune. À Saint-Loup, la cité jardin de La Gardanne a deux ans pour réaliser des travaux de mise en sécurité.

La cité jardin de La Gardanne ne veut pas disparaître sous les eaux de l’Huveaune
La cité jardin de La Gardanne ne veut pas disparaître sous les eaux de l’Huveaune

La cité jardin de La Gardanne ne veut pas disparaître sous les eaux de l’Huveaune

Dès qu’il pleut Juliette Rubod, 84 ans, regarde le ciel avec inquiétude. Arrivée dans les années 60 du quartier d’Endoume, elle vit depuis dans une des 215 maisonnettes de la “cité jardin” de La Gardanne, coincée entre l’autoroute Est, la bretelle Florian d’accès à la rocade L2 et le fleuve côtier de l’Huveaune qui longe le quartier.

Si le cours d’eau est aujourd’hui à son étiage le plus bas, il peut monter à des hauteurs vertigineuses. En 1978, date de la dernière crue centennale, l’eau était montée jusqu’à 1 mètre 80 dans la partie la plus basse du quartier. “Je m’en souviens comme si c’était hier. Ma belle-mère était descendue d’Endoume dès qu’elle avait appris la nouvelle. Elle criait aux pompiers : « Laissez moi passer ! Ma belle-fille ne sait pas nager !». Depuis, l’eau, c’est ma hantise.” 40 ans après la dernière crue d’importance, l’eau de l’Huveaune est de nouveau un sujet d’actualité.

“Il y a des poissons, des canards. Dans les années 70, l’Huveaune était bleu un jour, rouge le lendemain, à cause des usines de la Valentine.”

Zone rouge, risque fort

Fin février, le préfet de région Stéphane Bouillon a arrêté le plan de prévention du risque inondation (PPRI) de l’Huveaune. Complexe, le document classe en rouge ou bleu les zones en fonction du risque, aléa faible, modéré ou fort, de la hauteur de crue centennale mais aussi de la nature de l’urbanisation des terrains. À ce zonage, est associé un règlement extrêmement strict qui déploie un grand nombre de prescriptions. Si le détail du futur PPRI de l’Huveaune n’est pas encore connu, il ne devrait pas s’éloigner du zonage présenté à la concertation en juillet et soumis à enquête publique en décembre.

A droite de l’échangeur Florian, sous l’autoroute Est, la cité de la Gardanne en rouge.

Or, la cité jardin de Saint-Loup constituée de petites maisons de plain-pied est entièrement située dans le lit de la dernière crue de référence – sous les plus hautes eaux – en aléa fort, rouge, très rouge. Qui plus est, elle était classée en Espace stratégique de requalification. Il s’agit des zones destinées à un projet de renouvellement urbain, comme la Capelette.

À neuf dans un deux-pièces

De quoi raviver l’inquiétude des habitants à propos d’une démolition de la cité. Ces derniers constituent une vaste famille dont les membres les plus anciens sont arrivés au tout début des années 20, depuis les quartiers insalubres du centre-ville, d’Endoume en particulier. “La plupart étaient des Italiens, explique Patrick Fiorentino, vice-président du CIQ Saint-Loup La Gardanne. Mes grands-parents vivaient à neuf dans une petite maison avec deux chambres sans salle de bains.”

De génération en génération, les Fiorentino sont restés là, cherchant à essaimer dans les rues alentours. “Mon père était logé au 1 de la rue centrale. Il était le concierge de la cité. Le logement était encore plus petit car il avait son bureau à l’entrée.” La cité vivait alors en vase-clos avec sa propre école, ses quatre magasins organisés en cercle au cœur de la cité. Et, de temps en temps, une crue un peu forte. “Comme en 2003 où les secours se sont tenus prêts à intervenir, se souvient Claude Saccomanno, le président du CIQ, depuis la petite maison que l’association occupe dans la rue centrale. Mais le système d’alerte a bien fonctionné et l’eau n’est pas montée trop haut.”

Trois vues de la Gardanne. L’ancienne maison du concierge et la rue des Cigales.

Ventes à l’arrêt

Au tournant des années 2000, le logeur Habitat Marseille Provence, empêtré dans les dettes, a entrepris de mettre en vente ce patrimoine “pas trop adapté au mode de gestion des HLM”, explique Christophe Berger, adjoint du directeur de la maîtrise d’œuvre qui suit ce dossier. Quelques lots sont mis en vente avant que tout s’arrête en 2010. “L’État nous a demandé de stopper le processus car le terrain se situait en zone inondable et que c’était trop risqué”, ajoute le représentant du logeur.

Du coup, les maisons dont les locataires décèdent ne sont pas réattribuées. Aujourd’hui, elles sont encore nombreuses à être murées. “Notre première réaction en voyant les documents du PPRI a été l’inquiétude, explique le président du CIQ. Le quartier était en zone rouge et on craignait que la Gardanne soit détruite et reconstruite avec des bâtiments de deux ou trois étages et non plus des petits pavillons comme aujourd’hui.” Une réunion organisée avec les habitants en juillet dernier permet de lever les derniers doutes. Rien n’oblige le logeur à démolir pour reconstruire sur place ou ailleurs.

L’ancienne boucherie murée. La croix de Saint-Loup que les commerçants ont tenu à conserver. L’électricité d’époque.

Obligation de zones refuges collectives

Comme le note le rapport d’enquête publique, cette réunion a permis de “bien expliciter la non justification de la démolition de la cité”. En revanche, le document laisse percevoir une autre urgence : le logeur a seulement deux ans pour réaliser l’ensemble des prescriptions contenues dans le règlement, contre cinq dans le reste de la ville. “Ce délai correspond à la nécessité de mettre en cohérence les travaux avec le plan communal de sauvegarde qui doit être mis en place en deux ans mais nous considérons que c’est un délai effectivement assez faible”, formule Christophe Berger.

Sans attendre la publication effective du PPRI, HMP a donc lancé les premiers marchés pour un diagnostic de vulnérabilité de l’ensemble de la cité. Le non-respect du délai imparti pourrait avoir pour conséquence de ne pas percevoir les subventions du fonds Barnier, qui permettent de couvrir 40% des coûts des travaux. Du côté de la Ville également concernée, on se refuse à tout commentaire tant que le détail du PPRI n’est pas connu. “La priorité de la Ville de Marseille restant bien entendu de garantir la sécurité de la population dans cette cité comme sur le reste du territoire“, ajoute-t-on dans les services de Julien Ruas, l’adjoint en charge du dossier.

Un cinq-pièces avec deux chambres

Les prescriptions inscrites au PPRI sont loin d’être légères. Les petites maisons étant de plain-pied, elles ne permettent pas de réaliser des zones de refuge dans chacune d’entre elles. Le logeur doit donc construire “une ou plusieurs zones refuges collectives” construites sur pilotis 20 centimètres au dessus du point des plus hautes eaux, c’est-à-dire à 2,2 mètres au-dessus du sol.

“L’endroit idéal est la place centrale où se trouvait l’ancien château de la marquise de La Gardanne qui a légué le terrain sur lequel la cité a été construite, suggère Patrick Fiorentino. Là, il y a de quoi mettre en place une structure de 250 mètres carrés.” La taille nécessaire ne sera connue qu’une fois l’ensemble des logements dûment inventoriés. “Le logeur n’est jamais trop intervenu chez nous, sourit Claude Saccomanno. Les logements étaient très petits, sans salle d’eau, avec toilettes et lavoir dans les jardins. On a tous fait des travaux sans trop demander l’autorisation.” Certains ont donc réalisé des étages mansardés sous les combles. Si la démarche n’était pas vraiment légale à l’origine, elle devrait permettre le cas échéant de réaliser des zones refuges pour une ou plusieurs maisons.

Batardeaux et compteur à 2,2 mètres de haut

À cela s’ajoute l’obligation de réaliser des batardeaux amovibles de 80 centimètres pour empêcher l’eau d’entrer par les portes, de rendre hermétiques les huisseries ou de modifier l’électricité en mettant aux normes et en perchant les compteurs à 2,2 mètres de hauteur. “Certaines maisons ont encore les fils entourés de tissu”, constate Claude Saccomanno. “Au final, le logeur nous a dit qu’il s’en tiendrait à la mise aux normes et au déplacement des compteurs”, ajoute Fiorentino.

Un autre problème concerne les zones de stationnement. En cas de crue, il s’agit d’assurer “la transparence hydraulique” en permettant à la crue de s’épandre librement. Les voitures ne doivent donc pas faire obstacle à l’eau d’une part et à l’arrivée des secours d’autre part. “Il y a plusieurs niveaux d’intervention : on peut se contenter d’interdire le stationnement et faire confiance au civisme, ou on l’empêche physiquement et il faut trouver des solutions de stationnement ailleurs”, constate Christophe Berger, d’HMP.

D’obligations en recommandations

Mais tout ceci est soumis à un détail financier de taille. L’ensemble des prescriptions inscrites dans le futur règlement du PPRI sont obligatoires si et seulement si elles ne dépassent pas 10 % de la valeur vénale du bien. Dans ce cas, elles “doivent être considérées comme des recommandations”. Une des premières mesures d’HMP consiste donc à faire évaluer son patrimoine par le service France Domaine. Avec près d’un siècle au compteur, le bâti ouvrier de La Gardanne ne doit pas atteindre des hauteurs vertigineuses.

Cela tombe bien, les habitants apprécient l’effet village italien où tout le monde se côtoie et se connaît. Et rares sont les maisons à conserver le plan d’origine. Oncle de Patrick et voisin de Juliette Rubod, Gilbert Fiorentino a conservé la répartition initiale des pièces même si la chambre des aïeux est devenue un salon où trône encore un antique poêle à mazout.

Gilbert et Patrick Fiorentino devant le domicil familiale.

Dans l’arrière-cour un petit cabanon a remplacé une partie du jardin. “C’est mon père qui l’a construit, sourit Patrick Fiorentino. Mes parents vivaient là après leur mariage.” L’un et l’autre racontent volontiers l’entrée du cheval de la grand-mère qui travaillait sur les marchés et “passait tous les soirs par le couloir”. “Il y avait aussi une chèvre et un cochon”, ajoute l’oncle Gilbert. La cité est ainsi le dernier témoin d’un monde ouvrier disparu.

“Home staging” avant l’heure

D’autres maisons ont connu de profonds remaniements : étage dans les combles, reconfiguration complète de la surface au sol. C’est le cas du logement de Claude Saccomanno ou de sa voisine madame Durbec qui ont coupé certains murs-maîtres pour atteindre des espaces à vivre d’une taille correcte, sans jamais prévenir le logeur de ces modifications. Au final, les habitants apprécient cet effet d’entre-soi d’une cité HLM de petits pavillons dont les loyers varient entre 170 et 220 euros par mois. On compte parmi les riverains trois chauffeurs d’élus, dont celui du maire en personne “aujourd’hui à la retraite”.

Un jardin en friche, un couloir en l’état et une cour rénovée.

S’ils n’ont pas légué leur bien à leurs enfants, les locataires y sont entrés par relations “comme cela se faisait à l’époque”, formule Claude Saccomanno, arrivé en 1981. La mise en place du PPRI pourrait permettre de relancer la vente des logements et ainsi parachever le caractère familial et privé de l’ancienne cité d’urgence. Au final, la crue centennale n’est pas une vraie crainte. “Du moment que le plan de sauvetage est bien fait, ajoute Patrick Fiorentino. Nous sommes prévenus au moins six heures à l’avance.” Même la crue de 1978 est minimisée. À l’entrée de la cité, Claude Saccomanno hèle un voisin qui rentre des courses. Il travaillait à la Seram, société en charge de l’assainissement et donc de la gestion de l’évacuation des eaux pluviales.

S’engage alors un dialogue. – “Alors dis nous pourquoi la cité a été inondée à l’époque?”, interroge le président de CIQ. – “C’est simple, maintenant je peux le dire puisque je suis à la retraite. Le maire de l’époque, Gaston Defferre nous avait interdit d’ouvrir les vannes de la station Ganay pour éviter que l’Huveaune rejoigne son lit naturel et que les bordilles finissent aux plages de Borely, chez les bourgeois ! Résultat, c’est chez nous qu’il y a eu l’inondation.” C’est ce qu’on appelle la mémoire de l’eau…

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Commentaires

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  1. Tarama Tarama

    L’Huveaune “bleue un jour, rouge le lendemain, à cause des usines de la Valentine” j’en ai souvent entendu parler.

    Remarque il y a encore des conséquences aujourd’hui puisque le stade nautique du Roucas Blanc, au nord des plages du Prado, s’est bien retrouvé rouge un jour, et bleu le lendemain (sur le PPRI), par simple intervention du préfet en vue de l’organisation des JO 2024.
    Ah les aléas climatiques…

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  2. Frederic Frederic

    La photo aérienne de repérage qui illustre le début de l’article n’est pas la bonne, c’est celle, plus au nord sur la L2, de l’échangeur de frais vallon.

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    • Benoît Gilles Benoît Gilles

      Merci de votre alerte. Ce n’est effectivement pas le bon bout de la rocade. Nous avons mis en ligne l’extrait du projet de PPRI de La Gardanne. Toutes nos excuses pour cette erreur.

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