La boîte à idées secrète de Jean-Claude Gaudin

La boîte à idées secrète de Jean-Claude Gaudin

Le processus était enclenché depuis des mois dans la plus grande discrétion. Pour préparer au mieux la campagne du maire sortant Jean-Claude Gaudin, l'UMP a mis en route un think tank officieux pour tracer les grandes lignes d'un futur projet pour Marseille. Des entrepreneurs, des hauts fonctionnaires, des professionnels du secteur libéral, se sont succédé dans des réunions collectives ou des rencontres en tête-à-tête autour de la nouvelle garde de la droite. Le résultat de leurs réflexions est consigné en 150 propositions dont Marsactu s'est procuré l'inventaire au nez et à la barbe de ses auteurs.

"Honnêtement, mettre en route une grande consultation, réfléchir aussi longtemps à l'avance à un programme, on n'avait pas fait cela depuis 1995. À l'époque, le RPR avait fait un programme "Marseille pour tous" en hommage à "la France pour tous" de Jacques Chirac. L'UDF aussi avait fait son programme et on avait fusionné ensuite". Le secrétaire départemental de l'UMP Bruno Gilles ne tarit pas d'éloges sur le processus de consultation de la société civile qu'il a engagé depuis le début de l'année avec cinq autres poids lourds de la majorité Gaudin.

Des cercles CSP +

Caroline Pozmentier sur la sécurité, Didier Parakian sur l'économie, Yves Moraine sur l'image de Marseille, Martine Vassal sur l'espace public, Laure-Agnès Caradec sur le cadre de vie et donc Bruno Gilles sur la proximité ont consulté plus de 150 personnes pour présenter à Jean-Claude Gaudin une centaine de propositions pour le Marseille de 2030. "Chacun a travaillé à sa guise, détaille Bruno Gilles. Moi, par exemple, sur mes questions, je n'avais pas envie d'entendre les comités d'intérêt de quartier. Non pas que je ne veuille pas entendre leur point de vue, mais je le connais par coeur. Là, j'ai plutôt rencontré des CSP +." Le panel choisi ne prétend pas être le reflet de la société marseillaise. "Sans doute ces personnalités n'expriment-elles pas l'opinion générique des Marseillais et ne sont-elles pas forcément représentatives de la diversité de cette ville – ne serait-ce que par leur origine, leur profession, leur expérience et leur proximité politique avec nous", admet en préambule le document de synthèse.

Ces "cercles de réflexion" ont présenté leurs conclusions à Jean-Claude Gaudin le 14 novembre. "Il était très ému de voir qu'il était si bien entouré", témoigne Martine Vassal qui s'occupera de la direction de sa campagne avec Bruno Gilles. Selon le futur porte-parole du candidat Gaudin, Yves Moraine, "Jean-Claude Gaudin a été tenu informé de cette démarche mais ne l'avait pas sollicitée. Ce document doit servir de socle au programme et à une sorte de pacte ou de charte que nous proposerons aux Marseillais. Mais je ne peux vous dire si ce sont 70 ou 90 des 100 propositions qui seront retenus au final".

Goldman, Izzo, Bosso, Rostand et Zidane

Ce document de synthèse est assez étonnant dans sa forme. Il rassemble à la fois des propositions très globales sur la marche de la ville comme d'autres bien plus anecdotiques. "La tête dans les étoiles et les pieds dans la glaise", résument les poètes de l'UMP. Concrètement, cela donne des préconisations à large spectre comme l'extension des zones franches à l'ensemble de la ville ou la création d'une "fondation marseillaise de la culture" pour associer les acteurs culturels. Mais cela inclut la création d'une chanson pour Marseille pour laquelle "Jean-Jacques Goldman pourrait être sollicité" et des statues de personnalités marseillaises comme Fernandel, Zidane, Jean-Claude Izzo, Patrick Bosso, Edmond Rostand ou encore Ariane Ascaride et Franck Pourcel (plutôt celui-ci que celui-là). Les cercles de réflexion proposent aussi l'adoption du slogan "mains propres" pour "illustrer la volonté de transparence".

Yves Moraine assume le caractère hétéroclite de cette boîte à idées. "On a filtré, on a organisé les propositions mais on n'a rien rejeté", argumente-t-il. "On a enlevé les mesures que la loi n'autoriserait pas, élagué les doublons", précise Martine Vassal. Pour ses initiateurs, cet inventaire doit servir à structurer le renouvellement autour d'un maire de 74 ans élu depuis dix-neuf ans à la tête de la Ville.

Zones commerciales offshore

Au sein des 150 propositions, certaines pourraient particulièrement nourrir le débat. Côté économique, on citera l'idée d'une "zone d'activités commerciales offshore et défiscalisée sur le port" qui "nécessiterait bien sûr l'accord de l'État", souligne Bruno Gilles. Toujours dans le même domaine, les cercles de réflexion proposent la création d'une "grande école du tourisme [pour] développer des filières entièrement tournées vers ce secteur d'activités pour permettre un débouché direct à de nombreux jeunes Marseillais".

Bien sûr, dans ce florilège de bonnes intentions, figurent quelques curiosités, tautologiques, voire absurdes. "Développer une filière marine dans la rade nord", relève de ce registre. Tout comme les ateliers citoyens dans les écoles "autour de la notion de citoyenneté". On pourrait ajouter la création du réseau social Ville de Marseille sur Facebook ou le ticket unique pour les transports en commun qui existent tous les deux déjà. D'autres éléments prêtent à sourire car ils ont déclenché en leur temps l'opposition de la droite : il en va ainsi de la proposition très new-yorkaise d'une voie "dédiée aux bus, au covoiturage et aux véhicules comptant quatre occupants". A la communauté urbaine, le groupe UMP avait voté contre entraînant le rejet de la délibération. La même opposition avait fraîchement accueilli la création de maisons régionales de santé recyclée dans le présent document. 

Une part d'auto-critique

Les sujets potentiellement polémiques garnissent aussi les autres thématiques du débat public. Comme Jean-Claude Gaudin lors de la remise des flash-ball à la police municipale, les cercles de réflexion estiment qu'"il faudra ouvrir le débat [sur] les armes létales". Les groupes de réflexion prônent aussi le retour des trolleybus ou la mise en place de station Autolib'. Une manière d'améliorer un peu le bilan Gaudin sur les déplacements alors que le document de synthèse considère ce thème comme "un des point noirs du bilan des deux décennies Gaudin qui faisait de ces questions, en 1995, l'une de ses priorités". On touche alors le revers de l'exercice : accepter la critique. Elle poind aussi lorsqu'est réclamé "un discours clair et de fermeté face à l'incivisme. Et d'abord à l'égard des employés municipaux et de "la logique FO" qui gouverne leur comportement". Parfois passe également une petite pique qui ressemble à un règlement de comptes. Ainsi par opposition au Pavillon M conservé et érigé en emblème "dynamique", l'office du tourisme actuel est qualifié de "lieu sans vie". 

Mais aux yeux de la droite, l'exercice de concertation avait aussi pour but de redorer l'image d'un maire usé par deux décennies passées à l'hôtel de ville. Certaines des propositions comme une boîte de nuit au J1 ou un parking souterrain à la Friche sont déjà enclenchés dans les derniers mois de l'actuelle mandature. D'autres arrivent au coup par coup sur la place publique. Dans le lot, il y a bien sûr une part de ballons sondes mais le coeur du programme de Gaudin est déjà là.

>> Les 150 propositions des cercles de réflexion