La Base, grande coloc des écolos marseillais
Depuis février 2020, La Base est le nouveau QG d'une vingtaine de collectifs militants, en grande partie écologistes. Plusieurs causes et générations y cohabitent, à deux pas du métro Chartreux. Avec l'espoir de faire de ce lieu atypique le point de départ d'un autre modèle de société.
Située dans le 4e arrondissement, La Base Marseille découle d'un projet d'Alternatiba à l'échelle nationale.
La cour de La Base se détache comme un point de lumière au fond d’un tunnel. Au bout d’une entrée sombre et peu visible depuis la rue Pierre Roche (4e), des jardinières et bancs en bois fabriqués maison habillent la terrasse de l’ancien entrepôt. Entre deux murs roses et jaune pastel flanqués de plantes en pot, les slogans multicolores accueillent le visiteur : “Détruisons le patriarcat”, “Mois des fiertés”, “Sauvons la planète”. Près de l’entrée, le logo de La Base résume l’ambition du lieu : offrir un toit aux militants, un toit dont la cheminée serait un poing brandissant une feuille d’arbre. C’est La Base, acronyme pour base d’action sociale et écologique.
Ce mardi après-midi, l’espace partagé par une vingtaine de collectifs depuis février 2020 est pris d’assaut. Pendant que l’atelier Vélocène s’affaire à former les volontaires à la réparation vélo, Maxime multiplie les aller-retours pour déposer ses paniers de légumes sur des tables en bois de la terrasse, autour desquelles plusieurs gilets jaunes essaient tant bien que mal de préparer leur réunion. Un joyeux bazar, d’abord initié par Alternatiba, qui s’est donné pour objectif d’offrir à Marseille un lieu pour catalyser les énergies alternatives de sa vie associative. Le projet, pensé à l’échelle nationale, est pour l’instant pérennisé grâce à des donateurs qui paient les 2700 euros de loyer mensuel, sans aucune subvention. Au bar, à la cuisine, dans les salles de réunion et de matériel, se croisent et travaillent ensemble des associations aussi diverses qu’Extinction Rebellion, Greenpeace, Youth for Climate, les féministes Cœur de cagoles ou encore les utilisateurs de la Roue, une monnaie locale.
Une vingtaine de collectifs
L’air rieur sous sa moustache, Olivier s’improvise guide des lieux. Là, urinoirs en bidons de récup’, ici kit de fabrication de serviettes hygiéniques, carte des boissons locales bios et arche détaillant les noms des donateurs. Mais le jeune trentenaire insiste : c’est le bar qui est le cœur du lieu. “Après une réunion, deux associations peuvent se retrouver au bar et se rendre compte qu’elles ont parlé de la même chose et se demander alors comment elles peuvent travailler ensemble ?”, sourit le militant. Lui s’est engagé dans trois collectifs différents, comme beaucoup de ses camarades. “Dans les maisons des associations, on travaille souvent côte à côte. On se dit « il faudrait qu’on fasse un truc ensemble ». Ici, on le fait”, se réjouit-il.
Tournesols et gilets jaunes
À La Base, personne ne s’étonne de voir la mise en place de jardinières côtoyer l’organisation d’apéros sauvages par des gilets jaunes opposés au passe sanitaire. Ceux de Marseille centre sont une petite dizaine à se réunir tous les mardis soir dans la matériauthèque de La Base, où est stocké le matériel des collectifs. Pour Sylvie, la cinquantaine, cheveux argentés et gilet jaune de la première heure, pouvoir se réunir librement à La Base est une vraie chance : “On nous a beaucoup présentés comme des beaufs pas écolos du tout. Mais on partage les mêmes valeurs que tout le monde ici : l’égalité sociale et la dignité humaine”. Le groupe a aussi mené des actions communes, avec Extinction Rebellion notamment.
Les gilets jaunes Marseille centre se retrouvent aussi dans l’organisation horizontale prônée par La Base. Ici, pas de conseil d’administration ni de chef, mais une assemblée délibérative. Le modèle choisi depuis le départ est celui de l’organisation en groupes de travail thématiques, au sein desquels chaque personne a une voix. Certains récupèrent du matériel, d’autres cuisinent, gèrent la signalétique, les travaux ou les relations avec le voisinage.
Vélorution ou révolution ?
Les collectifs et associations mutualisent les idées, mais aussi le matériel.
Dans la même salle, c’est maintenant au tour d’un groupe multi-associations d’investir les lieux. Ce soir, ils préparent des pancartes en vue de la “vélorution” qui doit partir de la Plaine à vélo ce samedi pour promouvoir ce mode de déplacement. Ils ont à disposition les affaires de chaque association, mais aussi ce qui est mis en commun. “Avoir tout rassemblé ici et pouvoir échanger du matos, c’est un gain de temps énorme”, s’enthousiasme Amarine, infirmière et militante à ANV-COP21.
“Libérez les cyclistes enfermés dans les voitures”, s’applique à peindre la quinquagénaire. En face d’elle, Louise, 20 ans, entame son premier engagement associatif à Alternatiba. Et casse les oreilles à toute l’assemblée avec ses coups de marteau. Amarine la conseille, avant de se faire taper sur les doigts : elle a oublié d’utiliser l’écriture inclusive sur sa pancarte. Toutes deux se réjouissent de l’échange d’expériences que permet La Base. “Toute une génération de militants est découragée par l’informatique. Ici, des plus jeunes peuvent m’aider, tandis que je peux leur apprendre à coudre”, sourit Amarine.
C’est aussi un certain consensus qui est recherché par les petites mains affairées à la préparation des banderoles. “De quelle couleur est-ce que j’écris « liberté » ? Rouge, c’est un peu tendancieux”, s’interroge une militante, avant d’opter finalement pour le vert. “Il nous faut des slogans qui ne soient pas clivants envers les automobilistes”, pointe une autre.
Plusieurs membres de La Base le reconnaissent : la partie sociale du projet est encore peu développée, même si quelques collectifs queers, féministes ou venant en aide aux réfugiés participent aussi. Au fil des maraudes et des repas distribués dans le quartier, des liens se sont tissés avec des personnes sans-abris, des habitants ne parlant pas français ou en situation de handicap. Mais sur place, les militants de La Base restent souvent blancs et diplômés, et peu de contacts sont pour le moment établis avec d’autres lieux de lutte comme l’Après-M dans les quartiers Nord. À La Base, on assure vouloir plus d’inclusivité. Un groupe de travail est d’ailleurs chargé de développer la convergence entre écologie et social, encore en chantier malgré sa présence dès le départ dans le projet.
“Il y a un modèle de résilience ici”
Ta bière, tu la paies en euros ou en roue ?
Pendant ce temps-là au bar, la discussion tourne autour de l’hypothèse d’une Base plus populaire à Marseille et plus bobo à Paris. Venu du QG parisien, un militant commente la vidéo d’une action d’Extinction Rebellion menée à Roissy. Derrière le comptoir, Charlotte est impressionnée. Elle est entrée à La Base par le bénévolat au bar. Venue de région parisienne, c’est en partie pour La Base que la jeune femme a choisi de s’installer à Marseille. “J’ai frôlé le burn-out militant après le camp climat. À la Base Marseille, j’ai petit à petit trouvé un engagement concret, mais aussi un espace bienveillant, de repos et de relais.” Ce soir, la militante console les amateurs de sirop coquin – à l’hibiscus et au gingembre – déçus face à la pénurie frappant leur nectar préféré. Sans oublier de leur poser la question qui convient : “Ta bière, tu la paies en euros ou en roue ?”
Accoudé au comptoir, Timothée, militant de la cause cycliste, casse quelque peu l’ambiance : tout n’est pas toujours rose à La Base. Le jeune homme s’est fâché avec un autre collectif et il se fait discret depuis. “Certaines assos prennent plus de place que les autres… Il y a forcément des tensions. Pas de baston, mais des cris et des larmes, ça oui.” Yann, le fondateur de Vélocène, se souvient encore du conflit historique qui a ébranlé le lieu par le passé : pour ou contre de la viande dans les repas proposés sur place ? “La discussion sur la messagerie Telegram a failli être fermée tellement c’était violent”, rapporte-t-il. Avant de relativiser : “Il y a quand même un modèle de résilience ici. La Base est fondée sur un nouveau militantisme, transversal. À la fin, on arrive à dépasser les guerres d’egos qui sont monnaie courante dans le monde associatif”.
Une convergence tous azimuts, qui a désormais un lieu commun pour se déployer un peu plus loin et plus vite – pas forcément sans difficultés. Ça tombe bien, La Base a tout prévu : dans sa charte des valeurs, elle a même inclus une déclaration d’imperfection, qui admet : “Nous sommes conscient·e·s qu’il nous arrivera de ne pas respecter nos intentions. Nous faisons confiance à l’intelligence émotionnelle de notre groupe pour gérer ces moments au mieux”.
Commentaires
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La multiplication de ce type de lieu me paraît symptomatique de la déception qu’engendre auprès des jeunes notre système démocratique : que ce soit au niveau local ou national, rien ne bouge ! La préservation des avantages d’une minorité bloque tout changement, alors que les urgences pullulent. Pauvreté, pollution, réchauffement climatique, santé… Nos enfants ne croient plus au bulletin de vote, et je comprends leur soif « d’alternatif », sous-tendue par une lucidité et un pragmatisme qui tranchent avec l’idéal candide des générations précédentes. Pendant ce temps, le populisme et le fascisme gagnent du terrain… Donc ne laissons pas tomber le vote, mais soutenons aussi ces nouvelles formes d’engagement. Après tout, ce sont eux qui vivront dans le monde que nous leur laissons. Et accessoirement, vous noterez la complicité entre parisiens et marseillais dans cette démarche : on est loin de la caricature des rivalités de stade !
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Je n’ai pas l’impression que les jeunes soient majoritaires dans ces structures…
on dirait bien que les plus de 50 ans soient encore là, et majoritaires, militants de toujours, passés par différentes structures, ou impliqués sur le tard.
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Notre système démocratique est sclérosé car le personnel politique national n’a plus qu’une vision comptable de la société en obéissant à des injonctions venant d’ailleurs ( économie néolibérale donc moins d’Etat, europe ). Ne nous reste plus, pour nous en sortir pas trop mal, que la lutte sociale et ces associations telle que la BASE.
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Dans ces « collectifs militants » on se dispute donc pour savoir s’il y aura de la viande à la cantine, on se demande si on doit payer son jus bio en Euro ou en Roue, et on fait des beaux organigrammes en couleurs avec plein de flèches.
Cela pourrait être simplement drôle, mais quand on connait l’urgence sociale dans la ville c’est juste indécent et désespérant. On se plaint (à raison) du fait que les politiques Marseillais soient « hors-sol ». Mauvaise nouvelle, ils ne sont pas les seuls.
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Je dirais qu’ils jouent « aux billes « et/ ou « à la dînette « , « tu paie en roue ou en € « ? !.
Ils sont les soixante-huitards d’hier, et on sait comment ils ont fini . Ha ! cette magnifique écriture inclusive qui demeure le marqueur des mieux lotis culturellement et / ou socialement, qu’importe le vin pourvu qu’il y ait l’ivresse .
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L’article est très réducteur. Tous les collectifs militants sont reconnaissants de l’existence de La Base rien que dans la possibilité d’avoir un lieu assez facilement pour organiser des réunions ou des manifestations. Ce lieu est lieu d’échanges, de repères necessaire à l’expression militante. La tournure de l’article est quelque peu dérangeante.
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Latécoère et Avicenne, votre altitude de vol et votre aura de thaumaturge vous aveuglent. Ce lieu est quand même plus productif pour la création de tissu social que les cercles de boulomanes qui fleurissent à Marseille, souvent financièrement aidés par les mairies de quartier. Partagez avec tous le nom des organisations dans lesquelles s’exerce votre militantisme car on sent l’expérience dans vos propos.
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L’opposition au pass sanitaire me paraît un sujet très éloigné des préoccupations écologistes… Celles-ci incluent (sauf erreur) la solidarité avec les plus faibles. Et donc le refus de leur mise en danger.
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@RicardMouren
Pas de malentendu. Contrairement à Avicenne je reste fidèle aux idéaux de 68 et j’aime beaucoup l’écriture inclusive. Ce que je reproche à ces « collectifs militants » (mais vous avez probablement raison, qui suis-je pour leur faire des reproches) c’est leur uniformité sociale et leur manque d’impact. Je pense, contrairement à vous, qu’il y a plus de mixité sociale chez les boulistes. Et ne me dites pas que leur organigramme de fonctionnement “holacratique” ne vous a pas fait marrer. Tout comme la légende de photo : « Louise et Amarine en pleine préparation de la Vélorution, dans la matériauthèque »
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