Jean-Claude Gaudin, mort d’un animal politique marseillais

Actualité
le 20 Mai 2024
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L'ex-maire (LR) de Marseille, ancien ministre et vice-président du Sénat, vient de s’éteindre à l’âge de 84 ans. Premier magistrat 25 ans durant, il a incarné la ville, dans ses évolutions et dans ses drames.

Jean-Claude Gaudin lors de son dernier conseil municipal, le 27 janvier 2020. (Photo : Emilio Guzman)
Jean-Claude Gaudin lors de son dernier conseil municipal, le 27 janvier 2020. (Photo : Emilio Guzman)

Jean-Claude Gaudin lors de son dernier conseil municipal, le 27 janvier 2020. (Photo : Emilio Guzman)

S’il était maire de Marseille depuis 1995, Jean-Claude Gaudin avait franchi le seuil de la salle du conseil municipal de Marseille 30 ans auparavant. Alors élu, à 25 ans, au sortir de son service militaire, dans les rangs du Centre national des indépendants et paysans au sein d’une liste emmenée par un certain Gaston Defferre. Jean-Claude Gaudin, né le 8 octobre 1939 à Marseille, s’est éteint ce lundi 20 mai 2024, à l’âge de 84 ans. Il est décédé à Saint-Zacharie, où il possédait une “campagne”, comme disent les vieux Marseillais, mais c’est bien avec Marseille qu’il entretenait une relation fusionnelle.

Souvent, dans son beau bureau jouissant d’une vue somptueuse sur le Vieux Port, il se plaisait à montrer le cliché le dévoilant, benjamin du conseil municipal en 1965. Il accompagnait alors invariablement le coup d’œil à la photo d’un éclat de rire : “Ah ! À l’époque, j’étais encore comestible !”.  Sa bonhomie d’homme rond amateur de bonne chère et ses bons mots pagnolesques pouvaient séduire et berner. Mais ils cachaient un redoutable animal politique.

Entré à l’UDF, il œuvre en 1973 à la réussite de la campagne de Valéry Giscard d’Estaing, l’année suivante. Il connait ensuite tous les palais de la République : l’Assemblée nationale où il siège de 1978 à 1989 ; le Sénat, son rêve d’adolescent, de 1989 à 2017, dont il assurera la première vice-présidence les dernières années ; en passant par le ministère de l’Aménagement du territoire de novembre 1995 à septembre 1997, sous la présidence de Jacques Chirac. Il est également président de la Communauté urbaine marseillaise puis de la métropole Aix-Marseille Provence à sa création, en 2015. Et si Robert Vigouroux lui ravit, contre toute attente, la mairie de Marseille en 1989, il la décroche en 1995 pour ne la lâcher qu’en 2020. Une carrière imposante qui fait de lui, jusqu’aux municipales de 2020, le leader incontesté de la droite régionale et le plus important porte-voix de Marseille à Paris, depuis la mort de Gaston Defferre en 1986. Rôle qu’il affectionnait particulièrement et rechignait à laisser à d’autres.

Accord avec le FN

Fils d’un maçon démocrate-chrétien, le futur maire de Marseille grandit dans un milieu modeste. Très attaché à son quartier de Mazargues dans le Sud de la ville, professeur d’histoire-géographie 15 ans durant dans le privé, le maire de Marseille préside, de 1986 à 1998, le conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur, grâce à un accord de gouvernance avec le Front national. Choix opportuniste qui, dans un monde politique prompt à lui tresser des lauriers à droite autant qu’à gauche, reste comme l’une des parts sombres de ses mandats. Devenu maire, il est aussi capable de tenir bon face à ceux qui, à l’extrême-droite de l’échiquier politique, lui reprochaient d’octroyer des subventions à l’organisation de l’EuroPride.

L’homme, d’un abord facile et doté d’un solide humour, n’aimait rien tant que renforcer son accent marseillais le temps d’un bon mot. Il ne fallait pas trop se laisser prendre par ses cajoleries. Aux affaires, Jean-Claude Gaudin est amateur, comme peu, des arrière-cuisines politiques. Il voue, sans le cacher, un culte au socialiste Gaston Defferre ; s’enorgueillit volontiers d’avoir pris part à la cérémonie funéraire d’Edmonde Charles-Roux, selon ses dernières volontés. Elle qui pourtant “a toujours été contre moi”, souriait-il. De Defferre, il a aussi repris la pratique de la décriée “cogestion” avec le syndicat Force ouvrière.

En 2008, il tire les ficelles de l’élection à la communauté urbaine et son dauphin, Renaud Muselier, trébuche au portes de la présidence.

Gaudin adore séduire au-delà de son camp politique, cultive sa stature républicaine en s’affranchissant des clivages : se faisant une joie de montrer un jour sa proximité avec le socialiste Manuel Valls ou son admiration pour Emmanuel Macron, tout en recevant l’ex-sénateur et leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, en pleine campagne des législatives en 2017. Il aurait sans doute adoré le post du président de la République sur X ce lundi, qui souligne aujourd’hui que Gaudin “était Marseille faite homme.” Mais, Gaudin sait aussi être d’une grande cruauté avec ses pairs marseillais. La façon dont il a tiré les ficelles de l’élection à la tête de la communauté urbaine en 2008, préférant voir accéder à la présidence Eugène Caselli (PS), plutôt que son premier adjoint Renaud Muselier (RPR) en qui il voyait un trop gros rival en dit long, alors.

Effondrements

Son bilan à la tête de la deuxième ville de France est forcément mitigé. À son crédit, l’ancien maire citait : la réfection partielle du Vieux-Port réalisée avec la communauté urbaine, la création du tramway ou la baisse du chômage sur la dernière décennie de ses quatre mandats. Mais durant son quart de siècle de règne, la fracture sociale entre le centre-ville et le Nord, pauvres, et les quartiers Sud, plus favorisés, n’a fait que se creuser. Cet argument, il le balayait régulièrement d’un revers d’une de ses grosses mains. S’enfonçant dans le déni lorsque l’état de vétusté extrême de certaines écoles marseillaises est révélé en 2016. La une de Libération qui titre alors “La honte de la République”, lui reste en travers de la gorge. Sans que pour autant sa municipalité ne prenne la réelle mesure de la dégradation des bâtis des écoles municipales.

Et puis, le clivage qui déchire la ville durant ses mandats devient drame. Le 5 novembre 2018, à 9h du matin, les effondrements d’immeubles insalubres à Noailles provoquent la mort de huit personnes. Cette tragédie devient le puissant symbole d’une incurie politique, pointée du doigt autant par l’opposition municipale de gauche, que par une partie de la droite. Président LR de la région Paca, Renaud Muselier, l’ancien premier adjoint devenu meilleur ennemi du maire, voit dans ce quatrième mandat de Jean-Claude Gaudin, “celui de trop”.

“Ces décès me hanteront toujours”, déclare à plusieurs reprises le premier magistrat, isolé. Le drame et ses folles conséquences pour la ville – des centaines d’immeubles insalubres évacués, des milliers de Marseillais à la rue – accélèrent de fait la fin de son règne. Dans un autre domaine, le 22 mars 2022, il est condamné à six mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende pour détournement de fonds publics par négligence, pour ne pas avoir agi afin de mettre fin aux entorses au respect du temps de travail des agents municipaux et avoir laissé verser des heures supplémentaires bidon.

La valse des héritiers politiques

Ses dernières années en politique sont crépusculaires. Après avoir abandonné, à grand regret, son siège de sénateur en septembre 2017, puis celui de président de la Métropole, Jean-Claude Gaudin avait laissé entendre qu’il lâcherait son poste de maire en cours de mandature au profit d’un hypothétique dauphin. Mais le vieux loup de la politique marseillaise n’y parvient pas. Il lui répugne de désigner un successeur.  Trop gourmand d’une politique dont il aime tous les arcanes, il n’est jamais passé à l’acte. Obsédé par sa volonté de durer et terrorisé à l’idée de ne plus siéger, Jean-Claude Gaudin n’a pas su, parce qu’il ne l’a pas voulu, préparer sa succession.

Son bilan, les effondrements de la rue d’Aubagne en tête, a pesé lourd dans le basculement à gauche de la ville en 2020 au profit du Printemps marseillais, emmené par Michèle Rubirola. Et son aptitude à savonner la planche à ses dauphins potentiels – Renaud Muselier, Martine Vassal et Bruno Gilles en savent quelque chose – y est aussi pour beaucoup.

“Son départ me peine infiniment”, a tweeté l’actuel maire de Marseille, qui avait l’affection de Jean-Claude Gaudin, jusqu’à agacer la droite locale.

Sa proximité avec l’actuel maire, Benoît Payan (DVG) faisait d’ailleurs grincer des dents à droite. En septembre 2023, ce dernier n’avait pas manqué d’inviter son prédécesseur à la visite du Pape. “Son départ me peine infiniment”, a-t-il tweeté ce lundi. À défaut d’une filiation politique, Benoît Payan reprend souvent à son compte, lorsqu’il est calé dans le fauteuil de Gaudin en conseil municipal, quelques mimiques ou expressions de l’ancien maire. Et Jean-Claude Gaudin, pendant ce temps-là, dans la retraite paisible qu’il coulait entre Mazargues et Saint-Zacharie était heureux. Heureux d’être jusqu’au bout le seul à droite qui ne faisait qu’un avec sa ville.

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Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    Merci d’avoir oeuvré à la construction d’une métropole si favorable à Marseille ! Merci d’avoir eu l’ouverture d’esptit d’accueillir le Front National à la gouvernance de la Région ! Merci d’avoir oeuvré au renforcement du Sénat si utile à notre République ! Merci d’avoir fait miroiter mille choses aux cocus dauphins hihihi pour finalement mettre en place la grande madame Vassal ! Merci d’avoir renforcé la présence de Force Ouvrière grand défenseur des droits des travailleurs municipaux de notre belle ville ! Merci d’avoir mis en ordre de marche les 13000 fonctionnaires pour que la ville ne s’effondre pas de trop !

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Merci d’avoir laissé les écoles publiques et les piscines tomber en ruine. Merci d’avoir “oublié” d’investir dans les transports en commun. Merci d’avoir fait pleuvoir sur la ville, avant chaque élection, des promesses par dizaines sans jamais les réaliser… La liste est longue.

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    • julijo julijo

      et également merci d’avoir formé et formaté une pléiade d’élus qui aujourd’hui utilisent les mêmes méthodes, les bébés gaudin disséminés, actifs, et incompétents dans plusieurs arrondissements marseillais, la région et la métropole…..
      merci d’avoir servi vos amis parmi les bétonneurs de la ville….

      la liste est infinie.
      les dégats sont notre quotidien.
      on a beau, c’est traditionnel, tenter de parer les morts de toutes les vertus, et d’oublier les choses qui fâchent, mais là où qu’on se tourne, quoiqu’on regarde dans notre ville et alentours on se souviendra.

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  2. neom neom

    La règle est qu’on ne dit jamais du mal des morts mais si Gaudin était bien un “animal” pour gagner et conserver le pouvoir c’est par contre dans l’exercice de celui-ci qu’il a été médiocre. Bétonnage d’Euromediterranée, festin des promoteurs, RTM nulle, insupportable tourisme de masse, clique d’adjoints incompétents voire corrompus, FO, gabégie à tous les étages… Qu’a-t-il fait de bien????

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Il a reconstruit (deux fois) le stade Vélodrome 😉

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    • julijo julijo

      il a réussit à disparaître avant d’être rattrapé par la “patrouille” juridique…rue d’aubagne, le sénat…

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  3. bernie73 bernie73

    Une longue carrière politique pour lui-même, et un piètre bilan.

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  4. Titi du 1-3 Titi du 1-3

    Tellement marseillais, commentaires inclus.

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  5. jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

    Ne marchait plus mais les Marseillais marchent encore, vu les commentaires dont je suis. Merci quand même…! Cette cité est plus haute que ça…elle nous dépasse…!

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    • Massilia fai avans Massilia fai avans

      Je me demande si un abonné de Marsactu va le regretter

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  6. vékiya vékiya

    le fini parti

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    • Happy Happy

      Bravo!

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    • Thauvinus Thauvinus

      Excellent !

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  7. leb leb

    Même le journal Le Monde qui généralement penche vite vers l’hagiographie quand une personnalité politique disparaît, ne fait rien sortir de positif sur le bilan de Gaudin au sein de son long article, c’est dire.

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  8. jacques jacques

    Les morts on lesoublie encore plus vite quand ils sont dans le journal, le lendemain y’a un autre journal.

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