Les nuits d’hôtel pour l’hébergement d’urgence se distribuent maintenant au compte-gouttes
Chaque nuit, des familles sont hébergées à l'hôtel en urgence, en l'attente d'un logement plus pérenne. Dans les Bouches-du-Rhône, les quotas de nuitées, déjà très restreints, sont dépassés et les autorités tentent de couper le robinet. Une politique qui condamne ces personnes en difficulté à rester à la rue.
Un hôtel du centre-ville utilisé pour faire de l'hébergement d'urgence. (Photo : LC)
Devant les hôtels un peu vieillots du centre-ville, on aperçoit souvent au soir des petites grappes de personnes souvent avec des enfants qui gambadent. Ce ne sont pas des touristes, mais des personnes particulièrement vulnérables mises à l’abri à l’hôtel, à Marseille comme ailleurs. La plupart sont des familles avec mineurs ou des femmes seules, pour qui les centres collectifs d’hébergement d’urgence ne sont pas adaptés.
Dans les Bouches-du-Rhône pourtant, ce dispositif appelé localement “Service Plus”, est déjà en surchauffe pour l’année 2016 et les autorités ont donc décidé de réduire la voilure d’un coup de manivelle socialement douloureux. Les bénéficiaires se divisent en deux groupes qui correspondent à deux budgets distincts. Le dispositif dit de “droit commun” passe par le 115, ce numéro conçu pour orienter les personnes en recherche d’un toit. S’y ajoute un dispositif spécifique pour les demandeurs d’asile – ils ont été 1116 à en bénéficier en 2015, dont une majorité de mineurs avec leurs parents – orientés par l’association HPF (ex-gestionnaire de la plateforme asile).
Plus d’hôtel pour les demandeurs d’asile “jusqu’à nouvel ordre”
Dans une lettre datée du 27 avril 2016 que Marsactu s’est procuré, la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) enjoint l’association HPF à ne plus du tout procéder à de nouvelles entrées à l’hôtel “jusqu’à nouvel ordre”. La liste des personnes déjà hébergées par le dispositif devra par ailleurs être communiquée régulièrement afin d’organiser des transferts vers d’autres dispositifs. Enfin, il est recommandé à l’association de “veiller à la bonne application du droit d’asile et de signifier aux personnes déboutées du droit d’asile une fin de prise en charge à l’hôtel”. En résumé, il faut faire le grand vide dans les hôtels. Seuls individus pouvant faire exception : “Les femmes enceintes de plus de 6 mois” et les “adultes isolés avec mineur de moins de 10 ans”, sous réserve d’une validation préalable des services.
Un rabotage soudain qui survient particulièrement tôt dans l’année et qu’il est difficile de faire entendre aux usagers et aux travailleurs sociaux. “Une mère isolée avec son enfant de 10 ans, ça va, mais s’il a 11 ans, ce n’est plus possible ! Une femme enceinte de moins de 5 mois, c’est pareil, à la rue”, s’indigne l’un d’eux. Car, hormis l’hôtel, les solutions pour loger des familles en attente d’un logement social sont saturées. Pas plus de 800 places d’hébergement d’urgence sont disponibles dans le département. Dormir dehors s’avère alors la seule option, le temps de quelques jours et parfois de quelques semaines.
“Ingérable”
Pour les hébergés de droit commun, c’est à dire tous les autres, les directives communiquées au printemps sont les mêmes. L’association SARA gère localement le 115. Son directeur général, Sylvain Rastoin, a assisté à un comité de pilotage à la même période. “On nous a expliqué qu’une bonne partie du budget initial pour 2016 avait été consommée, sachant que nous avons déjà une utilisation très restreinte du dispositif des nuitées en hôtel. Les associations ont dit leur désaccord face à ces critères très forts qu’on nous demandait de mettre en place”, se souvient-il. L’application de ces critères par le 115 n’a pas duré, la situation devenant “ingérable pour les répondants du centre d’appel, explique-t-il. La DDCS a alors lâché sur la question des critères, pour fixer à la place une enveloppe de 900 nuits par mois maximum”. Pour les demandeurs d’asile en revanche, les directives sont toujours appliquées.
900 nuits qui ne permettent pas selon Sylvain Rastoin de “garantir le droit fondamental à l’hébergement d’urgence”, quand tous les autres dispositifs sont régulièrement saturés à Marseille et que la demande ne cesse d’augmenter. En comparaison, rien que pour les demandeurs d’asile, 3 730 nuitées avaient été consommées en juin 2015, pour atteindre 12 240 en décembre. Imposer de rester sous la barre des 900 nuitées par mois pour le droit commun relève donc de l’ascétisme forcené. Un régime qui ne promet pas pour autant un retour à l’équilibre prochain. “Rien ne nous garantit qu’il ne faudra pas malgré tout mettre en suspens le dispositif pendant l’été comme cela a déjà été le cas”, s’inquiète l’associatif.
“Rester dans les crédits alloués”
“Le recours au dispositif au premier semestre a été important, nous avons des crédits limités et il faut rester dans les crédits alloués, commente le préfet délégué à l’égalité des chances Yves Rousset, les seules variables sur lesquelles on peut jouer sont le nombre de nuits allouées par personnes ou alors les critères d’entrées”. Il faut dire que durant l’hiver 2015-2016, le recours à l’hôtel dans les Bouches-du-Rhône a connu une impressionnante augmentation de 49 % par rapport à l’année précédente selon la FNARS. Un chiffre qui explique le coup de frein de la DDCS, mais qui dit aussi le manque immense de logements d’urgence classiques.
Dans le département, un quota est pourtant imposé “depuis des années”, confirme Sylvain Rastoin, celui de 10 nuitées par an et par personne. “Une durée qui ne permet absolument pas de trouver une autre solution”, déplore-t-il. En région parisienne, le nombre moyen de nuitées d’hôtel allouées par personne est au-delà de 70 jours. Pour beaucoup d’associations, le département subit une sous-dotation chronique.“Ce n’est pas à cause du manque de besoins que les enveloppes sont restreintes, mais par manque de moyens alloués au département. Les observateurs envoyés par l’État le constatent régulièrement, mais les moyens ne suivent pas, rien ne change”, déplore le directeur de l’association SARA.
Certains autres associatifs en viennent même à penser que les quotas restreints pourraient donner à l’État le sentiment que le besoin est stable sur le territoire, ce qui expliquerait le manque de moyens reçus en retour, comme un trop bon élève dont on estime qu’il n’a besoin de rien de plus. Le préfet Rousset dément quant à lui toute sous-dotation du département. “Les crédits sont répartis au sein des régions en fonction des populations concernées, selon des critères équitables”, assure-t-il. La préfecture n’a pas pu nous communiquer les détails de ces crédits avant le bouclage de cet article.
L’hôtel, solution inadaptée mais incontournable
Maintes fois décrié, le recours à l’hôtel n’a rien d’une solution miracle. L’État verse chaque année des dizaines de millions d’euros en France pour héberger des familles dans des conditions peu adaptées – , exiguïté, impossibilité d’y cuisiner la plupart du temps – et où leur prise en charge sociale en continu n’est pas assurée. Après plusieurs alertes, le gouvernement a annoncé un plan de résorption triennal pour réduire significativement le nombre de nuits d’hôtels consommées chaque année. La région PACA, qui consomme moins d’1% des crédits alloués au niveau national, ne fait toutefois pas partie des territoires visés en priorité.
La volonté de résorption s’accompagne de projets de construction de solutions alternatives. Le préfet Rousset évoque par exemple le rachat prochain par l’État de parcs hôteliers de première gamme en vue d’en faire des lieux d’hébergement appropriés, et notamment à Marseille. Mais ces projets prennent du temps. Pour l’heure, les restrictions poussent plus les familles vers la rue que vers des solutions de relogement.
Commentaires
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…”Maintes fois décrié, le recours à l’hôtel n’a rien d’une solution miracle. L’État verse chaque année des dizaines de millions d’euros en France pour héberger des familles dans des conditions peu adaptée…”
C’est le minimum qu’on puisse dire. Quand le département arrive à payer 1800 euros/mois, 1 chambre miteuse en centre ville (avec toilettes/douche” dans le couloir et sans possibilité de cuisiner) pour une famille de 4 membres, je me dis que le prix de la paix sociale est très cher payé. Les marchands de sommeil l’ont bien compris et depuis des années. Quant aux travailleurs sociaux ils font tjs ce qui peuvent avec tjs moins de moyens et ils tiennent tjs le coup : le prix de la paix sociale aussi. Et pourtant, certains font du “suivi social”, assis sur le trottoir les bénéficiaires étant déjà à la rue. On se dit vraiment que ca tourne plus rond du tout.
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En effet, les hôtels sont loin d’être adaptés et pas toujours aux normes. Toutefois les associations en charge de l’attribution des places ont parmi leurs missions l’inspection de ces structures en vue de constater leur bonne tenue, ce qui devrait, on peut l’espérer, garantir un confort minimum. Mais cela appelle un autre article !
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Bonjour,
Merci Lisa Castelly pour cet article fort intéressant. En effet l’Etat semble mener une politique de réduction des dépenses liées à l’hébergement d’urgence en hôtel meublé à niveau national. L’idée d’un rachat par l’Etat d’une part du parc hôtelier pour le transformer en hôtellerie sociale n’est pas mauvaise, ni neuve. Et c’est en cela qui me semble problématique. D’autant plus que la temporalité à moyen-long terme d’une telle politique me semble en décalage avec celle imminente de la réduction des crédits pour les nuitées et des besoins croissants de solutions d’hébergement.
Pour information, une équipe de chercheurs du Centre Norbert Elias et Telemme (AMU) devrait conclure bientôt une enquête sur l’évolution des hôtels meublés du centre-ville. Des journées d’échange autour de cette enquête sont prévues pour début octobre 2016. Une occasion pour donner continuité à ce premier article?
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