Gloire et misère des musées marseillais dans l’œil d’un ancien conservateur
Fondateur du musée d'histoire de Marseille et conservateur, Alain Nicolas revient sur sa carrière de conservateur de musée à Marseille dans un livre qui vient de paraître. Il y transmet sa passion pour l'histoire culturelle de la ville.
Alain Nicolas publie "Gens de Musées. Les dessous du métier de conservateur" aux éditions L'Harmattan. (Photo SL)
Ayant échappé aux désagréments des grèves de la SNCF ce jeudi 8 décembre, Alain Nicolas a réussi à rejoindre Marseille, ville où il a passé la majeure partie de sa carrière de conservateur de musée, hormis quelques allers-retours. Le fondateur du musée d’Histoire de Marseille et ancien conservateur du musée des arts africains, océaniens et amérindiens (MAAOA), va présenter son nouveau livre à la librairie des Arcenaulx (1er) dans quelques heures. Gens de musées, les dessous du métier de conservateur, est paru le 26 octobre aux éditions l’Harmattan.
Cette plongée dans les coulisses des collections de musées distille autant d’anecdotes sur l’histoire des œuvres d’art que sur la difficulté de les donner à voir. “Ce livre, c’est mon expérience et celle de plusieurs collègues et amis, pour raconter les histoires que personne ne connait. La mienne est un peu particulière. Inventer deux musées, c’est rare dans la carrière d’un conservateur et c’est passionnant !”, sourit-il en sirotant son Perrier.
Dans son ouvrage, il choisit de zoomer sur les parties les plus importantes de sa carrière, des années 1980 aux années 2000. Avec la volonté de transmettre les spécificités et les enjeux de son métier. Figure importante du monde culturel, il a vu se succéder les élus aux manettes de la Ville et les conséquences de leurs politiques sur l’activité culturelle locale. Son récit, écrit comme conté, illustre finalement une partie de l’histoire de Marseille.
“L’époque bénie” de la culture à Marseille
Attablé à une terrasse couverte du cours d’Estienne-d’Orves, l’ancien conservateur, mais aussi docteur en archéologie et anthropologue, feuillette le carnet où il a noté les messages importants qu’il veut transmettre pour ne pas les oublier. “Lorsqu’un objet entre dans un musée, c’est une fin de parcours. Il est muséifié, il devient inaliénable. Ses dimensions sacrées ne sont pas toujours révélées”, déclare-t-il. Il reprend sa liste. “J’ai une réputation de visionnaire, lit-il avant de se reprendre : “Moui, bon. Plusieurs collègues disent ça. Par exemple, j’ai proposé à Coppola [élu municipal en charge de la culture, ndlr] et Payan une exposition sur le sacré dans l’art”. Dans celle-ci, il imagine les spectateurs, munis d’un casque de réalité virtuelle, déambulant autour d’un rambaramb, statue d’homme au Vanuatu.
Des objets aux dimensions sacrées, il en a traqué pendant des années pour les ramener au deuxième étage de l’ancien hospice de la Vieille Charité (2e). En 1989, il est nommé conservateur du musée des arts africains, océaniens et amérindiens de Marseille. Pour l’exposition “Batcham, sculptures d’ancêtres en Afrique” en 1993, il entreprend plusieurs allers-retours au Cameroun à la recherche de 22 masques bamilékés, du nom de ce peuple de l’Ouest du pays. Dans son livre, il raconte ses rencontres avec quatre de leurs chefs traditionnels. Parmi les anecdotes des négociations, il relate sa surprise, quand le jeune chef de Bafoussam, l’une des villes de ce territoire, lui égraine sans erreurs la composition de l’Olympique de Marseille. Dans ses recherches, il doit aussi avoir à l’œil les collectionneurs peu scrupuleux, dont les œuvres ont été acquises lors de fouilles clandestines.
C’est rigolo que la ville soit devenue une capitale culturelle sous Gaudin alors que ça l’était déjà bien avant.
Les yeux bleu clair de l’octogénaire pétillent quand il se remémore ce qu’il voit comme l’âge d’or de la culture à Marseille. Épaulé par Raymonde Armati et Marianne Sourrieu à la tête du MAOOA, il se souvient des expositions remarquables qui ont attiré les foules, comme “Kachina, poupées rituelles des indiens Hopi et Zuni” en 1995 ou “L’art des papous”, en 2000. “Un tas de gens voulaient venir travailler à Marseille. C’est rigolo que la ville soit devenue une capitale culturelle sous Gaudin alors que ça l’était déjà bien avant“, songe-t-il.
Cette effervescence et “époque bénie” tient pour lui à la confiance accordée par les services de la Ville. Et celle de l’adjoint à la culture de Marseille Christian Poitevin, “artiste écrivain anarchiste“. “Il fallait juste ne pas dépasser les budgets !“, assure Alain Nicolas. Il salue aussi dans son livre au directeur des musées Bernard Blistène, “type brillant, drôle, spécialiste d’art contemporain“, dont il souligne la polyvalence.
Le musée d’Histoire de Marseille : un projet avorté
Mais sa carrière à Marseille n’a pas tout à fait démarré dans ces conditions idylliques. En 1975, alors qu’il projette de partir au Pérou avec sa famille pour faire des fouilles au Machu Pichu, Alain Nicolas reçoit un coup de téléphone. C’est Daniel Drocourt, un architecte de la Ville de Marseille, qui est à la recherche d’un conservateur et archéologue pour créer et diriger un musée d’Histoire de la Ville. Problème : très peu de vestiges et d’objets de l’Antiquité sont restés à Marseille.
Après plusieurs années à préparer la création du musée d’histoire, son projet n’est pas retenu.
Débarqué d’Auxerre, il se retrouve bien vite à quémander des œuvres aux trois autres conservateurs de la Ville : Marielle Latour, en charge des Beaux-Arts, Josepha Jullian, au musée du Vieux Marseille et Simone Bourlard au musée Borély. La grande question que se pose alors Alain Nicolas avec son équipe est : par quoi et comment remplacer les objets pour construire le récit de l’histoire de Marseille ? Ils imaginent alors des maquettes, des films, des vidéos pour donner à voir, entendre et même sentir la vie quotidienne pendant l’Antiquité. “Un musée-spectacle, donc, populaire, avec une bonne dose de poésie et de rêve”, peut-on lire. Ces choix muséographiques se cogneront aux visions plus académiques de la direction des musées de France et de l’inspection générale des musées classés et contrôlés. L’équipe doit revoir à plusieurs reprises sa feuille de route. “Notre projet avait trente ans d’avance ! Aujourd’hui, c’est ce qui se fait avec la réalité virtuelle“, constate Alain Nicolas avec une pointe de regret.
Le coup fatal au projet est porté plus tard. Alors que Gaston Defferre, maire de Marseille, lui promet de choisir son programme, c’est celui de Jacques Valentin, un concepteur de musée débarqué quelques mois avant le début des travaux, qui aura l’aval du premier magistrat de la ville et de la commission qui attribue le marché de la conception du musée. Aujourd’hui, Alain Nicolas ne s’explique toujours pas ce choix. “Préparer ce musée a pris sept années de ma vie et de celle de mes collaborateurs. Bien d’autres musées ont sans doute été créés dans des conditions plus simples“, écrit-il. À l’évocation de cet épisode, il n’a pas d’amertume. Seul “regret“, ne pas avoir vu “le plus beau musée du monde” à Marseille. À l’inauguration en 1983, il ne sera pas présent. Il travaille ensuite avec la région, dirigée par Michel Pezet (PS). Puis collabore à nouveau avec la Ville en prenant la tête du MAOOA quelques années plus tard.
Aléas politiques
Avec l’arrivée de Jean-Claude Gaudin à la mairie de Marseille en 1995, sa fin de carrière est aussi semée de quelques embûches. L’omniprésent Jean Mangion, alors directeur général des affaires culturelles à la ville, lui refuse tous ses projets, assure-t-il. Le courant entre les deux hommes n’est jamais passé. “À chaque texte que je pondais, il y avait quelque chose qui n’allait pas“. Dans le même temps, il se rapproche et collabore avec Jacques Chirac, arrivé à l’Élysée, avant de quitter le MAOOA en 2005. On le retrouve au conseil régional en 2013 dans le groupe des Verts, puis dans le comité scientifique créé pour la sauvegarde de la carrière antique de la Corderie, en 2017.
Alain Nicolas, qui a gardé contact avec d’anciens conservateurs de musées marseillais, a gardé un œil sur les problèmes récurrents des musées marseillais ces dix dernières années. Baisse de la fréquentation, absence de personnel, déficit du budget de fonctionnement, la chambre régionale des comptes a épinglé la gestion de la mairie entre 2012 et 2020, dans un rapport publié en septembre dernier.
“Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise. C’est Force ouvrière qui a foutu le bordel, lâche-t-il. Avec Defferre c’était « je vous fous la paix et vous me foutez la paix »”. Comprendre : une politique d’embauche basée sur la paix sociale et les passes-droits. Malgré ces allers-retours entre gloire et misère, au gré des changements de couleurs politiques, sa passion reste intacte. Il compte bien parvenir à faire un retour dans les musées marseillais grâce à son projet d’exposition.
Commentaires
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“Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise. C’est Force ouvrière qui a foutu le bordel”… Aux dernières nouvelles, FO “foutra” un peu moins le bordel…
Mais surtout merci pour ce reportage 😃
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Fréquentant la Vieille Charité assidument, faut dire que l’organisation des expos est aussi rares que les “surveillants” sont pléthore.
Après qu’est ce qu’on à dire, à commenter, sur une ville qui a une si “sale réputation”…sur le plan culturelle?
Hormis cette “Capitale européenne de la Culture” qu’en reste-t-il ?
Les politiques ne devraient pas “frayer” avec les syndicats, quel qu’ils soient…!
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Mais qui va coller les affiches ?
Pila,Vassal, Moraine ?.
Au sujet des expos , la dernière très grande ne date pas d’hier C’était l’Orient des Provencaux”, une merveille d’intelligence, de qualité de richesse des œuvres présentées et surtout une très belle conception.
L’instigatrice Edmonde Charles Roux.
D’Estienne d’Orves et Copola sont sûrement des gens sympathiques ,mais question niveau ,il n,’ y a pas photo.
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D’Estienne d’Orves était bien gentille mais n’aimait que ses « amis ». Coppola est bien gentil mais les grandes expos cela ne touche pas assez (selon lui) les marseillais en masse.
Les élus ne sont pas directeurs artistiques, ils doivent donner de grandes indications et defendre leur budget en conseil municipal.
Mme Defferre n’était pas élue. Mais très influente.
Les grandes indications on les attends encore…
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Aucune audace dans la politique culturelle – y a t-il une politique culturelle ?- Je citerais : une antenne marseillaise du L’Institut du Monde Arabe ( il parait que le Quatar distribue de l’argent à tours de bras, autant que ça serve des choses utiles), un transfert du musée des beaux arts de Longchamp (trop petit) à l’hôtel de la Préfecture (trop bling-bling pour représenter une état moderne éco-responsable), et une reconversion de Longchamp en lieu d’expos temporaires : la Charité trop petite souvent pour ça… Et Hop !
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