Gaudin à la mairie : dépôt de bilan 20 ans après

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le 11 Juin 2015
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Comment faire le bilan de 20 ans de règne sans partage sur la ville ? Passage au crible de quatre compétences essentielles d’une municipalité. (En partenariat avec le Ravi qui a publié cet article dans son numéro de juin 2015).

Gaudin à la mairie : dépôt de bilan 20 ans après
Gaudin à la mairie : dépôt de bilan 20 ans après

Gaudin à la mairie : dépôt de bilan 20 ans après

“Occupez-vous de vos enfants”

A la rentrée 2014, c’est avec cette phrase, devenue célèbre, que le maire de Marseille répond aux reproches de parents d’élèves excédés par l’impréparation municipale dans la mise en œuvre des temps d’activités périscolaires. Reçue comme une gifle par une bonne part des parents, la formule risque d’être de nouveau d’actualité à la rentrée 2015. Désormais mises en place sur deux jours, mardi et jeudi, ces fameuses TAP font office de repoussoir. “L’an dernier, c’était la cata et, cette année, c’est rebelote. Au lieu d’associer les parents, on a eu droit à une pseudo-consultation des conseils d’école. Rien n’a vraiment été anticipé”, peste Cécile Vignes, présidente régionale de la Peep et parent d’élève à Marseille depuis 25 ans.

Du coup, la petite phrase du maire lui reste en travers de la gorge. “Elle est indigne d’un premier édile, constate-t-elle.Cela témoigne que l’éducation n’est pas une priorité de la Ville alors que c’est une des conditions de la bonne santé d’une société.” Hâtivement classée à droite, la Peep locale dresse un constat sans appel de la politique éducative de Jean-Claude Gaudin. “Il n’y a pas de vision à long terme. À la région, il avait lancé un vaste chantier de rénovation des lycées. À Marseille, c’est rien ou presque.” Pourtant dès 1995, la municipalité avait initié un plan école réussite censé améliorer le parc scolaire vétuste transféré par l’Etat dans les années 1980. Mais, comme souvent, les finances n’ont pas suivi. “En sept ans et demi, au service d’urbanisme, nous avons sorti trois écoles”, soupire Jean Canton, l’ancien directeur général de l’urbanisme de 2002 à 2009.

“Les parents en ont marre de se battre pour tout”, résume de son côté Séverine Gil qui préside le Mouvement des parents d’élèves après une scission avec la FCPE. “Un exemple : mon mari a fait la queue pour inscrire nos enfants dans un centre de loisirs municipal pour le centre aéré du mercredi. Je lui ai dit qu’il fallait qu’il soit là à 5 heures. Quand il est arrivé, il était 30ème. Certains étaient là depuis la veille. C’est symptomatique d’un dysfonctionnement” Alors des parents craquent et renoncent à l’école publique. Le privé n’applique pas la réforme des rythmes scolaires et assure un niveau de service qui fait clairement peser la balance de son côté. Résultat : il gagne du terrain. “À Aix-Marseille, les pertes du secteur public sont compensées par la hausse du secteur privé”, note ainsi le ministère de l’Education nationale pour l’année 2011.

Même si le diocèse ne se précipite pas pour communiquer ses chiffres, la tendance lourde est à un transfert d’effectifs : 1000 écoliers perdus par le public malgré une hausse démographique de 50 000 habitants. Le laisser-faire municipal y incite et à cela s’ajoute un coup de pouce financier. En octobre 2014,le Ravi écrivait : “Si depuis 2005 le forfait du privé a flambé de 74%, le budget de fonctionnement de l’éducation de la ville (hors masse salariale et investissement) a, lui, dû se contenter d’un petit +10% jusqu’en 2013, dernière année connue.”

Dans l’entre soi du cours Bastide qui inaugure ses locaux flambant neufs de la rue de Lodi, les mots confirment les chiffres. Ce jeudi soir, le maire “exceptionnellement” n’a pu être là. Mais neuf élus de la majorité municipale sont présents. Et son représentant le maire de secteur, Yves Moraine, n’y va pas par quatre chemins. Il s’adresse aux élèves de ce très ancien établissement privé de la ville en tant qu’élèves de “l’enseignement catholique” : “Soyez fiers de votre foi face à tous les fanatismes et à tous les renoncements. Grâce à l’enseignement catholique, des familles éloignées des préceptes des livres sacrés peuvent se sortir de situations parfois peu enviables.” Ce n’est pas Gaudin qui parle, mais il ne renierait aucun de ces mots. Pour l’école, la messe est dite…

 

“Marseille est une et indivisible”
Gaudin

La formule est un refrain connu. Elle permet de balayer toute référence au fameux clivage Nord/Sud censé traverser la ville. Les deux visions sont toutes aussi fausses. Il n’y a pas un clivage mais une multitude de frontières qui fractionnent la ville en autant de quartiers et d’habitants mis dos à dos. L’étude Compas sur les disparités socio-spatiales à Marseille est sans appel : “Entre 2000 et 2009, les écarts entre territoires riches et territoires pauvres se sont très fortement accrus. Ainsi, en 2000, l’écart entre le revenu médian du 3ème arrondissement et celui du 8ème était de 1000 €. Il est passé en 2009 à 1400 € environ.” Cette ville émiettée est aussi le résultat d’une politique urbanistique sans autre projet que de construire partout où c’est possible.

En cela, la révision du plan d’occupation des sols de 2001 est exemplaire. “Ils se sont précipités pour la boucler avant l’entrée en application de la loi de Solidarité et de renouvellement urbain (SRU) qui avait notamment des prescriptions assez précises en matière de protection de l’environnement”, explique Jean Canton. Résultat : des pans entiers de la ville au Nord et au Sud sont ouverts à l’urbanisation. Marseille y perd ses dernières zones maraîchères, celles-là même que le nouveau plan local d’urbanisme s’efforce de préserver.

Outre qu’elle a nourri le secteur du BTP, cette politique poursuit une ambition, la croissance d’une ville qui a perdu nombre de ses habitants dans les décennies précédentes. Durant les années Gaudin, la ville connaît un véritable boom immobilier dont les premiers acteurs et bénéficiaires sont les grands groupes de promotion immobilière. Le sociologue André Donzel a épluché le fichier Perval qui rassemble l’ensemble des transactions immobilières passées par les études notariales. Le résultat est saisissant : “Les opérateurs privés (entreprises du BTP et sociétés de promotion immobilière) avec 55 % des surfaces acquises entre 2000 et 2004 ont accru leurs interventions dans tous les secteurs de la ville”, écrit-il (1). En centre ville et dans les quartiers sud cela représente 68 % et 75 % des surfaces mises en vente.

“La taille des opérations privilégient les grands groupes nationaux et internationaux, commente-t-il aujourd’hui. Et contrairement à une idée reçue, elle ne renforce pas l’accession à la propriété mais l’investissement locatif par le biais des dispositifs de défiscalisation.” Nous sommes très loin de l’ambition de la propriété pour tous et encore plus loin de la volonté de faire venir des ménages solvables à Marseille. Ceux-ci fuient une ville dépourvue d’espaces verts et asphyxiée par les bouchons quotidiens, où les espaces publics conviviaux sont des centres commerciaux.

Durant ses années à la Ville, Jean Canton souffre sans cesse de l’ingérence du cabinet du maire : “Nous avions tous les mercredis une réunion en mairie consacrée aux permis de construire. Longtemps, j’ai cru naïvement que la liste des permis à étudier émanait du service concerné. En fait, elle passait d’abord par le directeur de cabinet du maire, Claude Bertrand, qui mettait un oui ou un non en face de chaque permis. L’élue appliquait ensuite à la lettre ses indications.”

À l’hôtel de ville, toute décision passe d’abord par la réunion du lundi dans le bureau du maire à laquelle assiste la garde rapprochée : quelques élus, les hommes de cabinet et les directeurs des sociétés d’économie mixte. “Croyez-moi, Gaudin est au courant de tout”, note encore Canton. Charles Boumendil en était un habitué. Ancien membre du cabinet, le directeur de Marseille Aménagement a été le principal maître d’œuvre des grandes opérations urbaines jusqu’à son départ à la retraite en 2013. Les terrains y étaient distribués sans mise en concurrence. Une façon de faire qu’a soulignée la Chambre régionale des comptes lors de son contrôle de la gestion de la Sem cette même année. Cela a donné lieu à l’ouverture d’une enquête préliminaire pour des soupçons de favoritisme. De perquisitions en auditions, celle-ci confirmerait les soupçons des enquêteurs de la CRC. Si cette dernière débouche sur une instruction judiciaire, cette nouvelle affaire risque d’écorner l’image d’incorruptible que le maire tient tant à préserver.

“Une ville à faire rêver le monde”

C’est sur ce slogan de Guy Philip, un de ses fidèles spin doctors, que Jean-Claude Gaudin a mené sa campagne victorieuse de 1995. Depuis, la municipalité n’a cessé de vouloir faire briller les yeux hors des frontières, avec une “Marseille spectaculaire” (2). Capitale de la Méditerranée, de la culture, du sport : elle est candidate à tous les titres. C’est la coupe du monde de football 1998 qui a donné le coup d’envoi de ces grands événements, suivie par le défilé de la “Massalia” en 1999 pour le 26ème centenaire de la ville et celui de la “Marscéleste” l’année suivante. “98, c’est pour moi le tournant pour la ville. On sort des stéréotypes dans les médias, sur Spirito, une ville du tiers monde”, estime Bruno Gilles, sénateur UMP et maire des 4e et 5e arrondissements.

Si tous ces rendez-vous étaient censés être des “fêtes populaires” impliquant les Marseillais, l’objectif était bien de changer l’image de la ville et d’en faire une “destination incontournable” (3) pour les touristes. Les résultats sont palpables, même si Marseille n’égale pas Lyon, Toulouse ou Bordeaux : de 2,8 millions en 1995, le nombre de visiteurs annuels atteint désormais entre 4 et 5 millions. “Le tourisme appuyé sur la culture ouvre pour Marseille une véritable activité économique”, certifiait Jean-Claude Gaudin à mi-chemin de l’année 2013.

Culture, tourisme, commerce : cette suite logique est incarnée par le boulevard du Littoral, l’une des réalisations les plus emblématiques d’Euroméditerranée. Du MuCem, on passe par les boutiques des Voûtes de la Major pour déboucher sur les Terrasses du port et le J1 où, espèrent le port et la municipalité, des yachts pourront s’installer un jour. Avec le tramway, pensé comme une opération de rénovation urbaine, c’est ce “triangle d’or” Vieux-Port-J4-Joliette qui fait dire à de nombreux acteurs que “la ville a changé”. Mais la carte postale a ses limites. Le taux de chômage refuse de passer sous la barre des 10 % voire des 8 %, ambition jugée “réaliste” par le maire en 2008. En prenant la donnée la plus favorable, qui intègre des communes autour de Marseille, il oscille entre 12 et 13 %.

“On a pris tard le virage de l’économie touristique. C’est à travailler encore plus. Il y a une vraie manne financière pour des emplois peu qualifiés (BTP, hôtellerie…), qui correspondent plus à la population marseillaise. Mais le port ne joue pas le jeu  : il devrait nous aider sur le levier touristique, notamment pour les croisières ou le casino, qui rapporterait 8 à 10 millions de taxe annuelle”, insiste Bruno Gilles. “Le tourisme, c’est bien mais pas à la hauteur. C’est de la mousse, balaye Jacques Boulesteix, ancien conseiller municipal d’opposition. Dire qu’il ne faut pas créer d’emplois qualifiés est une inculture politique majeure.” Il cite l’exemple de la forme 10 du port, où l’exploitant recrute peu en local faute de main d’œuvre qualifiée.

Et “l’attractivité” n’est pas faite que de touristes de passage et de retombées médiatiques, même quand c’est le New-York Times qui officie. Étudiants, cadres supérieurs, entreprises, projets innovants réclament autre chose. Dans les palmarès de cadre de vie, Marseille doit s’incliner face à d’autres métropoles françaises sur beaucoup de plans. D’ailleurs, la statistique totem des 5000 nouveaux habitants par an est récemment tombée : selon l’Insee la population de la ville a augmenté seulement de 120 personnes sur la période 2007-2012 !

“La machine à réaliser est plus difficile à faire marcher que la machine à promettre”

Quatre campagnes municipales gagnantes, cela fait beaucoup de promesses, dont certaines n’ont pas été tenues, reconnaissait le candidat Gaudin en 2008. En effet, de nombreux projets ont traversé les mandats sans jamais trouver de concrétisation. La bibliothèque de Saint-Antoine devrait être ouverte depuis 2000 et les habitants ne savent plus trop s’ils doivent croire à une inauguration cette année… Des promesses de la campagne 2014 sont en bonne voie pour la rejoindre, comme le téléphérique de Notre-Dame de la Garde. Sur la dizaine de dossiers de sa délégation aux grands projets d’attractivité, Gérard Chenoz confiait à La Provence qu’il envisageait “d’en sortir deux” d’ici à 2020. “On voudrait faire tout ça. Mais vous savez, j’ai mis presque 15 ans pour avoir le Mucem. (…) Dans un mandat, on arrive à réaliser des choses, mais peut-être pas tout”, répondait en janvier Jean-Claude Gaudin. “C’est pour ça que je suis candidat pour un quatrième mandat”, souriait-il un peu plus tôt.

Mais certains administrés rient jaune. C’est le cas de ceux qui se sont installés sur des zones d’aménagement concertées, ces territoires d’expansion. Au Rouet, à la Capelette, à Saint-Tronc, Sainte-Marthe, Château-Gombert, les logements sont souvent arrivés avant les écoles, les crèches, les routes… Au cours du 3ème mandat, les maires de secteurs Robert Assante et Guy Teissier (UMP), pourtant membres de la majorité, ont critiqué ces lacunes. “Ce n’est pas en se lançant dans une urbanisation à outrance pour en retirer des taxes que nous changerons l’équilibre budgétaire de cette ville. Ça l’est d’autant moins quand cette urbanisation s’accompagne d’un manque de coordination en termes de transports, de réseaux viaires adaptés, de services publics”, fustigeait en 2011 Guy Teissier, aujourd’hui président de la communauté urbaine.

On retrouve là les accusations de gestion au coup par coup formulées par l’opposition municipale. “Gaudin, c’est une mécanique politique. Tout ce qu’il voit, il le voit pour des manœuvres, des positionnements politiques”, critique Jacques Boulesteix. Stratège électoral reconnu, le maire n’a pas le même crédit lorsqu’il s’agit de penser sa ville au futur. Les enjeux du développement durable sont longs à infuser et les documents de planification ont subi le même sort que certaines promesses électorales. À commencer par les plans de développement des transports en commun, où l’on pioche des chantiers sans chercher à respecter l’ensemble.

Alors que l’avenir des grandes villes s’écrit désormais à l’échelle de métropoles, Gaudin n’a jamais vraiment goûté ce jeu collectif. Lui et ses adjoints regrettent régulièrement “l’évasion commerciale” des Marseillais qui font leurs achats dans le reste du territoire. Les débuts de la capitale de la culture ont été empreints de bisbilles avec Aix et chacune des deux villes devrait avoir son Aréna. L’État a peu aidé, attendant 2012 pour jouer le bras de fer sur la construction métropolitaine. Mais la communauté urbaine de Marseille, présidée par Gaudin de 2000 à 2008, a été bâtie sur des bases squelettiques : gouvernance des maires, fortes redistributions financières aux communes, transferts de compétences réduits… Paradoxalement, malgré sa croisade contre les “charges de centralité”, le maire n’a pas non plus cherché à s’alléger d’équipements d’envergure comme le Vélodrome, l’Opéra, le palais de la glisse, le bataillon des marins-pompiers. Le prestige a ses raisons que les finances ignorent…

Benoît Gilles & Julien Vinzent
(Article réalisé en partenariat avec le Ravi)

1. Le nouvel esprit de Marseille, éditions l’Harmattan

2. Selon l’un des grands thèmes du projet de Jean-Claude Gaudin lors des municipales 2008.

3. Plan Marseille Attractive 2012-2020

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