Festival d’art lyrique d’Aix : l’audit ministériel qui révèle l’étendue des dégâts

Enquête
le 22 Avr 2024
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À moins de trois mois des premières représentations, le festival aixois fait face à une crise d'ampleur. Marsactu a pu consulter les conclusions de l'audit demandé en urgence par le ministère de la Culture. Elles confirment nos informations et chiffrent les pertes à minimum 4,4 millions d'euros pour 2024.

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L'audit ministériel a rendu ses conclusions. (Photo : Vincent-Beaume. Festival d’Aix-en-Provence - Montage : Marsactu)

L'audit ministériel a rendu ses conclusions. (Photo : Vincent-Beaume. Festival d’Aix-en-Provence - Montage : Marsactu)

Voilà deux semaines que la direction du festival international d’art lyrique d’Aix tente de relativiser, aussi bien dans la presse qu’auprès de ses salariés, la gravité de la crise qu’elle traverse. “Ce que je lis est erroné”, nous a simplement répondu Paul Hermelin, le président du festival, il y a quelques jours, sans souhaiter entrer dans les détails. Une position de plus en plus difficile à tenir. Après les révélations de Marsactu le 9 avril sur la situation critique de cette institution culturelle, la mission d’évaluation, mandatée en urgence par le ministère de la Culture, a rendu ses premières conclusions. Nous avons pu les consulter. Cet audit “flash” vient confirmer nos informations et lever le voile sur l’ampleur des difficultés que connaît le festival d’Aix.

Le rapport, réalisé par l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), met tout d’abord un chiffre sur la réalité des pertes économiques : celles-ci risquent d’atteindre les 4,4 millions d’euros à la fin 2024. Jusqu’à l’année dernière, le déficit s’élevait à environ 518 000 euros. Le seul exercice 2023 est venu ajouter une perte de 2,11 millions. Sur la base du budget prévisionnel, les résultats 2024 devraient venir creuser ce solde d’encore 1,99 million supplémentaire. Mais à trois mois des premières représentations, avec le lancement du festival le 3 juillet prochain, la trésorerie souffre de cette situation. Ainsi, selon le rapport, et comme plusieurs sources l’ont confirmé à Marsactu, l’impact de ces pertes sur cette “structure fragile, dépourvue de réserves”,“pourrait déboucher sur une cessation de paiement dans les prochains mois à défaut de mesures de redressement”. “Il n’y a plus d’argent sur le compte”, nous traduit-on.

La direction a pourtant tenté de sauver la mise en étalant certains paiements. Mais, “la trésorerie, soulagée de ce fait en milieu d’année, plonge ensuite inexorablement sous l’effet du déficit prévisionnel pour se trouver en situation de rupture à compter de novembre 2024”, peut-on lire dans le document.

Le moindre incident replongerait à nouveau la société dans un danger vital.

Extrait du rapport d’audit

Pour éviter la cessation de paiement, et relancer des engagements qui sont aujourd’hui complètement à l’arrêt, il n’existe qu’une seule solution : une recapitalisation par pouvoirs publics à hauteur de 1,5 million d’euros, a minima. L’État, suivi par les différentes collectivités locales, la région, la Ville d’Aix-en-Provence, le département et la métropole, devrait mettre la main à la poche, selon les auditions menées par l’IGAC. Le 25 avril doit se tenir un comité des financeurs où des engagements financiers pourraient être annoncés par les différentes parties. Toutefois, l’inspecteur en charge du dossier recommande de viser plutôt de 2,5 millions d’euros d’aides, “car le moindre incident replongerait à nouveau la société dans un danger vital”.

“Ils ont juste fait chauffer la carte bleue”

Pour éviter qu’une telle situation se présente à nouveau, la mission s’est également penchée sur les origines de cette crise. Ces pertes s’expliquent par une hausse des dépenses artistiques qui n’a pas été suivie par la billetterie, contrainte par les jauges des sites accueillant les opéras. Mais aussi par des objectifs de mécénats trop ambitieux. Le tout, sans avertir les pouvoirs publics de ces difficultés. “Il y a eu des choses pas tolérables”, confie une source proche du dossier. “Ils ont juste fait chauffer la carte bleue”, tempère un autre interlocuteur au fait du sujet. Mais les faits sont là, comme le résume le rapport : “les budgets, toujours votés en équilibre, se sont régulièrement transformés en comptes déficitaires”.

Pourtant, tout cela aurait pu être évité, ou en tout cas la casse aurait pu être limitée. L’audit révèle que si le festival a alerté les pouvoirs publics par une note envoyée le 1ᵉʳ mars 2024, des premiers signaux d’alerte ont été émis en interne dès l’automne 2022. Sans que la direction ne revoie les dépenses pour les années suivantes. Les experts-comptables auraient notamment fait parvenir une note à la direction dès le 7 octobre 2022 à ce sujet. “Si les alertes de l’automne 2022 avaient été perçues, le déficit pour 2023 aurait pu être freiné, de façon certes marginale, mais celui pour 2024 aurait pu être évité en très grande partie”, résume le document.

Au lieu de cela, la situation pourrait encore s’aggraver. Car le chiffre de 4,4 millions de pertes correspond en réalité à une estimation basse. Le déficit avait en effet initialement été estimé à 5,7 millions. Il a pu être diminué grâce à un plan d’économies mis en place par le festival ces dernières semaines. La marge était pourtant faible pour la direction, car il est difficile d’annuler seulement trois mois à l’avance des représentations de cette envergure sans engendrer des coûts d’annulation. Alors, plusieurs autres solutions ont été trouvées, avec des serrages de vis sur les coûts techniques et les effectifs, le gel de trois postes permanents vacants, la réduction de la surface des bureaux de l’association, ou encore une baisse des frais logistiques, comme la généralisation des voyages de train en seconde classe.

Une mécène indispensable

Mais il existe aussi un risque que les pertes grimpent finalement à 6,4 millions d’euros si la mécène principale du festival, qui, à elle seule, donne chaque année deux millions, décide de réaliser une année blanche pour 2024, souligne l’audit. En effet, sa dotation pour l’année 2023 a en réalité servi à éponger les dettes de 2022. La même opération a été répétée avec son versement pour l’année en cours, qui a été encaissé par anticipation sur l’exercice précédent. Cette opération a toutefois été validée par le commissaire aux comptes. Mais pour la suite, selon les éléments de l’IGAC, “la mécène souhaite prendre connaissance des résultats de la mission d’audit et du plan de redressement de l’association avant de se prononcer”.

Aline Foriel-Destezet est de loin notre première mécène. Nous ne pourrions pas proposer une telle programmation sans son soutien.

François Vienne, ex directeur adjoint du festival, auprès de Libération en 2023

L’identité de cette bienfaitrice n’est pas inconnue dans le monde de la culture. Il s’agit d’Aline Foriel-Destezet, qualifiée par Libération dans un portrait publié en 2023 de “la milliardaire qui inonde la musique classique”. Dans cet article, François Vienne, directeur adjoint du festival aixois, qui a aujourd’hui quitté l’association, déclarait : “Aline Foriel-Destezet est de loin notre première mécène. Nous ne pourrions pas proposer une telle programmation sans son soutien”. Une source anonyme ajoutait auprès du quotidien : “si le mécénat d’Aline Foriel-Destezet disparaît, il n’y a pas de plan B…” Des propos qui prennent un autre sens aujourd’hui.

Retour à plus de sobriété

Dans le cadre de l’audit flash, l’association du festival international d’art lyrique a présenté un budget pour l’année 2025. La programmation sera largement diminuée, avec un retour à la voilure d’avant la montée en gamme de 2019. Pour se rapprocher de l’équilibre économique, les pouvoirs publics devront augmenter leur soutien économique. L’association pourrait également solliciter des emprunts. La structure du festival serait alors sauvée, mais resterait extrêmement précaire. “Ça dépend aussi de la réaction des mécènes et de s’ils continuent à soutenir. Il y a encore des incertitudes à ce sujet”, analyse également un acteur du monde culturel.

La mission d’audit va, elle, se poursuivre avec un deuxième temps consacré à l’élaboration d’un nouveau mode de gouvernance. Les collectivités territoriales ont déjà apporté plusieurs idées sur ce sujet. “Vous ne pouvez pas reprendre comme avant”, entend-on du côté des partenaires. Les financeurs souhaitent la mise en place d’outils de surveillance, par exemple avec une répétition de l’audit sur les prochains exercices, ou encore un changement dans la répartition des voix au conseil d’administration. Tout le monde semble s’accorder sur un point : il faut sauver le festival, mais pas à n’importe quel prix. “On a vécu des années exceptionnelles, c’est difficile de flinguer tout ça”, s’émeut un amoureux d’art lyrique.

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Commentaires

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  1. ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

    C’est d’un amateurisme affligeant
    On comprend pourquoi à l’arrivée Dun nouveau DG le conseiller artistique et le secrétaire général se sont barrés. Maintenant au tour du DAF.
    Et se rendre compte seulement maintenant que les voyages peuvent se faire en 2nde classe et qu’il est inutile d’avoir des bureaux à Paris… Oui, le festival d’Aix a ses bureaux à Paris. En 1948 ça pouvait se comprendre. Mais à l’ère du TGV qui relie Aix à Paris en 3h (depuis 20a, un détail) et des visioconférences…

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  2. Mistral Mistral

    Des bureaux à Paris et des voyages en première classe payés avec de l’argent public !!! Les financeurs regardent-ils les budgets présentés ?
    On peut faire de l’art lyrique et vivre sobrement non ?
    Il n’est pas indispensable au festival d’art lyrique d’avoir le même train de vie que son public, ou alors il faut demander à ce public de payer davantage.
    A ce niveau là de perte n’importe quelle entreprise ou association serait déjà en liquidation.

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    • Alceste. Alceste.

      Clic,clac merci Kodak. Et encore un cliché sur le public.
      Il y avait longtemps !

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    • ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

      Non @Alceste, @Mistral a raison.
      Comme je l’ai écrit supra des bureaux à Paris sont inutiles, le festival ayant tout l’ancien archevêché a sa disposition.
      Il n’est écrit nulle part que les déplacements doivent se faire en 1ere classe. Le festival est régi par la convention collective des entreprises culturelles (CCNEAC) qui préconises des trajets en 2nd classe.
      Quant au public du festival d’Aix, il est international, rien à voir avec celui de l’opéra de Marseille. C’est effectivement en grande majorité des CSP +++, du moins si on en croit l’étude commandée en 2010 (ça date certes mais les données n’ont pas du beaucoup changer depuis) par le précédent directeur Bernard Foccroulle.
      En revanche inutile de s’offusquer sur ces millions destinés à des spectacles à 400€ la place (il existe des tarifs plus bas, qui restent à la marge) : ces milliers de spectateurs pour la plupart aisés consomment, se logent, etc le festival fait vivre des centaines d’intermittents artisans pour la technique, les décors, sans parler de la communication, accueil du public. Et tous les artistes, instrumentistes, choristes, figurants, pianistes chefs de chant, etc.
      Bref la fin du festival sera un énorme manque à gagner estival pour Aix. Et oui quand on arrive à un tel déficit c’est que la CB a trop chauffé

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      En 65 ou 66, m’avait été offerte une place pour un Mozart et je n’avais pu rentrer qu’avec l’aide d’une dame d’un certain âge qui m’avait donné une vieille cravate que l’ado que j’étais avait tant bien que mal ficelée autour du col de ma chemisette, mon blouson assez classique ayant été accepté comme une veste. Pas vraiment élitiste, non…..

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  3. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    Quid des billets gratuits ,?

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    • ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

      Il n’y en a quasiment pas. Sauf pour quelques journalistes et officiels.

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  4. jack13 jack13

    J’aimerais savoir si le cout de l’amortissement de l’infrastructure et le coût annuel hors subvention est pris en compte. Dès lors on pourrait comparer les subventions publiques et privées par spectateur avec des spectacles populaires. Je dis ça mais je n’ai pas la moindre idée du résultat.

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    • ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

      Oh le beau cliché que voilà.
      Avec ce raisonnement autant fermer l’opéra de marseille, la criée, le GTP, et même la Comédie française.

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  5. Alceste. Alceste.

    Je ne vous parle pas des bureaux de Paris.
    Je vous dis que vous êtes dans le cliché concernant le public opéras ou classique.
    Les amateurs de Sardou sont capables de payer 150 euros la place. Et là vous dites quoi sur le public?

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    • ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

      on ne parle pas “public opéra classique” mais “public festival d’Aix”
      @Alceste il faudra que vous admettiez que parfois vous n’êtes pas spécialiste ni même bien renseigné sur le sujet. Faudrait lire aussi les réponses des gens, ça aide. Et dans ce domaine lire ma réponse supra.
      Et pas la peine de ronchonner car je vous dis que vous avez tort, ni de comparer avec Michel Sardou, qui n’a strictement rien demandé.

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