Faire du mécénat comme au temps des rois

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le 13 Jan 2014
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Faire du mécénat comme au temps des rois
Faire du mécénat comme au temps des rois

Faire du mécénat comme au temps des rois

Il faut pénétrer sous le porche, s'aventurer jusque dans une cour pavée, rue Sainte, pour trouver l'ancienne manufacture impériale de tabac. Il s'y pratique aujourd'hui une forme originale de mécénat. Dans la grande pièce dédiée aux artistes, les poutres en bois du plafond associées aux pierres apparentes des murs donnent un certain cachet à l'endroit, où s'entraîne actuellement la danseuse Sandra Français, lauréate 2013 de la Biennale des jeunes créateurs. Les murs de pierres changent singulièrement des murs blancs habituels des lieux d'exposition. Mais le lieu, la Manufacture 284 C, est justement inhabituel.

Pendant quinze jours, les clés du domaine sont remises à un artiste. A lui d'en disposer à sa guise. Il bénéficie du lieu gracieusement, mais aussi des relations médias de l'agence de communication Bleu ciel adossée à la Manufacture 284 C. Un coup de pouce non négligeable dans un contexte où sans agent et sans galerie, l'artiste reste livré à lui-même. L'histoire se raconte à travers celle de la directrice de l'agence, Nathalie Dunoir, une entrepreneuse au départ bien éloignée du monde de l'art.

Soudain intarissable, la chef d'entreprise se lance dans le récit du virage de sa vie. En 2009, elle est invitée par la Chambre de commerce et d'industrie à une soirée : "Tout le monde était en costume cravate. Je suis arrivée avec mon habit d'attachée de presse." La soirée est alors animée par la troupe de Christophe Haleb, la Zouze compagnie. "J'ai vu surgir une femme à moitié nue, des hommes portant des perruques… Je me suis demandée comment on pouvait supporter un tel ridicule. Et puis à un moment donné, j'ai compris que l'outrance n'était pas du côté des artistes qui étaient capables de dépasser le ridicule. Elle était de notre côté, nous qui étions tous logotypés de la même manière. J'ai été malade, viscéralement. J'ai subi une maïeutique socratique." En d'autres termes, elle a eu une révélation.

L'art, "ascenseur social"

Quelques temps plus tard, Nathalie Dunoir, sollicitée par la déléguée générale de Mécènes du Sud, Bénédicte Chevallier rejoint la structure, appâtée par les opportunités économiques que cela peut représenter. "Il serait hypocrite de ma part de dire que l'art m'avait déjà séduite. J'ai discuté pour la première fois avec un artiste et ma première réaction a été de me dire que certains avaient du temps à perdre… Puis je me suis rendue compte que nous n'étions pas si éloignés, dans le sens où les artistes doivent faire tourner leur petite entreprise, à savoir eux-mêmes. Mon esprit bourgeois étriqué s'est ouvert. Je pense que l'entreprise peut servir d'ascenseur social pour les artistes. Et, puis, cela ne s'invente pas, j'ai rencontré mon compagnon, lui-même directeur artistique, Sylvain Blanc." 70 000 euros de travaux sont ensuite engagés pour restaurer les 140 m2 de la manufacture, acquise en 2011. L'aventure démarre ensuite.

La sélection des artistes, elle, s'opère sur des critères particulièrement subjectifs : "Nous ne sommes pas des spécialistes de l'art et nous ne voulons pas l'être. Il faut que nous ayons un coup de coeur pour l'artiste et pour son travail. Après, on leur dit de venir se frotter à la réalité, être à l'heure, se confronter à un public. Tout ce que l'on apprend pas forcément dans les écoles d'art. C'est en quelque sorte un laboratoire où chacun trouve ce qu'il a besoin de trouver." Ce laboratoire est vu comme "un stage obligatoire dans le monde réel" formule-t-elle, quitte à manier le cliché. De son côté, l'agence Bleu ciel met à disposition des artistes l'ensemble de son réseau et fait venir des mécènes potentiels.

Depuis, les artistes se sont succédé tels, dans le cadre d'un atelier de l'Euroméditerranée, l'artiste plasticien, performer et chorégraphe Robin Decourcy, le chanteur pop rock américain Joseph Arthur, ou encore les peintres sculpteurs Youri Xerri avec Cédric Marcellin. Les artistes émergents sont nombreux à être reçus, comme, en ce moment, la danseuse chorégraphe Sandra Français. Elle y présente son projet Alpha, une performance techno-chorégraphique à la croisée des chemins entre sciences et art. Ainsi, pendant que deux danseurs effectuent leur chorégraphie, préparée ou improvisée, un casque muni de capteurs enregistre les ondes cérébrales de leurs cerveaux, projetées dans l'espace scénique.

A terme, Nathalie Dunoir et son compagnon souhaiteraient aider les artistes à la production. "Nous voulons être au service de l'artiste. Nous sommes en quelque sorte revenus à l'idée même de la notion de mécénat sous les rois, lorsqu'ils prenaient sous leur aile un artiste. Nous ne disposons pas des mêmes moyens et nous ne sommes pas des rois mais la démarche est un peu la même."

E.C

 Workshop proposé par Sandra Français, ouvert au public ce dimanche 19 janvier de 10 h à 16 h, à la Manufacture  284 c, 149-151 rue Sainte, Marseille, 7e.

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Commentaires

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  1. GENEVIEVE GENEVIEVE

    C’est généreux et courageux ! Et dangereux … pour s’assurer que les artistes choisis ne font pas que copier, ou recopier en pensant étre simplement inspirés il faut connaitre un minimum ce qui se fait donc avoir une connaissance du milieu de l’art, qui est maintenant international ! Sinon certains artistes ayant deja eu une reconnaissance par ailleurs ne voudront pas être exposés pour ne pas être assimilés à ce qui pourrait être considérés comme inintéressant ! donc la barre doit être mise haut ! Tout art ne mérite pas les cimaises ou une installation ! C’est le hic ! Beaucoup d’artistes le sont pour se faire du bien ou parce qu’ils ne savent pas faire autre chose ! c’et triste, mais c’est la vie ! Il faut arrêter de leur faire croire qu’ils sont des génies parce qu’ils se sont décrété artistes ! Il y a “la maison des artistes” qui garantit le premier niveau .

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  2. PourVoir PourVoir

    “… ce que l’avant-garde conteste, c’est le bourgeois en art, en morale, c’est, comme au plus beau temps du romantisme, l’épicier, le philistin ; mais de contestation politique, aucune. Ce que l’avant-garde ne tolère pas dans la bourgeoisie, c’est son langage, non son statut.” Roland Barthes, Mythologies, p. 226-227

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