Face aux arrivées de mineurs isolés, la prise en charge départementale se grippe à nouveau

Enquête
le 9 Oct 2023
9

Le 22 septembre, le département a été contraint de prendre en charge en urgence 66 jeunes migrants qui demandaient à être mis à l'abri. Depuis, les évaluations qui déterminent leur minorité s'enchaînent et s'entachent d'irrégularités.

Un campement de jeunes migrants ré-installé devant le lycée Thiers ce dimanche 1ᵉʳ octobre 2023. (Photo : Roxanne Machecourt)
Un campement de jeunes migrants ré-installé devant le lycée Thiers ce dimanche 1ᵉʳ octobre 2023. (Photo : Roxanne Machecourt)

Un campement de jeunes migrants ré-installé devant le lycée Thiers ce dimanche 1ᵉʳ octobre 2023. (Photo : Roxanne Machecourt)

“On m’a dit de revenir pointer dans deux jours et que je devais attendre au moins deux à trois semaines avant de ne plus dormir dehors.” Mossa, un Ivoirien de 15 ans, est établi depuis le 1ᵉʳ octobre devant le lycée Thiers, dans un campement qui s’est installé une nouvelle fois lors de l’arrivée récente à Marseille d’une trentaine de jeunes se déclarant mineurs. “Avant, ceux qui avaient manifestement entre 12 à 14 ans étaient aussitôt mis à l’abri. Aujourd’hui, on les laisse à la rue comme les autres“, soupire un militant venu en soutien.

Face à un nombre d’arrivées important depuis le début de cet été, l’Addap 13 – l’association mandatée par le département pour l’accueil des mineurs non accompagnés étrangers – a ouvert en urgence le 22 septembre un centre d’hébergement temporaire. Dans un timing coïncidant avec celui de la visite du pape à Marseille. Soixante-six jeunes ont ainsi pu être mis à l’abri. Certains attendaient depuis plus d’un mois.

Le CMP Pressensé fermé à cause de la cohabitation avec un point de deal (Photo : Floriane Chambert)

L’hébergement s’est fait au sein du centre médico-psychologique de Pressensé, quartier Belsunce. “Le bâtiment est presque insalubre, et le milieu pas du tout rassurant. Il est connu pour être un point de deal, ce qui n’est pas un risque négligeable. C’est dégueulasse de les mettre là“, fustige Hélène, militante au sein du collectif 113.

Un inspecteur de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), service du département, précise :“Cette ouverture précipitée est liée à un contexte super tendu où, faute de places, nous n’arrivions plus à les prendre en charge rapidement. Le département était condamné, et à juste titre, à payer quotidiennement des astreintes, entre 100 à 250 euros pour chaque jeune.

Une “gestion de flux” aboutissant à un répit écourté

Une fois mis à l’abri, ces jeunes doivent passer par une période d’évaluation durant laquelle, au cours d’un entretien d’une durée d’une heure environ, l’Addap 13 est chargée de déterminer s’ils sont bien mineurs. Dans le cas des mineurs pris en charge le 22 septembre, elles ont eu lieu trois jours après l’ouverture du centre d’hébergement d’urgence et les résultats sont tombés le jour d’après.

On nous avait dit qu’on aurait une semaine pour se reposer“, regrette Loua, un Ivoirien qui explique être âgé de 16 ans, son évaluation négative entre les mains. “C’était la première fois que je faisais un interview face à une inconnue. J’étais stressé, et ils ne m’ont pas cru…” L’adolescent s’était enregistré la première fois auprès de l’Addap le 25 août. Il a dormi dans un squat avant de vivre à la rue jusqu’à sa mise à l’abri. Cinq jours plus tard, il devait quitter le bâtiment.

On a été obligés d’écourter afin de répondre à cette gestion de flux. Il faut que ça tourne.

Un agent de l’ASE

La loi nous impose de faire l’évaluation en cinq jours, c’est pour cela qu’on essaie d’être les plus efficaces possibles“, justifient les services du département. En réalité, l’État prévoit une participation forfaitaire jusqu’à vingt-trois jours. “Auparavant, on leur laissait plus de temps. On a été obligés d’écourter afin de répondre à cette gestion de flux. Il faut que ça tourne”, nuance l’agent de l’ASE. Rien que ce lundi 2 octobre, dix-sept jeunes ont été accueillis à Pressensé. Puis quinze de plus le 4 octobre.

Un premier tri opéré

Selon un inspecteur de l’ASE, un premier classement a été effectué avant même le début des évaluations. Les jeunes qui ont été reçus le premier jour étaient considérés comme “manifestement majeurs” par les juristes de l’Addap 13. Une façon d’opérer un tri a priori déjà observée par le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) de 2021. La Défenseure des droits rappelle que ce critère ne doit “être utilisé qu’avec une extrême précaution et un grand discernement”.

La rapidité de ces évaluations va de pair avec des critères qui semblent particulièrement flous. Marsactu a pu consulter trois rapports d’évaluation de ces jeunes “déminorisés” en moins de cinq jours. Des évaluations qui basent leurs analyses essentiellement sur des caractéristiques physiques ou comportementales. “Votre apparence est totalement incompatible avec celle d’un adolescent. Votre comportement et votre façon de vous exprimer sont ceux d’une personne mature“, peut-on lire sur l’évaluation d’Aboubacar.

L’équipe évaluatrice a constaté à plusieurs reprises votre ton affirmé, votre maîtrise de votre récit et note que vous menez les échanges”, extrait du rapport de Loua

“Vous avez utilisé un vocabulaire soutenu et l’équipe note une maturité dans vos propos  […] votre apparence physique ne peut correspondre avec celle d’un jeune adolescent.”, extrait du rapport de Moussa

On m’a dit que j’étais trop costaud, qu’un mineur ne craque pas ses doigts et que je regardais trop l’évaluatrice dans les yeux”, détaille le jeune, avant de confier : “Je ne sais même pas où je vais dormir ce soir. Je ne veux pas retourner à la rue…” 

Les services départementaux garantissent pourtant que “ces attributs sont uniquement pris en compte lorsqu’ils sont particulièrement visibles, comme des rides ou des cheveux blancs.” Dans son rapport, l’Igas mettait en garde contre l’usage de critères liés à l’apparence.

Les résultats d’une évaluation qui vise à reconnaître la minorité du jeune, se basant principalement sur des critères physiques et comportementales (Photo : Roxanne Machecourt)

“D’une présomption à une suspicion de minorité”

Autre élément crucial dans la détermination de l’âge des nouveaux arrivants, le récit de leur parcours. Les rapports consultés font tous état de repères temporels peu maîtrisés par les jeunes évalués. “Combien de temps, combien de jours, je ne savais pas moi. À cause d’une date que je ne connaissais pas, ils ont cru que je mentais”, déplore Aboubacar. “Les dates ne sont pas du tout quelque chose d’évident pour eux. L’aspect interculturel n’est jamais pris en compte”, dénonce Hélène du collectif 113.

Mis à l’abri puis remis à la rue cinq jours plus tard, ces jeunes migrants ne savent pas où ils dormiront ce soir. (Photo : Roxanne Machecourt)

Elle poursuit : “On leur demande de raconter ça de manière très factuelle et ils ont l’impression qu’on leur tend des pièges.” Le jeune Ivoirien Loua retrace : “Ils m’ont juste demandé quand j’étais en Tunisie, quand j’en suis parti. Je n’ai pas pu raconter que là-bas, ils chassent les noirs, les policiers comme la population. J’avais si peur. J’ai vécu caché pendant longtemps.” L’entretien doit pourtant, conformément à la loi, recueillir la durée et les conditions de séjour dans chaque pays traversé. Julien Moisan du Secours catholique accuse : On passe d’une présomption à une suspicion de minorité. Ce principe devrait pourtant être au cœur de leurs pratiques.”

Étapes oubliées dans le processus

Passage incontournable, un bilan de santé doit se tenir durant ce temps d’accueil. Les trois jeunes rencontrés par Marsactu certifient ne pas avoir vu de médecin ou d’infirmier. Interrogés, les services départementaux assurent que des permanences médicales se sont tenues dès le lundi 25 septembre dans l’après-midi – suite aux premières évaluations – et qu’au 2 octobre, “trente-quatre jeunes avaient déjà eu une visite médicale“. Tout en nuançant : “ce processus coûte de l’argent et n’est pas évident à mettre en place. Cette partie n’a pas à être faite par la collectivité avant qu’ils soient évalués comme mineurs“.

Autre entorse constatée, l’évaluation doit s’accompagner des observations d’un éducateur. Des trois rapports consultés, aucune trace de ces observations. Les jeunes affirment quant à eux ne pas avoir échangé avec un travailleur social. Les services du département rétorquent : “cette démarche éducative est difficile à mettre en place. C’est une fois que le jeune est reconnu mineur que le suivi avec l’éducateur peut réellement s’effectuer. On n’a pas à le faire avant”. Les évaluations sont, selon nos informations, uniquement réalisées par des juristes, alors qu’elles devraient être “pluridisciplinaires”.

Au sein du département, une réponse politique

60 % des jeunes évalués dans les Bouches-du-Rhône étaient reconnus mineurs en 2018, contre 30 % aujourd’hui, selon le département. Au sein de la collectivité, on ajoute un commentaire politique : “comme aujourd’hui, il est quasiment impossible de faire une demande d’asile, beaucoup en abusent en prétendant être mineurs. L’État doit prendre ses responsabilités.” Récemment, la présidente (DVD) du département a durci sa position sur le sujet, lors d’un entretien pour Valeurs actuelles. Après avoir avancé que les flux de mineurs isolés étaient devenus “incontrôlables“, Martine Vassal complète : “les associations humanitaires et avocats leur conseillent de mentir sur leur âge […] on a utilisé ce système pour en faire un copier-coller sur un flux migratoire ni adapté ni maîtrisé”.

Une militante qui soutient ces jeunes depuis des années, considère que “l’argument ne tient pas. On revient aux chiffres de 2018. Ils n’ont pas du tout anticipé le retour à la normale depuis la réouverture des frontières [à cause du Covid], alors qu’ils avaient créé des places en 2021.

Pour ce qui est des 66 jeunes mis à l’abri le 22 septembre, l’avocate Laurie Quinson estime que la quasi-totalité ont déposé un recours pour faire reconnaître leur minorité. Avant que les secondes évaluations aboutissent, elle et d’autres avocats saisiront le juge des enfants pour qu’ils soient mis à l’abri dans l’intervalle : “Neuf jeunes sur dix sont placés après sa décision. Entre-temps, ils récupèrent leurs documents, ont un vrai suivi et un rapport éducatif complet.” Pour ces jeunes, les premières audiences pourraient arriver d’ici à deux semaines. Et les mêmes rouages grippés se mettront en place dans la foulée pour ceux qui les suivront.

Cet article vous est offert par Marsactu

À vous de nous aider !

Vous seul garantissez notre indépendance

JE FAIS UN DON

Si vous avez déjà un compte, identifiez-vous.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Ce n’est pas neutre d’accorder un entretien à Valeurs Actuelles, ça dit sur quelles terres Martine Vassal chasse l’électorat : celles de la xénophobie décomplexée.

    Avec des “arguments” sortis de nulle part (j’essaie de rester poli), comme celui qui crée un lien improbable entre le coût de prise en charge d’un mineur isolé et l’existence de salariés pauvres en France. Aucun rapport, Martine, et ce n’est pas parce que tu refuses de mettre à l’abri ces mineurs que le salaire des plus précaires en France va augmenter.

    Mais au moins, c’est clair : la multiprésidente n’a pas seulement un président proche du RN, elle a elle-même des idées proches de celles du RN. La visite du Pape est loin : ces bons catholiques l’ont déjà oubliée.

    Signaler
    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      *… un vice-président proche du RN*, pardon.

      Signaler
    • julijo julijo

      bah, depuis quand vassal s’occupe-t-elle des salariés pauvres en france ?
      pas plus que des mineurs isolés.

      darmanin, macron, vassal muselier et quelques autres vip présents au stade pour la messe; aujourd’hui, ils sont où les “bons catholiques” ?
      sans parler d’humanité, ni de mise en sécurité de mineurs, il faudrait simplement en premier appliquer la loi. elle devient dans ce domaine à géométrie variable.

      de toutes façons, vu le nombre de (supposés) mineurs à l’arrivée, aucun argument ne tient. on en est absolument pas à une invasion démesurée, et si on les voit, c’est parce qu’ils sont dans la rue !

      Signaler
  2. Peuchere Peuchere

    Saint Benoit sui ouvre grand les bras devrait dans sa grande générosité catholique les prendre en charge.
    Trop facile de faire le bon samaritain et de laisser les autres se débrouiller.

    Signaler
    • ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

      Peut être est-ce une question d’assumer les compétences des collectivités dont les concernés ont la charge.
      Martine Vassal, au département, doit assumer la solidarité. C’est comme ça, c’est la loi. Et ça ne se limite pas aux Ehpad et aux maisons du bel âge (dont les résidents ont la bonne idée de voter) mais aussi de l’aide sociale à l’enfance (qui eux ont la mauvaise idée de ne pas voter).

      Signaler
    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Pour ce qui est des Ehpad, leurs résidents ne votent pas toujours. En revanche, certains à droite savent les faire voter à l’insu de leur plein gré.

      Signaler
  3. Sebastien lebret Sebastien lebret

    Super article, très bien détaillé
    Les commentaires sur l’appréciation de la minorité sont sidérants

    Signaler
    • patrick R patrick R

      Dommage que l’article ne mentionne pas le cout pour la collectivité de la prise en charge de ces “mineurs”

      Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire