Face à la justice, Sylvie Andrieux se fait élue fantôme

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le 2 Juin 2014
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Face à la justice, Sylvie Andrieux se fait élue fantôme
Face à la justice, Sylvie Andrieux se fait élue fantôme

Face à la justice, Sylvie Andrieux se fait élue fantôme

La tête d'affiche dès l'ouverture. L'audition de Sylvie Andrieux pour la première journée du procès en appel des subventions du conseil régional[1] a quelque peu surpris. En mai 2013, le tribunal correctionnel de Marseille s'était d'abord intéressé aux "hommes de paille" des associations fictives puis aux deux têtes de réseaux, Boumediene Benamar et Benyoub Same. Il avait ensuite remonté progressivement le processus d'attribution des fonds au sein du groupe socialiste et des services administratifs du conseil régional.

Cette fois-ci, la présidente Monique Zerbib s'est d'emblée concentrée sur le rôle de la députée dans l'attribution des 740 000 euros de subventions détournées, en sa qualité de vice-présidente du conseil régional déléguée à la politique de la ville. En première instance, l'élue avait été lourdement condamnée, notamment à un an de prison ferme.

Une fois, cinq fois, jusqu'à dix fois, Sylvie Andrieux réitère ses dénégations à la barre de la cour d'appel où la présidente lui a fait avancer un fauteuil. Non elle n'a pas été prévenue de fausses factures par ses collaborateurs, pas plus qu'elle ne "monopolisait" la ligne budgétaire de la politique de la ville sur laquelle ces subventions étaient créditées. Non elle ne connaissait pas Boumediene Benamar. Seule concession : elle a pratiqué, "comme tous les élus", le système des "dossiers signalés", qui permet de mettre sur de bons rails une demande de subvention. "Mais les dossiers de la mouvance Benamar, je ne les connaissais pas", martèle-t-elle. La thèse est simple : les contrôles étant notoirement lacunaires, la collectivité a été "escroquée".

Dialogue de sourds

Ce n'est pas ce que concluait le dossier monté par le juge Landou, en charge de l'instruction. Lundi, le débat s'est notamment focalisé sur un point, en apparence technique : l'étendue des pouvoirs que lui avait délégués le président Michel Vauzelle (PS) en tant que vice-présidente. Délégation de signature, de fonction, de suivi… Au-delà des termes, on retrouve le débat du procès en première instance entre le statut de "Reine d'Angleterre" et celui de "ministre" de la vice-présidente. Face à ses réponses, souvent précédées de circonlocutions sur les difficultés sociales de son territoire d'élections et le sens de son engagement politique, la présidente a semblé s'agacer, donnant à l'audition la forme d'un dialogue :

– Quel est votre rôle en matière de subventions ?
– Je n'ai aucun rôle, je suis députée des quartiers Nord. Je pourrais vous parler du profil des quartiers dont je suis l'élue (…)
– Ce n'est pas ce qui nous intéresse. Votre délégation, cela veut dire quoi ?
– On n'avait pas de délégation de signature, c'était suivre les affaires.
– Mais qu'est-ce que vous mettez dans la délégation de fonction ?
– Les gens qui venaient me voir, je leur disais de déposer un dossier à la région.
– C'est ça, la délégation de fonction : transférer une demande ? Alors c'est une délégation de papier, c'est du vent ! Vous n'êtes qu'un messager, un simple facteur !
– Mais bien sûr, Madame la présidente…

Cette dernière finit par se plaindre en cours d'audition : "On tourne en rond là !" C'était aussi l'avis exprimé, en aparté, par certains avocats, étonnés que les débats se basent sur les témoignages de l'ordonnance de renvoi dont la magistrate fait lecture, sans vraiment faire appel aux questions des parties présentes.

"Je ne suis rien"

Tour à tour pugnace, abattue, voire en larmes, Sylvie Andrieux perd parfois pied mais tient sur l'essentiel : elle n'a pas fait pression sur l'administration pour faire passer des dossiers frauduleux. Élue trois fois députée, deux fois vice-présidente de la région, ancienne conseillère municipale et vice-présidente de MPM, elle finira par lâcher un terrible "Je ne suis rien", à la toute fin de sa première journée d'audition. "Non vous n'êtes pas rien Madame. Vous êtes une femme… et vous êtes députée", la reprend Monique Zerbib.

Le mardi, après l'entrée en scène de l'avocat général Jules Pinelli, qui a plus ou moins obtenu les mêmes réponses, la présidente change de ton : "Je ne vous comprends toujours pas. Vous êtes là : « je ne vois pas, je n'entends pas, j'avance comme un laminoir, un tank, ma ligne est là »." Déconcertée, Sylvie Andrieux ne sait pas trop quoi ajouter à ce qui semble une invitation à changer de stratégie de défense.

"Notre ligne n'est pas fermée, on n'est pas là pour couper à ses responsabilités de vice-présidente, mais on tient à les remettre dans le contexte de l'institution régionale. Elle ne peut pas endosser l'intégralité des dysfonctionnements", commente Me Ladouari, l'un de ses avocats[2]. Et à part les attaques à l'égard de son proche collaborateur Rolland Balalas, cette ligne est la même qu'en première instance : minorer son influence – toute vice-présidente à la politique de la ville et présidente du groupe socialiste qu'elle était – au profit du président Vauzelle.

"Je n'avais aucun pouvoir. À partir de 2004, quand il a obtenu la majorité absolue, Michel Vauzelle n'avait plus besoin ni de sa majorité, ni de négocier avec l'opposition. (…) Il avait donné les pleins pouvoirs au cabinet et au directeur général des services. Le groupe ne servait à rien, je ne choisissais même pas la date des réunions. Les élus négociaient directement avec le cabinet une voiture de fonction, un téléphone portable. Les Verts s'assuraient que les dossiers environnementaux passent, les communistes des financements du concours de la Marseillaise à pétanque." Pan pour les amateurs de petits avantages et de tournois de boules. "Michel Vauzelle avait mis en place un système un peu présidentiel. D'ailleurs il aimait à le dire «président, ministre, d'une grande région de 5 millions d'habitants»." Et on passe sur les multiples allusions au traitement de faveur dont bénéficierait le pays d'Arles, terre d'élection du président.

[1] Le conseil général des Bouches-du-Rhône a aussi distribué plus de 200 000 euros à des associations citées dans l'affaire. Mais aucun de ses fonctionnaires ou élus n'y est mis en cause. Retour à l'article

[2] Auquel Marsactu a déjà eu recours. Retour à l'article

Cumul des mandats, votes au canon, campagnes électorales face à "des gens qui vomissent les élus" : quand Sylvie Andrieux atterre la présidente. À lire en page 2 en cliquant ci-dessous.

Sylvie Andrieux est prête à endosser sa part, tant qu'elle l'éloigne de ses responsabilités. "J'ai fermé les yeux sur ce système pour obtenir un 3e lycée dans les quartiers Nord". De même sur le cumul des mandats : "Je m'occupe de remplir ma fonction de député du mardi au jeudi, je n'étais quasiment jamais à la région. Ça, c'est une vraie erreur, c'est pour ça que je suis maintenant pour le mandat unique." Ses réponses sont pourtant souvent chargées de contradictions sur ce point. "Comme d'autres élus, j'ai transmis des dossiers pour ma circonscription", déclare-t-elle, liant territoire d'élection législative et mandat régional. Sa définition du rôle de "terrain" que suppose sa vice-présidence de la région finit d'ailleurs souvent en rencontres sur sa circonscription ou dans sa permanence parlementaire.

Elle évoque aussi la manière dont sont finalement votées les subventions :

– Vous votez des dossiers que vous ne connaissez pas ?
– Mais bien sûr ! Comment voulez-vous ? En commission permanente, vous avez dix pages pour le secteur « politique de la ville » avec des rapports qui ont un numéro et qui correspondent en fait à des centaines de dossiers.
– Donc on peut voter 100 000 euros sans regarder un dossier ?
– C'est affreux, c'est terrible, ça remet complètement en cause mon engagement de femme politique.
– On le comprend…

Ce vote en masse est malheureusement – à des degrés divers – une caractéristique partagée. "Je sais comment ça fonctionne, quand le dossier arrive il a quasiment déjà le tampon, il est tenu pour bon", a commenté l'avocat général. C'est que le vrai pouvoir est en amont. Peut-être entre les mains de la vice-présidente ? En revanche, la magistrate est remuée par la légèreté des élus : "Des milliers de dossiers à voter et on ne fait des commissions permanentes que tous les trois mois ? Qu'est-ce qui empêche les élus de se réunir plus souvent ? Le cumul des mandats ? Les réunions électorales ?", a lancé plus tard Monique Zerbib, dans une question qui n'attendait pas de réponse.

"Les gens vomissent les élus"

La stratégie de défense d'Andrieux pourrait se révéler à double tranchant, tant ses descriptions répétées de sa vice-présidence godillot atterrent la présidente.

Comment pouvez-vous dire des choses pareilles ? Vous êtes élue depuis plus de 20 ans et vous considérez que depuis tout ce temps vous n'avez servi à rien ? C'est terrible pour un électeur d'entendre ça !

L'élue ne se démonte pas : "Les institutions françaises ont hélas des turpitudes. Quand vous êtes maire d'une commune, vous pouvez redessiner votre ville. Un président de communauté urbaine, de région ou de département a la gestion en main. Quand vous êtes parlementaire, vous pouvez participer à l'élaboration des lois. Mais quand vous êtes conseiller régional, vous êtes mandaté pour aller dans des conseils d'administration, faire des discours." À une autre occasion, à propos de ses campagnes électorales, elle noircit toujours son verbe : "Je ne fais que du porte-à-porte, car ça ne sert à rien de faire des meetings, personne ne viendrait. Les gens vomissent la politique, ils vomissent les élus." 

Le mardi matin, profitant enfin d'une fenêtre pour interroger sa cliente, Grégoire Ladouari lui offre une bouffée d'air. Il lit l'extrait d'audition comme témoin assisté de Michel Vauzelle, où le juge lui demande s'il était au fait des différentes alertes sur les dysfonctionnement du contrôle des subventions. Aux réponses par la négative du président du conseil régional, l'avocat oppose celle de Sylvie Andrieux : "Personne ne peut croire" qu'il n'était pas au courant, assure-t-elle. La logique d'élargissement des torts se poursuit avec la présence des dossiers signalés, présentations au vote en urgence et autres contrôles défaillants dans d'autres secteurs (sport et culture notamment). Le rapport de la chambre régionale des comptes paru en 2013 lui fournit là des exemples clé en main.

Le témoignage de Rolland Balalas – certes peu détaillé et confus de par son état de santé – lui a apporté une contradiction en affirmant qu'elle connaissait Benamar et son rôle d'agent électoral. En appui, l'avocat du conseil régional comme l'avocat général alignent les témoignages, notamment de fonctionnaires du service de la politique de la ville. "C'est une mise en cause directe, structurée. Cette personne ment-elle ? Quel est son intérêt ?", martèle Jules Pinelli. Sylvie Andrieux nuance, rappelle les déclarations contradictoires d'autres acteurs, élargit, mais devant l'insistance de l'avocat général finit par lâcher : "Oui, cette personne ment." Quant à l'intérêt à le faire, la notion de "fusible" reparaît dans la bouche de l'élue : "Il y en avaient peut-être beaucoup qui avaient intérêt à ce que le feu ne se propage pas. D'un coup, Madame Andrieux est devenue le monstre à dix têtes, à dix jambes."

Mais il y a un point sur lequel elle a particulièrement séché : pourquoi, contrairement à plusieurs fonctionnaires – et même élus – n'a-t-elle jamais émis de doutes sur les contrôles et tenté d'améliorer le système ?  "Plutôt que d'aller sur le terrain, vous ne vous êtes jamais dit « on va faire une réunion de travail, une grande, une efficace » ?", questionne la présidente. À propos d'une fonctionnaire qui a repéré les fraudes, déclenchant un processus de refonte du système, elle ajoute : "C'est elle qui mérite la légion d'honneur". Sans pour autant conclure sur le sort qu'elle réserve à la députée. Les réquisitions de l'avocat général, après une semaine d'audition des autres prévenus, ne sont attendues que vendredi.

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Commentaires

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  1. cani cani

    Bien payée pour quelqu’un qui dit être rien à la Région
    Cela ne l’a pas etonnée d’être rien et d’encaisser un max ???

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  2. cani cani

    “je n’étais quasiment jamais à la région.”

    Un bel aveu, mais chaque mois l’indemnité devait quand même tomber

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  3. Rosa l'Epine Rosa l'Epine

    Franchement, qui pourrait croire à une défense aussi ridicule ?!? Bientôt, elle ne se rappelle même plus l’adresse de la région ! Qu’elle assume sincèrement et peut-être qu’elle contribuera enfin à écrire le début d’une nouvelle page où les élus arrêtent de nous prendre pour des truffes et redescendent sur terre !

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  4. we are Legion we are Legion

    La pierre angulaire dun systeme, cumularde mais innocente de tout. Qui peut y croire une seconde.

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  5. Anonyme Anonyme

    “On tourne en rond là !” C’était aussi l’avis exprimé, en aparté, par certains avocats, étonnés que les débats se basent sur les témoignages de l’ordonnance de renvoi dont la magistrate fait lecture, sans vraiment faire appel aux questions des parties présentes.”…….

    La méthode de la présidente ,lire,lire et continuer de lire les témoignages ,qu elle a stabilote ,uniquement à charge pour faire peser la culpabilité évidente.Jamais les lectures qui donnent d autres explications,une autre vision des choses.
    Le tout avec calme et formule de politesse.On a l impression d être en garde à vue mais pas dans un tribunal.
    C est une méthode qui n est pas acceptable en appel ,elle décrébilise la cour et peut faire croire à un corporatisme entre le tribunal correctionnel de Marseille et la cour d appel d Aix.
    Comme si tout était dejà joué,traité sans les couloir des étages de dessus,les portes de chaque bureau étant si proche,et Marseille de même,j ose espérer me tromper.

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  6. Anonyme Anonyme

    et vauzelle dans tout ça

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  7. Manipulite Manipulite

    La présidente semble mener les débats d’une curieuse façon. Connaît-elle le dossier ? Est-elle en service commandé ou incompétente ?

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  8. jdeharme jdeharme

    Madame andrieux n’ajoutez pas le déshonneur par une défense qui met tout sur le dos des services du DGS , du cabinet de la région ou alors dites un président et des services et les 123 conseillers régionaux ne servent à rien sont a la merci du cabinet et des services, que d’économie à faire alors si les 123 élus n’ont aucun pouvoir, ils ne servent à rien et votre défense est pitoyable ne rajoutez pas le manque d’honneur à cette affaire par votre défzense qui ne veut rien reconnaître c’est toujours la faute des autres avec vous et ça les gens en ont marre de ces élus qui ne veulent pas assumer

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  9. jdeharme jdeharme

    Le maire de Venise interpellé pour corruption

    35 personnes ont été arrêtées en Italie après la découverte d’un système de fraudes et de pots-de-vin dans le cadre du gigantesque projet de protection de la ville contre les inondations.
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    Mercredi à l’aube, Venise a été le spectacle d’une série d’arrestations qui font aujourd’hui la une des médias italiens. Parmi les 35 interpellés, le maire de la ville depuis 2010, Giorgio Orsoni (Parti démocrate, gauche) et de nombreux hommes politiques et entrepreneurs locaux. À l’origine de ce coup de filet: une vaste enquête pour corruption et blanchiment d’argent liée au système Moïse, cet ouvrage pharaonique destiné à sauver la Cité des Doges et sa lagune de la montée des eaux.

    Lancé il y a trois ans par le parquet vénitien, l’enquête policière a révélé une caisse noire alimentée par des fonds provenant d’un système de fausses factures et de pots-de-vin, dans le cadre de l’attribution des marchés pour le chantier Moïse. Selon les médias italiens, quelque 20 millions d’euros auraient ainsi été détournés et versés sur des comptes à l’étranger, à destination de partis politiques.

    Parmi les autres personnalités politiques inquiétées: le secrétaire régional du Parti Démocrate au pouvoir ou encore le conseiller régional aux infrastructures. Une arrestation a également été requise contre Giancarlo Galan, ancien ministre de Silvio Berlusconi et aujourd’hui sénateur de Forza Italia. C’est ce dernier qui avait lancé le projet Moïse en 2003, au cours de son mandat en tant que gouverneur de la Vénétie. Protégé par son immunité de sénateur, il ne pourra être interpellé sans l’accord du Sénat. Une centaine de personnes sont encore recherchés par les enquêteurs.

    On dirait que le gâteau et le pouvoir se comporte partout pareil

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  10. Anonyme Anonyme

    à quand vauzelle? c’est lui le seul et unique responsable. mais chez ces gens la responsable = pas coupable…. ça ne vous rappelle rien?

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  11. Anonyme Anonyme

    THE END

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