Étude sur la surmortalité à Fos : l’État critique la méthode mais reconnaît le problème

Actualité
le 21 Mar 2018
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En 2017, une étude participative avançait qu'il y a à Fos et Port-Saint-Louis deux fois plus de cancers qu’ailleurs. L’État tente aujourd'hui de prendre position face à ces résultats. Sans en nier la valeur, les pouvoirs publics restent frileux au sujet de cette méthodologie innovante, pourtant reconnue dans d’autres pays.

Étude sur la surmortalité à Fos : l’État critique la méthode mais reconnaît le problème
Étude sur la surmortalité à Fos : l’État critique la méthode mais reconnaît le problème

Étude sur la surmortalité à Fos : l’État critique la méthode mais reconnaît le problème

Il aura fallu attendre un an. Un an pour que l’État s’exprime officiellement et en détails sur les résultats d’une étude qui, en février dernier, a eu l’effet d’un pavé dans la mare. Selon cette étude participative qui porte le nom d’Epseal, il y aurait en effet à Fos-sur-mer et Port-Saint-Louis-du-Rhône deux fois plus de cancers que dans le reste de la France. Serait-on plus malade dans le bassin industriel de l’étang de Berre qu’ailleurs ? Jusque-là, aucune étude scientifiquement rigoureuse n’avait apporté d’éléments de réponse aussi complets à cette question qui taraude nombre d’habitants et d’associations dans le secteur.

“C’est du déclaratif, c’est du sentiment et ce n’est pas de la mesure rationnelle”, disait à l’époque Claude D’Harcourt le directeur général de l’Agence régionale de la santé (ARS) à propos de cette étude menée par une équipe d’universitaires aux méthodes novatrices, impliquant les citoyens directement (lire notre interview). Dans la foulée, Claude D’Harcourt saisissait Santé publique France, l’agence nationale de santé publique, pour qu’elle analyse la méthodologie et les résultats d’Epseal. C’est cette analyse que l’Agence régionale de santé et la préfecture ont rendu publique auprès d’élus et responsables associatifs du bassin ce mardi, à Istres (l’étude est à lire ici).

Des résultats “préoccupants”

Cette opération de communication avait deux volets. L’ARS, l’agence Santé publique France, la préfecture des Bouches-du-Rhône, et la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), ont présenté cette analyse devant une centaine de personnes parmi lesquelles plusieurs élus locaux, quelques parlementaires, des conseillers régionaux et métropolitains, des membres du secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles (SPPI PACA), de l’institut écocitoyen de Fos ainsi que d’associations locales. Ils ont ensuite rencontré la presse.

“Il s’agit d’une méthodologie inédite et les résultats sont préoccupants. Nous saluons les moyens mis en place pour mettre le citoyen au cœur du dispositif, entame Mélina Le Barbier, représentante de Santé publique France. Mais nous regrettons que ces résultats soient entachés de biais”, ajoute-elle sans tarder. L’agence Santé publique France reproche à Epseal deux principaux travers.

…mais un échantillon “pas représentatif”

Le premier : se baser sur un échantillon “qui n’est pas représentatif”. “La méthode de cheminement aléatoire consiste à taper à une porte sur cinq. Mais comment ont répondu les personnes une fois que l’enquêteur a frappé à la porte ? Cela a été décrit trop succinctement dans cette enquête. Nous n’avons, par exemple, pas d’explication sur les biais de non réponse. Aussi, les catégories sociaux-professionnelles n’ont pas été assez prises en compte”, poursuit la jeune femme qui, après demande de précisions ajoute un autre exemple : “Dans l’échantillon d’Epseal, il y a 2,5 fois plus d’enfants à Port-Saint-Louis alors que dans la population générale il y en a 2,5 fois plus à Fos.”

La seconde critique repose sur l’utilisation de données “déclaratives”, c’est-à-dire obtenues en questionnant les habitants et donc, basées uniquement sur des témoignages. Pour SPF, ces données ne peuvent être comparées à des données “de référence”, à savoir des statistiques nationales. Si l’agence Santé publique France reconnait par la voix de son directeur général, qu’Epseal apporte “une approche complémentaire”, cette étude ne serait donc pas pour autant comparable aux études menées par l’État lui-même, des études basées elles sur des données “médico-administratives”.

“Procédures bien établies dans d’autres pays”

L’équipe d’universitaires d’Epseal – qui doit rencontrer ce mercredi les services de l’État- compte – bien apporter des réponses à ces critiques. “L’équipe est satisfaite de la manière dont le travail scientifique a permis de minimiser les biais potentiels et pense que les résultats de l’étude peuvent être généralisables à l’ensemble de la population de ces deux villes”, argumente par voie de communiqué Alison Cohen, épidémiologiste de l’équipe de recherche. Quant à la question du “déclaratif” et de sa comparaison avec les statistiques, on peut encore lire :

“L’étude a été conduite en utilisant des méthodes épidémiologiques rigoureuses. Les questions de santé étaient formulées de la manière suivante : un médecin ou un professionnel de santé vous a-t-il déjà dit si vous aviez de l’asthme, un cancer, une maladie respiratoire etc ? Cette manière de poser les questions est commune dans les études de santé réalisées pour des études nationales dans de nombreux pays.[…] La standardisation des données avait pour but de pouvoir réaliser des comparaisons avec des données régionales et nationales, ce qui relève de procédures bien établies en épidémiologie.”

Des données de l’État qui vont “dans le même sens”

L’équipe d’universitaires doit encore argumenter pour défendre son approche, en soulignant par exemple que ses résultats sont publiés depuis 2017 dans le Journal of public Health, une revue scientifique internationale de premier plan, dotée d’un comité de lecture. Elle estime pourtant que la reconnaissance de cette méthode et de ses résultats n’est pas si loin. “Le rapport de Santé publique France, permet de conclure que l’étude Fos EPSEAL renforce des perspectives d’intérêt qui pourraient orienter des études épidémiologiques ultérieures, tant sur les thématiques proposées que sur les méthodes à développer”, notent les rédacteurs, résolument optimistes.

L’espoir semble fondé. Au cours de la conférence de presse organisée par la préfecture des Bouches-du-Rhône, le directeur des études à l’Observatoire régional de la santé, Pierre Verger dit avoir collecté des résultats “différents mais qui vont dans la même direction” qu’Epseal. Ces résultats, en ligne depuis plusieurs années sur le site www.sirsepaca.org, résonnent en effet fortement avec ceux d’Epseal.

“Mortalité prématurée supérieure de 19% au reste de la région”

“Nous avons trouvé une mortalité prématurée, à Fos et Port-Saint-Louis, chez les hommes, supérieure de 19 % comparé au reste de la région, et de 31 % en ce qui concerne le cancer, 40 % pour le cancer du poumon”, indique Pierre Verger, sans pouvoir en dire autant pour les femmes. Pour ce scientifique, “la méthodologie utilisée pour Epseal n’est pas reconnue en France, mais l’est dans d’autres pays. Aux États-Unis notamment.”

Petit à petit, une réponse se dessine qui amène une seconde question devient inéluctable : “à cause de quoi ?” Au niveau national, des chiffres sur les facteurs de pathologies, les “parts attribuables” disent les spécialistes, existent. Ainsi, en France, pour le cancer, le “comportement santé” (tabagisme, alimentation, sport…) représente 40 % de cette part attribuable, l’exposition professionnelle 5 % et seulement de 4 à 8 % pour la pollution environnementale et notamment, celle de l’air.

“Il existe aussi des données locales, comme à Lyon en ce qui concerne le cancer du poumon par exemple, explique Pierre Verger. Ici, nous n’avons pas encore ces chiffres. Il existe pourtant un grand nombre de données disponibles.”, explique en aparté Pierre Verger avant d’être rapidement coupé par le sous-préfet d’Istres. “On est d’accord sur le fond de cette étude [Espeal, Ndlr], mais on n’a pas les mêmes bases, ce qui est pourtant nécessaire pour se comprendre, veut faire savoir Jean-Marc Sénateur. On ne peut pas se permettre de se tromper, ce qu’on va dire aura une incidence sur des enjeux économiques et sur notre responsabilité par rapport aux personnes malades”.

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