[Escales à Port-de-Bouc] L’âge d’or des chantiers navals, un passé déjà lointain

Reportage
le 31 Août 2021
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Port-de-Bouc est une ville qui se traverse et où on s'arrête plus rarement. Le temps d'une escale de fin d'été, Marsactu y pose ses valises. Cinquante-cinq ans après leur fermeture, la ville ne garde que peu de traces visibles des chantiers navals. Restent les souvenirs des plus anciens.

Une cale des chantiers navals de Port-de-Bouc avec deux coques en construction. (Photo : Archives mairie de Port-de-Bouc)
Une cale des chantiers navals de Port-de-Bouc avec deux coques en construction. (Photo : Archives mairie de Port-de-Bouc)

Une cale des chantiers navals de Port-de-Bouc avec deux coques en construction. (Photo : Archives mairie de Port-de-Bouc)

“On construisait principalement des paquebots et des cargos bananiers qui faisaient en moyenne 120 mètres de longueur, le plus grand mesurait 176 mètres”, énonce fièrement René Giorgetti, ancien soudeur embauché pendant les dernières années des Chantiers et ateliers de Provence (CAP) et premier adjoint PCF à Port-de-Bouc pendant 31 ans. En arpentant les rues du centre-ville avec notre guide de choix, on imagine mal que de tels colosses étaient bâtis de la coque au mât dans ce qui est aujourd’hui le cœur de la plus jeune commune des Bouches-du-Rhône.

Dans le centre-ville, seule une réplique du “Provence” vient rappeler l’époque des chantiers navals.

Sous un soleil de plomb, on devine difficilement les vestiges de ce chantier. Non loin du port reste un mur dit des “façonneurs de tôle”. De l’autre côté du canal reliant Arles à Port-de-Bouc les hangars servant autrefois pour la peinture et les finitions sont mis à disposition de la gendarmerie maritime. Pour le reste plus aucune trace des cales et des grues qui modelaient le paysage local. Demeure une réplique du Provence, dernier navire sorti des chantiers, échoué en pleine rue sur un bassin de vagues artificielles. Derrière lui, on aperçoit le port de plaisance qui a pris la place des constructions navales.

Réplique du Provence dans le centre-ville de Port-de-Bouc. (Photo : MDO)

Une histoire récente mais riche

Les chantiers navals sont fondés en 1899 par Alfred Fraissinet et Jules Charles-Roux, deux notables marseillais. Les ouvriers port-de-boucains des chantiers y ont fabriqué plus de 150 navires jusqu’à la fermeture des chantiers en 1966. Du Marc Fraissinet au Provence la construction des bateaux a permis un essor économique sans précédent depuis la fondation de la ville en 1866. Cette arrivée a transfiguré le territoire, là où auparavant il y avait seulement “trois maisons : deux étaient fermées et une ouverte” comme le relate Alexandre Dumas dans Le Midi de la France, lorsqu’il était de passage à “Bouc” en 1834. Ce qui pourrait passer pour un défaut a été une condition avantageuse pour l’installation des chantiers.

Lancement du Provence, dernier bateau sorti des chantiers. (Photo : Archives mairie de Port-de-Bouc)

Jean Doménichino, historien à Aix-Marseille université, rattaché au laboratoire Telemme, le confirme. “Port-de-Bouc était un petit village de 1400 habitants à ce moment-là, Alfred Fraissinet choisit ce site car il est quasiment désert et il permet la mise en place des chantiers navals”, explique celui qui a publié une thèse sur Port-de-Bouc en 1988. L’installation des chantiers facilite la croissance démographique de la commune. Le nombre d’habitants a quasiment sextuplé entre 1901 et 1962, preuve de l’âge d’or apporté par les chantiers.

Pierre Dradjiotis a connu cette période faste. Il est entré en 1958 en tant que charpentier dans les ateliers. Pour lui, comme pour René Giorgetti et beaucoup d’autres, les chantiers navals étaient avant tout une histoire de famille. “Je suis entré à 18 ans, mon père, mon frère et mon oncle étaient déjà là. C’était comme une tradition d’entrer aux chantiers”, expose-t-il, nostalgique. René Giorgetti qui a grandi à la cité ouvrière du chantier naval ne dit pas autre chose. À ses yeux, “les chantiers ont permis une solidarité entre les immigrés qui essayaient de joindre les deux bouts”. L’historien spécialiste de Port-de-Bouc est lui aussi catégorique : “L’activité de production permet l’intégration, d’autant plus qu’avec les cités ouvrières cela facilite les rapports inter-familiaux.” La solidarité entre ces familles italiennes, espagnoles ou grecques ressortira lors des différentes luttes ouvrières à Port-de-Bouc.

Ouvriers s’occupant de l’ajustage sur les chantiers navals, à la fin des années 40.(Photo : Archives mairie de Port-de-Bouc)

Lunettes de soleil vissées sur le nez et voix habituellement enjouée, le ton de René Giorgetti devient grave lorsqu’on évoque la fermeture de 1966. “C’était une véritable meurtrissure qui a fait imploser Port-de-Bouc, avec une perte de 70% des ressources, c’était la dèche.” Jean Doménichino nuance tout de même : “C’est un traumatisme surtout pour l’image de la ville, mais moins pour les ouvriers qui trouvent du travail dans la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer. D’autres partent travailler sur les chantiers navals de La Ciotat.” La fermeture met tout de même à la poubelle 2000 emplois et la principale manne financière de la commune.

Il fallait racheter tous les terrains puis tout démolir et reconstruire par-dessus.

René Giorgetti

Juste à côté, Martigues bénéficie de la fiscalité issue des usines de Lavéra. Quant à Istres, Fos et Miramas, elles sont unies au sein du syndicat d’agglomération nouvelle au sein duquel elles se partagent la manne de la taxe professionnelle de la zone de Fos. Port-de-Bouc reste à l’écart. “Les Port-de-boucains sont les cocus du coin”, soupire René Giorgetti. Malgré les difficultés de la ville après la fermeture du principal employeur du secteur, elle se reconstruit depuis le mitan des années 1980. L’ancien premier adjoint témoigne de la coûteuse reconstruction du centre-ville : “Il fallait racheter tous les terrains puis tout démolir et reconstruire par-dessus”.

Grève des ouvriers travaillant dans les chantiers navals en 1966. (Photo : Archives mairie de Port-de-Bouc)

Un passage de témoin difficile

Même si le passé industriel est gommé pour reconstruire un centre plus balnéaire, la mémoire collective n’a pas oublié ces chantiers souvent liés à une histoire familiale forte. En quelques clics, il est possible de se rendre compte de la marque qu’ont laissé les Chantiers et ateliers de Provence (CAP). Une page Facebook nommée Port-de-Bouc d’hier et d’aujourd’hui rassemble de nombreux témoignages et illustre ce besoin de partager la mémoire engloutie. Les commentaires d’anciens racontant la grandeur passée des chantiers navals pullulent. La page a été créé par un bénévole, Karim Kateb qui continue de l’animer avec Gilbert Caneri, par ailleurs élu à la communication et Régine Franceschi.

L’idée d’un musée dédié fait son chemin, mais rien de concret n’est lancé pour le moment.

Certains anciens ouvriers verraient d’un bon œil la création d’un musée commémorant l’histoire des chantiers. Pierre Dradjiotis, maintenant, installé à Martigues, déplore “le manque d’un musée sur les chantiers navals car dans 20 ou 30 ans plus personne n’en parlera.” René Giorgetti, dont la famille est impliquée dans l’équipe municipale sans discontinuer depuis 1947, trouve que “l’idée du musée est bonne, mais il manque de l’argent, le monde de la culture est en berne”. Jean Doménichino émet une autre piste : “Il serait judicieux de créer un musée des chantiers navals provençaux”, qui regrouperait La Ciotat, La Seyne et Port-de-Bouc. Lui aussi n’est pas optimiste quant à cette perspective, soulignant le contexte économique difficile.

Malgré tout, près de 55 ans après la douloureuse fermeture, le 28 août dernier une performance artistique portant sur les chantiers navals a été réalisé par une quinzaine de jeunes de Port-de-boucains. Une projection qui a illuminé les murs du centre d’arts plastiques Fernand Léger avec des images et des sons liés au passé maritime de la ville. Une première occasion de perpétuer l’héritage.

Actualisation le 30 novembre 2021 à 11 h 28 : précision sur les administrateurs de la page Port de Bouc d’hier et d’aujourd’hui.

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Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    Cette série d’articles est très intéressante mais fait quand même un peu et pas qu’un peu chronique nécrologique.Activites disparues, équipements dégradés,images d’un temps révolu.Photos jaunies,un peu de Kodachrome mais pas de jolies couleurs.

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    • Brigitte13 Brigitte13

      Port-de-Bouc, ville pauvre et délaissée par ses riches voisines Martigues et Saint-Mitre-les-Remparts. Un territoire métropolitain de 3 communes ? Saint-Mitres, ville pavillonnaire avec sa zone commerciale, Martigues industrie, tournage cinéma, équipements culturels et sportifs, Port de Bouc : RIEN

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  2. Alfonse Alfonse

    À ma connaissance la commune de Carnoux en Provence a été créée en 1966, soit 100 ans après Port de Bouc, ce qui lui donne le titre la plus jeune commune des Bouches du Rhône.

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  3. AlabArque AlabArque

    Feu mon grand-père (maternel), Léon Renouard, a terminé sa ‘carrière’ comme cadre (chef comptable) aux Chantiers et Ateliers de Provence à Port-de-Bouc. Mes parents s’étaient mariés durant l’Occupation, et lors de leur première ‘installation’ après-guerre, Léon a offert à sa fille et à son gendre un ensemble de mobilier en acajou (armoire-penderie, commode, meuble bas, petit placard à étagères) réalisés par les ébénistes des Chantiers sur le modèle et dans le style des meubles équipant les cabines de paquebots. Quelle merveille d’ingéniosité (petits, modulables, logeables), de robustesse et de perfection technique … Après avoir vécu mon enfance au milieu de ces meubles, je les ai peu à peu tous récupérés au fil de mes propres ‘pérégrinations’. Je m’en passerais aujourd’hui difficilement (il faudrait juste que je change le miroir de l’armoire, écorné lors d’un déménagement). Chapeau !

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