[Escales à Port-de-Bouc] Atteindre la ville par le fort

Série
le 26 Août 2021
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Port-de-Bouc est une ville qui se traverse et où on s'arrête plus rarement. Le temps d'une escale de fin d'été, Marsactu s'installe dans la plus jeune commune du département. Pour ce premier épisode, l'histoire débute sur la rive d'en face, depuis le fort de Bouc qui veille sur la ville.

Face à Port-de-Bouc, le fort du XVIIe siècle raconte une autre histoire de la ville. (Photo BG)
Face à Port-de-Bouc, le fort du XVIIe siècle raconte une autre histoire de la ville. (Photo BG)

Face à Port-de-Bouc, le fort du XVIIe siècle raconte une autre histoire de la ville. (Photo BG)

Pour aller à Port-de-Bouc, ce chemin n’est pas le plus simple. Il s’avère même impossible. La ville est là, à portée d’une vigoureuse brasse. Nous sommes bien à Bouc mais au fort et non au port dont les destins sont liés. Pour remonter cette histoire, il faut revenir en arrière au moins jusqu’au dernier rond-point sur la route du port de Lavéra. Il dessine une frontière entre un bord de ville festonné de pins et un territoire industriel sans début ni fin.

Très vite, la route cesse d’en être une, réduite à un chemin de terre qui serpente entre les pipe-lines, oléoducs, gazoducs, tankers de toutes les formes. Ici, la terre maintient sous pression des tonnes de gaz. Là, le pétrole brut arrive avant d’être acheminé vers les usines pétrochimiques voisines.

Un fort au milieu des pipe-lines

Nous sommes dans le plus important port pétrolier français et au bout du chemin tortueux apparaît une bâtisse qui se dresse là depuis le Moyen-Âge. À une lettre près, il se confond avec notre point de destination : la ville de Port-de-Bouc que l’on aperçoit sur l’autre rive du canal de Caronte avec sa jetée qui se déploie en pousse de fougère. L’histoire de la plus jeune commune du département tutoie à cet endroit précis celle du comté de Provence et du royaume de France.

Notre hôte s’appelle David Erhel. Il est gardien du fort de Bouc depuis trois ans. D’ordinaire il est seul dans ce bout du monde, si ce n’est la communauté de pêcheurs qui fait fi des règles Seveso. Dans ce territoire industriel, officiellement, personne ne peut venir sans autorisation du grand port maritime de Marseille.

L’entrée du fort est protégée par une demi-lune fortifiée, deux ponts-levis et un pont dormant au-dessus de douves sèches. (Photo BG)

“Ici, la jauge est limitée à 80 personnes, explique le gaillard, casquette vissée sur le crâne et t-shirt qui met en avant sa fierté martégale. C’est aussi la capacité de la salle de confinement, en cas de pollution chimique, notamment au chlore. Mais ici, c’est comme avec Tchernobyl, la pollution s’arrête à la frontière”. David Erhel balaie du bras Port-de-Bouc et ses 16 000 habitants.

“Bouc, c’est l’embouchure en provençal, raconte le Martegau. C’est le canal de Caronte qui donne son nom aux deux lieux”. Le fort lui-même a été bâti sur un îlot du même nom que les aménagements successifs ont fini par rattacher à la rive martégale.

D’abord une tour, puis un bastion

“Le fort est le gardien du port“, poursuit Hervé Carasco, médiateur culturel et fin connaisseur du lieu, venu ce mardi matin en délégation faire des repérages pour les journées du patrimoine. “L’existence du port de Bouc est attestée depuis le 11e siècle, raconte-t-il. L’importance de ce port ne va pas cesser de se développer durant le moyen-âge. La tour qui précède le fort est construite pour veiller sur ce port qui est à la fois un lieu d’escale, un dernier abri en cas de tempête, voire un port de transbordement pour le transport fluvial, bien avant que le canal d’Arles à Bouc soit creusé”.

Au milieu du XVe siècle, le roi René veut un point d’appui pour sécuriser Marseille, ce sera donc cette tour qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celle du fort Saint-Jean à Marseille.

L’histoire du fort et du port est aussi liée à la longue concurrence entre l’évêque d’Arles, le comte de Provence et les Marseillais pour contrôler ce territoire stratégique. À l’entrée du canal de Caronte, il permet d’offrir un point de vigie et de surveiller les possibles invasions par la mer. “Au milieu du XVe siècle, le roi René veut un point d’appui pour sécuriser Marseille, ce sera donc cette tour qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celle du fort Saint-Jean à Marseille”, explique Hervé Carasco alors que la petite délégation du service Art Archéologie et histoire passe les différents ponts-levis, la demi-lune et le pont dormant qui constituent les premières défenses du fort.

Raymond Bonnefons, le bâtisseur

C’est ensuite sous le règne d’Henri IV, au XVIIe siècle, que la tour s’habille d’un fort qui la transforme en bastion. “Le nouveau roi de France veut sécuriser les côtes, poursuit notre guide alors qu’il passe l’entrée du fort. L’ingénieur du roi, Raymond Bonnefons, est chargé de réaliser les fortifications des différents ports d’Antibes à Martigues. On lui doit notamment les fortifications d’If, Ratonneau et Pomègues dans l’archipel du Frioul. Il entreprend les travaux à Bouc qui sont ensuite poursuivis par son fils”. La forme pentagonale des lieux, les arêtes vives et les échauguettes à chaque angle sont donc de son fait.

Contrairement à ce que la rumeur colporte à Martigues comme ailleurs, le fort ne doit rien à Vauban. L’illustre ingénieur est bien passé par là, mais il a peu fait pour renforcer l’édifice sauf à y ajouter des commodités comme le logis du commandant, une chapelle et une partie des défenses extérieures.

Un Tamaris de trois siècles occupe la place d’arme. (Photo BG)

C’est avec l’avènement de Napoléon que le fort de Bouc et le port qui lui fait face connaissent une nouvelle phase d’expansion. “L’empereur imagine y construire un véritable port militaire défendu par le fort de Bouc, lui-même renforcé pour l’occasion, raconte Hervé Carasco. L’empereur y prévoit des chantiers de construction de vaisseaux de guerre et un canal pour relier l’étang de Berre au Rhône. Ce port était censé concurrencer Toulon et Marseille. Au final, le port de guerre se fera à la Spezia en Italie”.

L’empreinte de Napoléon

De cette ambition pour Bouc, il ne reste qu’un plan signé Bondon qui dessine à l’embouchure de Caronte une ville et un fort. Du projet napoléonien, ne survit que le canal d’Arles à Bouc, construit en 1839, dont l’embouchure est encore visible depuis le fort. Pour l’édifice militaire, succède à l’intérêt impérial, une profonde phase d’endormissement. Il servit même à stocker le sel dont l’usage industriel fit une partie de la fortune du lieu. Peu à peu, le fort ne devint plus qu’un phare, sans autre vocation de défense.

Le fort vécut ses derniers soubresauts militaires avec l’occupation nazie qui renforce les armements avant d’en détruire une partie à la fin de la guerre. Mais c’est l’avènement du pétrole qui accéléra sa fin. L’île de Bouc disparut et le paysage devint peu à peu celui d’un port pétrolier qui masque le fort et ne le rend visible qu’aux yeux des Port-de-boucains.

À la fin des années 80, la Ville de Martigues rachète le fort.

Il a fallu la passion d’historien amateur de l’ancien maire de Martigues Paul Lombard pour faire renaître le fort. À la fin des années 1980, la ville le rachète à l’État et à partir de 2007, Martigues se lance dans une vaste rénovation. Le fort retrouve sa splendeur, au prix de quelques entorses avec la vérité historique. La visite du fort était ainsi émaillée de reconstitutions avec des mannequins qui reprenaient des moments forts de la vie martégale sans lien avec la forteresse.

Une partie des personnages qui servaient à égayer la visite. Certains sont restés en place aux fenêtres de la tour. (Photo : BG)

Ces mannequins forment aujourd’hui un moulon dans une des salles de la grande tour. Juste au-dessus, le gardien y a un appartement. “Je n’y vis plus à plein temps. C’est surtout l’ancien gardien du lieu qui y a vécu avec sa famille, explique David Erhel. De temps en temps, il recevait un coup de fil du maire et ce dernier débarquait dans la minute, du jour comme de nuit”.

Depuis, le nouveau département d’Art, archéologie et d’histoire dépoussière le lieu de sa scénographie d’antan en lui rendant une part de son cachet passé. Quant à David Erhel, il ne désespère pas de trouver encore quelques trésors cachés. Déjà, il a mis à jour dans le chenil de l’ancien gardien une curieuse pièce, dépendance de l’ancienne résidence du commandant du fort. “Je suis sûr qu’il s’agit d’un ancien four qui servait à faire rougir les boulets de canons”, assure-t-il. Pendant la visite, il glisse comme un aveu : “Je l’aime, le fort, c’est devenu mon bébé”.

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Commentaires

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  1. Maurice Maurice

    Excellent article. Très belles séries d’été.
    Merci

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