Éoliennes flottantes au large de Fos : tout le monde (ou presque) est dans le même bateau
Dans le cadre de sa grande concertation sur la mer, la commission nationale du débat public organisait jeudi une sortie pour aller voir les éoliennes flottantes installées récemment au large de Fos-sur-Mer. À bord, la ministre de la Transition énergétique, mais aussi des acteurs locaux inquiets de voir ce projet s'étendre.
L'une des trois éoliennes de la ferme pilote Provence grand large, à 17 km des côtes. photo : VA
Scientifiques, ingénieurs, journalistes, élus locaux, représentants institutionnels et associatifs… Une cinquantaine d’invités triés sur le volet patientent sagement à bord de l’Hélios quand la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, et son aréopage montent sur la passerelle ce jeudi matin. Le bateau qui trimballe d’ordinaire des touristes en goguette dans les Calanques peut enfin larguer les amarres de Port-de-Bouc. “Le temps de navigation est estimé à une heure environ, lance au micro le capitaine. Une fois sur site, nous ferons une pause de 15 minutes, avant de revenir à Port-de-Bouc.” La destination, tout le monde la connait : la ferme pilote d’éoliennes flottantes de Provence grand large, installée à 17 kilomètres de là en septembre dernier.
La commission nationale du débat public, organisatrice de cette sortie au grand air, a bien choisi sa date : en ce début du mois de décembre, la mer est parfaitement plate et le ciel d’un grand bleu. L’idéal pour inaugurer l’escale marseillaise de son grand événement “la mer en débat”. Durant un mois, une série de rencontres se tiendront pour débattre de sujets en tous genres autour de ce thème très… large. L’éolien dit offshore, sera donc le sujet qui lance les hostilités. Et le territoire où est implanté ce projet voué à s’étendre, un tremplin pour en poser les enjeux.
Un projet pilote multiplié par 10
Heureuse d’être chaleureusement accueillie dans une ville prononcée “Port debout”, la ministre pose d’emblée ces enjeux. Elle considère la région, explique-t-elle en préambule, comme “pilote dans la planification énergétique” qu’elle souhaite dérouler afin “de reprendre en main l’indépendance par rapport aux énergies fossiles”. Pour ce faire, l’État compte bien miser sur l’éolien marin qui offre tout un tas d’avantages en termes de quantité de production, au point qu’il se “rapproche le plus du nucléaire”. Ainsi, pose Agnès Pannier-Runacher, d’ici à 2050, la France devrait produire 45 Gigawatts grâce à cette énergie renouvelable, soit l’équivalent de 13 réacteurs. Mais où poser les éoliennes qui permettront de réaliser cette prouesse ? La ministre a son idée. “La Méditerranée doit prendre son destin en main. La région a dit “il faut y aller, cela créée des emplois, de l’énergie et accélère la décarbonation”. Moi, je réponds, on est derrière vous”. Du moment qu’il n’y a pas de vent contraire.
À terme, le projet pilote de Provence grand large doit produire, avec ces trois éoliennes flottantes, de quoi alimenter l’équivalent de la ville de Martigues. Mais après le stade expérimental, cette production doit être multipliée par dix. Au moins. Et pour le moment, tous les voyants semblent au vert. “C’est une première mondiale, car les flotteurs sont en ligne tendue avec des câbles très stables et nous avons eu de très bons résultats, même avec les tempêtes de ces derniers jours”, détaille le représentant d’EDF renouvelables qui porte le projet avec RTE. Les ingénieurs présents peuvent se féliciter de l’exploit technique. Mais dans l’embarcation qui file vers la première mondiale en question, d’autres sont moins enthousiastes.
“Chien de garde” vs “espace de liberté”
À commencer par le maire de Fos-sur-Mer, qui a pris l’habitude de gâcher la fête quand il s’agit d’industrie. “Avec 8000 hectares d’usines sur le territoire, on a déjà perdu la Camargue, rappelle René Raimondi (PS). Il ne nous reste plus que la mer. Alors, on va faire très attention. Ce projet, c’est 15 000 hectares de totale interdiction de circuler. Il ne faudrait pas qu’on se fasse conspuer par votre chien de garde comme cet été.” Le maire de Fos pense aux pêcheurs et aux plaisanciers, lui-même étant sur l’eau à ses heures perdues, qui ont vécu cet été quelques désagréments avec “le chien de garde”, le bateau de surveillance du chantier, comme le nomment les porteurs de projet eux-mêmes. “Il y a eu des lignes de pêche coupées. Cela constitue de grandes zones d’exclusion de 200 mètres autour des éoliennes. La mer est un lieu de liberté. Vous devez faire attention à la manière dont vous vous exprimez”, met en garde l’élu. L’enquête publique pour ce projet commercial ne devrait plus tarder.
Parmi les invités, les pêcheurs se font rares. Si le représentant de la prud’homie d’Occitanie n’a pas manqué de dire ses inquiétudes sur “le calendrier” pressé et ces “zones d’exclusion” – “quelle place nous reste-t-il pour travailler ?” – celui de la prud’homie de Martigues n’était pas du voyage. “On m’a prévenu hier pour aujourd’hui. Désolé, mais ce n’est pas parce qu’il y a une ministre que je vais tout arrêter”, répond William Tillet contacté par Marsactu une fois à terre.
Les travaux devaient être finis en novembre mais ça risque de durer jusqu’à Noël, soit juste les deux mois où l’on travaille le plus.
William Tillet, prud’homme de pêche de Martigues
Bouteille perdue en mer ou peur d’un pêcheur qui fait des vagues, la commission nationale du débat public semble avoir raté son invitation. Il faut dire que l’homme est remonté. Pas par la présence des éoliennes en mer, mais pour les câbles qui permettent de les raccorder à la terre. “Les travaux créent un couloir d’un kilomètre entre les infrastructures et la terre où on ne peut pas passer. Ils devaient être finis en novembre, mais ça risque de durer jusqu’à Noël, soit juste les deux mois où on travaille le plus”, détaille William Tillet. Et encore, cela n’est rien comparé à ce que présage l’avenir.
Daurades, Loups et éléphant
En 2022, L’État a en effet lancé un appel d’offre pour deux projets commerciaux d’éoliennes flottantes. L’un se trouve dans le golfe de Fos et devra produire 250 mégawatts, avec une extension de 500 mégawatts possible. La mise en service de la première tranche est envisagée pour 2031. Cela devrait correspondre à 19 éoliennes de 13 mégawatts pour la première étape du parc, puis 33 éoliennes de 15 mégawatts pour l’extension. Mais comme la technologie évolue, ces estimations peuvent aussi évoluer. “Ils viennent à peine d’en mettre trois à l’eau qu’ils en prévoient 20 de plus, et là, ils vont nous tirer des câbles au milieu de la réserve de la Couronne. On a mis des années à faire cette réserve. On est prêts à rentrer en guerre”, réagit le pêcheur professionnel. Sur l’Hélios, c’est le premier adjoint au maire de Martigues, Henri Cambassedes, qui défend le sujet : “je suis inquiet pour l’atterrage [le raccordement, ndlr] qui est prévu sur la côte Bleue et sur la plage de la Couronne, je suis contre”. Également présentes, les associations de défense de l’environnement se questionnent sur ce point.
“Je suis favorable aux énergies renouvelables, mais ce projet se télescope avec le projet pilote qui n’a pas encore permis de retour d’expertise suffisant, estime Frédéric Bache, pour France nature environnement (FNE). L’atterrage sur la côte Bleue, dans des zones Natura 2000 et sur la réserve marine de cap Couronne aura un impact fort. Sur la posidonie, qui est un puits de carbone et sur les daurades et les loups qui s’y reproduisent. Quand vous arrachez de la posidonie, il lui faut 15 ans pour se régénérer.”
Il faut miser sur les énergies renouvelables […] et prendre de la hauteur pour réfléchir là où ses bénéfices seront supérieurs à ses impacts.
Agnès Pannier-Runnacher
Mais la posidonie, la daurade et le loup ont du mal à rivaliser face à un enjeu bien plus gros. Tandis que l’Hélios, à plein gaz, se rapproche des éoliennes gigantesques, la ministre reprend le micro : “Il y a un éléphant dans la pièce. Ce sont les énergies fossiles et nous n’avons pas beaucoup de temps face à ses impacts sur l’environnement. Il faut miser sur les énergies renouvelables […] et prendre de la hauteur pour réfléchir là où ses bénéfices seront supérieurs à ses impacts.”
Et tant pis si ici, elles risquent aussi de déranger des oiseaux, comme soulevé dans la demande de dérogation aux espèces protégées du projet. Mais pour être fixé sur cet aspect, encore faut-il attendre quelques années. “Des radars dernière génération ont été installés sur l’une des éoliennes, cela va permettre de récolter, durant cinq ans encore, des données très précises sur le déplacement d’oiseaux migrateurs, explique à Marsactu Christine Dejouette, la directrice de Provence grand large pour qui ce jour est une consécration. Les scientifiques qui travaillent avec nous sont très enthousiastes.” Elle poursuit, en regardant droit dans les yeux : “vous savez, toutes les personnes qui travaillent sur ce projet sont des gens qui aiment la nature. Mais on a aussi tous envie d’avoir de l’électricité dans son salon.”
L’Hélios coupe finalement les moteurs. De près, la prouesse technique est difficile à visualiser. Sous les immenses mats au bout desquels des pales élancées, presque aussi grandes que leur tige, ont été fixées, sont immergés des flotteurs de 80 mètres de large, permettant aux éoliennes une quasi-stabilité. Dès que le vent dépassera trois mètres par seconde, soit une petite brise, elles se mettront à tourner. Tandis que les journalistes mitraillent, les ingénieurs débattent à base de chiffres. La ministre, elle, est montée sur le toit de l’embarcation alors qu’une chargée de communication fait la sécurité en bas des escaliers. “Il faut lever de nez de la copie et regarder l’horizon”, glisse la membre du gouvernement. Le maire de Fos, lui, regarde vers la côte. Tout le monde veut de l’électricité dans son salon, mais imaginer des champs d’éoliennes sous son hublot, c’est autre chose.
Commentaires
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Bonjour, merci pour cet article. Votre titre n’aurait il pas été chamboulé par les vagues ?
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Bonjour, voilà, la houle est redescendue. Merci pour votre alerte météo
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Les éoliennes en mer se sont développées en Europe du Nord avec des résultats très satisfaisants. En Méditerranée, utilisons le mistral et la tramontane pour produire de l’électricité vraiment écologique et rattrapons notre retard dans ce domaine.
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…Et mangeons le poisson d’Afrique de l’Ouest ou du Pacifique, en gardant à quai quelques bateaux de pêche ici pour les photos des croisiéristes en escale.
Plutôt que du yakafaukon, demandons-nous comment en Europe du Nord ils ont traité les questions du vivant (poissons, végétaux et oiseaux) en général et des humains (pêcheurs et autres), on verra si on a trouvé des compromis “très satisfaisants”.
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Il y a eu des articles dans divers journaux il y a un mois environ indiquant les difficultés financières des entreprises du secteurs de l’éolien offshore. Ce n’est pas forcément rentable pour elles et surtout la concurrence chinoise fait que ce secteur de pointe echappe de plus en plus aux entreprises européennes. Je crois que c’est le Danemark qui renonce à un projet de parc.
Bref il y a des remous en mer.
Mais nos décideurs locaux ont toujours 20 ans de retard…
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J’ai retrouvé un des articles que j’avais lus :
Avis de gros temps sur l’industrie éolienne
https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/281123/avis-de-gros-temps-sur-l-industrie-eolienne?utm_source=global&utm_medium=social&utm_campaign=SharingApp&xtor=CS3-5
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Extrait :
Partout les projets de champs offshore sont retardés, voire annulés. Aux États-Unis, malgré le soutien du gouvernement américain, deux groupes seulement se sont présentés pour répondre à des appels d’offres pour construire des champs éoliens maritimes dans le golfe du Mexique. En Grande-Bretagne, les appels d’offres pour de nouveaux projets en mer du Nord ont été simplement annulés en septembre : aucune candidature n’avait été déposée. L’électricien japonais Skikoku Electric Power et le raffineur Eneos Holdings ont annoncé à la mi-novembre l’abandon d’un projet d’éolien offshore au large de Taïwan. La rentabilité du projet, selon eux, n’est pas assurée.”
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C’est cher, fragile, coûteux, pas très rentable mais qu’est ce que c’est joli! Ce morne horizon maritime tout plat et monotone en est bien égayé.
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On peut préférer les raffineries, les centrales à gaz ou nucléaires… Mais aujourd’hui , au moins à Allauch, on trouve un moulin à vent digne d être mis en valeur.
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Vous terminez votre article avec cette phrase :
Tout le monde veut de l’électricité dans son salon, mais imaginer des champs d’éoliennes sous son hublot, c’est autre chose.
J’ai la chance d’habiter Marseille avec une belle vue mer. De mon hublot, je ne vois pas bien les éoliennes à une vingtaine de kilomètres. Désolé mais dans le cas présent, la nuisance visuelle n’existe pas et c’est dommage de gâcher votre excellent article juste à cause de votre volonté enfantine de vouloir terminer sur un bon mot.
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Vous possédez peut être une magnifique villa Art déco de style “paquebot” ornée de hublots mais ce type de bâtiment est plutôt voué à rester à terre contrairement aux bateaux des pêcheurs évoqués par l’autrice …
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Dès qu’un projet d’implantation,d’un pylône ou d’une ligne électrique voire d’une ligne téléphonique aérienne se dessine nous des oppositions du style de l’acronyme anglais “NIMBY” qui est apparu dans les années 1980 “Not In My Backyard”. Il est utilisé pour décrire une attitude où les gens s’opposent à des projets ou développements locaux qu’ils estiment indésirables dans leur propre quartier, même s’ils peuvent reconnaître leur nécessité globale.
Les trois éoliennes dressées actuellement dans le golfe de Fos sont vraiment très loin du rivage…
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