Entre la direction et les supporters de l’OM, une mauvaise passe décisive

Actualité
le 17 Fév 2021
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En menaçant les groupes de supporters historiques de les écarter des travées du Vélodrome, les dirigeants de l'Olympique de Marseille s'attaquent à l'un des symboles du club. Un point de rupture semble avoir été atteint, aboutissement de plusieurs années d'échanges tendus.

Tifo lors du match OM - Lyon, le 10 novembre 2019 au stade Vélodrome. (Photo: Rémi Baldy)
Tifo lors du match OM - Lyon, le 10 novembre 2019 au stade Vélodrome. (Photo: Rémi Baldy)

Tifo lors du match OM - Lyon, le 10 novembre 2019 au stade Vélodrome. (Photo: Rémi Baldy)

L'enjeu

Le directeur général a informé les groupes de supporters qu'il envisageait de rompre la convention qui les lie et organise notamment leur accès au stade.

Le contexte

Le 30 janvier, des dizaines de supporters ont pénétré dans le centre d'entraînement, occasionnant des centaines de milliers d'euros de dégâts selon le club.

En période de crise sportive pour un club de foot, la phrase revient régulièrement dans la bouche des supporters. “Les joueurs, les entraîneurs et dirigeants passent, mais les fans restent”. Pour l’Olympique de Marseille, les crises se suivent. Parfois se ressemblent. Mais cette fois, les conséquences pourraient sortir de l’ordinaire. Principalement pour les groupes historiques de supporters, qui totalisent 25 500 membres. Ces six associations reconnues par le club occupent les places en virage, les tribunes derrière les buts, et organisent le spectacle. Elles ont reçu lundi un courrier du directeur général de l’OM Hugues Ouvrard pointant la voie d’une fin de collaboration.

En parallèle, le club a lancé une Agora OM “pour créer et impulser un nouveau mode de supportérisme”. Des éléments qui laissent peu de place au doute sur l’avenir de ces groupes pourtant indissociables de l’OM pour les observateurs. “Les supporters sont l’une des parties prenantes d’un club. À Marseille, c’est la principale. C’est ce qui fait la singularité, l’attractivité et l’ADN du club”, considère Lionel Maltese, maître de conférences à Aix-Marseille Université et membre de l’observatoire international en management du sport (OMIS). Ce poids se mesure à la levée de bouclier en réponse aux déclarations de l’OM sur les réseaux sociaux des fans olympiens, mais aussi des politiques. De Martine Vassal à Benoît Payan, les hémicycles chantent à l’unisson.

En 2015, la reprise des abonnements

La réaction de l’OM est la réponse directe au saccage par des supporters de la Commanderie, le centre d’entraînement du club, le 30 janvier dernier. Le courrier d’Hugues Ouvrard reproche aux groupes leur présence lors de ces évènements qui porte atteinte à l’image du club et de ne pas rentrer dans les clous de la convention signée avec le club pour “limiter le débordement”.

https://twitter.com/MTP_1994_/status/1361729617233600517

L’importance et l’écho des faits donnent au club l’occasion d’agir. Le procédé n’est pas nouveau. En 2015, l’ancienne direction avait réagi de manière similaire. Déjà en crise, l’OM recevait Lyon pour un match particulièrement tendu avec le retour de Mathieu Valbuena, un ancien Marseillais passé chez le rival. Un pantin censé le représenter est alors pendu en virage. L’image fait le tour des médias. En réaction, le président de l’époque, Vincent Labrune, revoit le système des places dans les virages. Il s’agit alors d’un premier changement majeur dans la gestion du club.

Le système était unique en France : les groupes de supporters s’occupaient de leur espace dans la tribune mais aussi de la billetterie. Ils reversaient ensuite une part à l’OM, le prix de l’abonnement moins la cotisation à l’association. “C’est Bernard Tapie qui a instauré cela lors de son arrivée en 1986, cela lui permettait d’avoir la paix sociale et d’arrêter l’anarchie dans les tribunes. Ça a duré trente ans”, raconte Fernand Bonaguidi, fondateur du site Om4ever sur l’histoire du club. Depuis 2015 donc, pour obtenir un “abo” il faut d’abord souscrire chez l’un des groupes de supporters puis acheter son précieux sésame directement auprès de l’OM.

Un premier groupe exclu en 2018

Presque un an après cette petite révolution d’organisation, Franck McCourt rachète l’OM et installe Jacques-Henri Eyraud comme président. Ce dernier martèle sa volonté de dialoguer avec les groupes, partie intégrante de “l’OM expérience“. Pour les supporters, c’est alors l’époque de l’espoir. Après une saison euphorique ponctuée d’une finale de coupe d’Europe perdue, l’été 2018 marque un tournant. Le club exclut les Yankee, troisième groupe le plus important avec 5000 abonnés, et l’accuse “d’escroquerie” et d’”abus de confiance”. C’est le deuxième tournant autour des virages.

Parmi les griefs reprochés aux Yankee, la revente des bracelets utilisés par les membres de l’association pour pénétrer dans le stade avant un match afin d’accrocher leurs banderoles en guise de place. Sauf que les acheteurs n’ont pas pu entrer et ont signalé leur mésaventure. Ironie de l’histoire, cela se déroule encore à l’occasion d’un match contre… Lyon.

“Un Parisien venu à Marseille est en train de mettre en place un nouveau plan Leproux et veut liquider les clubs de supporters”, estimait alors auprès de Marsactu un membre influent des Yankee. Le mot est lâché et fait frémir les supporters. Le plan Leproux, du nom de l’ancien président du PSG qui après la mort d’un supporter a instauré une distribution de places aléatoires pour empêcher les regroupements, tandis que le ministère de l’Intérieur prononçait la dissolution des groupes de supporters. “Ce plan a déjà été réalisé par Labrune, cela a permis de savoir d’où venaient les places et de ne pas les laisser être commercialisées par quelqu’un d’autre”, juge Lionel Maltese.

Des sonorisations plus fortes que les chants

La gestion des abonnements puis l’exclusion des Yankee marquent deux caps dans la gestion des tribunes. Mais en toile de fond, les sujets de divergence sont multiples. Au rythme de résultats en dents de scie, les discussions se tendent. Depuis l’ère McCourt, la vision d’entrepreneur de Jacques-Henri Eyraud se heurte à celle des supporters. Il leur est par exemple demandé lors de chants hostiles, raconte RMC, de ne pas dire de noms mais le poste : “Entraîneur démission”.

Par ailleurs, le Vélodrome se dote de nouvelles enceintes sonores qui couvrent les chants des supporters avant les matches. À cela s’ajoute un spectacle de lumière qui prend là aussi le pas sur ce qu’il se passe en tribune. Finalement, le principal moment d’exposition des groupes se réduit aux célébrations des buts et aux tifos. Ces grands tableaux dessinés par des milliers de bouts de papiers tendus par les supporters gardent de leur superbe avec parfois des collaborations avec le club.

Très peu de clubs ont des discussions normales avec les supporters, c’est notamment dû à la surmédiatisation. Cela serait intéressant d’avoir des intermédiaires qui dialoguent avec eux”, estime Lionel Maltese. Fernand Bonaguidi rappelle de son côté que “lors du deuxième passage de Bernard Tapie au club en 2001 il a salarié un supporter. Ensuite c’est José Anigo qui assurait ce rôle”.

Les tensions entre la direction de l’OM et les supporters ne datent bien sûr pas de la présidence de Jacques-Henri Eyraud. Elles accompagnent aussi des évolutions dans le foot qui vont à l’encontre de la culture dite “ultra” portée par les supporters. L’interdiction des fumigènes en a été le meilleur symbole. Dans un reportage d’Arte en 2004 on voyait déjà le président de l’OM de l’époque, Christophe Bouchet, négocier avec les supporters, notamment Rachid Zeroual – leader des South Winners interpellé après les incidents à la Commanderie – sur leur usage passible d’amendes. “C’est contre le supporterisme, ils veulent qu’on disparaisse (…) ils veulent que les gens s’assoient comme au théâtre“, argumentait Zeroual. Une saison où le club était déjà en crise.

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Commentaires

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  1. Lucien LAURENT Lucien LAURENT

    Un prétexte pour des histoires de gros sous

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  2. Latécoère Latécoère

    Une précision utile: Ce “supporter” salarié par l’OM, c’est justement Rachid Zeroual, le leader des Winners dont on parle plus loin.
    Le magazine “Pieces à conviction” l’avait rencontré il y a quelques années. https://fb.watch/3Iy-PC5_LS/

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    • Laurent Malfettes_ Laurent Malfettes_

      Vidéo à na pas montrer aux investisseurs potentiels…

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  3. Opiniatre Opiniatre

    Tout cela pour 11 garçons qui courrent après un ballon…

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  4. Laurent Malfettes_ Laurent Malfettes_

    La fermeture temporaire du stade permet à l’Om d’échafauder ce genre de plan sans avoir à redouter des mouvements de foule dans les virages. On n’ose imaginer la reaction des supporters s’ils pouvaient assister aux matchs dans la situation actuelle. Il est évident que les évènements récents servent de prétexte pour (tenter de) mettre fin à un dispositif coûteux pour le club, en ce sens qu’il ne peut fixer librement le prix de la billetterie dans les virages, ou un siège rapporte deux à trois fois moins que dans les tribunes Jean Bouin ou Ganay. Pas sûr que ce soit un bon calcul. Si l’Om alignait ses prix sur Paris, par exemple, le prix de l’abonnement doublerait. Les supporters suivraient ils alors que l’équipe propose un spectacle assez médiocre ? L’Om se distingue jusqu’ici par une fréquentation du stade beaucoup plus élevée que la moyenne et risquerait aussi de se banaliser avec des affluences à moins de 40 000 spectateurs. Ce qui repose par ailleurs la question du coût d’un stade de 67 000 places finalement surdimensionné… L’équipe dirigeante lance donc la mère des batailles, sabre au clair. Ça passe ou ça casse. Les supporters seront matés, ou l’actuelle direction sombrera.

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    • Latécoère Latécoère

      Je ne pense pas que l’enjeu soit le prix des places en virage. Le stade est bien assez grand (trop peut-être) pour gagner de l’argent avec les tribunes. Avec le COVID tous les clubs de foot sont dans l’incertitude. Les études montrent que les jeunes se désintéressent du football et on ne sait pas si le public reviendra dans les stades. Le rôle singulier des clubs de supporters à Marseille est à double tranchant, la ferveur et la passion incite à venir au stade mais la violence peut être un frein. Quand il ne reste plus que des insultes et la violence cela devient un problème pour le club. Et il ne peut pas continuer à le laisser pourrir.

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    • Laurent Malfettes_ Laurent Malfettes_

      On ne deplore pas de sérieux problèmes de violence au Vélodrome, même s’il y a eu quelques bagarres à sa périphérie, tout cela est sous contrôle. La violence y est surtout verbale. Mais en cherchant à circonvenir les clubs de supporters, ou à les disperser dans l’ensemble des tribunes, on prend aussi le risque de rompre un équilibre précaire. Quant à la préoccupation mercantile, ne doutez pas un instant qu’elle est bien présente dans l’esprit de l’équipe dirigeante. L’abonnement en virage rapporte 170 euros, tandis que les abonnements les moins chers, à proximité immédiate des virages, se négocient autour de 400 euros, soit un anque à gagner (au moins théorique) de l’ordre de 4 à 5 millions par an. De quoi payer un vrai loyer à la Ville…

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