Enquête sur des soupçons de fraude à la Sécu au sein de la clinique de Marignane

Enquête
le 5 Mar 2018
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Un médecin a fait connaître à la justice une pratique interne susceptible de constituer une fraude à la Sécurité sociale. Un rapport remis à un juge d'instruction conforte et étaye ces soupçons. Marsactu a mené l'enquête.

La salle d
La salle d'angiographie de Marignane en 2014. Photo DR

La salle d'angiographie de Marignane en 2014. Photo DR

À la clinique de Marignane, on considère que c’est un sujet qu’il vaut mieux ne pas aborder. Du directeur de la clinique aux médecins en poste que nous avons contactés, personne ne souhaite répondre. Ce sujet lève pourtant le voile sur le fonctionnement des cliniques privées. Souvent perçues comme une seule entité, elles sont en fait constituées de plusieurs sociétés qui interagissent entre elles. Dans la plus parfaite opacité pour le patient.

Depuis plusieurs années, un ancien associé de la société de cardiologie qui exerce dans l’établissement marignanais s’est décidé à y dénoncer un système qui, pour lui, a tout d’une arnaque à la Sécu et à la TVA. Il explique que pendant des années, des radiologues dont la société est implantée au cœur de la clinique, ont déclaré auprès de la Sécurité sociale des actes, et notamment des angiographies, effectués par d’autres médecins, en l’occurrence des cardiologues. Ce qui est tout à fait interdit.

Certes, les deux catégories de spécialistes peuvent tout à fait pratiquer ces actes, souvent préalables à des interventions opérées par lesdits cardiologues. Mais seuls les radiologues bénéficiaient jusqu’en 2017 d’un bonus : un remboursement par la Sécu supérieur de 21,8 % à celui versé pour le même acte effectué par un autre médecin.

Depuis 2011, le médecin frondeur a tout fait pour essayer de mettre fin à ce système. En interne d’abord, puis en externe, tout en subissant les foudres de ses associés qui l’ont écarté de la société. Impossible de cohabiter dans ces conditions avec celui qui dénonce leurs pratiques, avaient-ils jugés. Un arbitrage privé puis la justice à qui l’on demandait en référé la suspension de celui-ci sont venus dire qu’ils pouvaient à bon droit exclure l’un des leurs. “Ce que dit ce docteur n’a pas de sens, c’est un non-sujet, répond pour la société de cardiologie l’avocat Christian Lestournelle. Vous imaginez bien que depuis toutes ces années, il a déposé toutes les plaintes administratives, pénales, fiscales possibles. Jamais personne n’a pris au sérieux ce qui a été dit.”

L’enquête de la justice renforce les soupçons d’escroquerie

Parmi ces démarches engagées par le lanceur d’alerte (1) existe une plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction. La procédure a pour effet de désigner un juge  moyennant le versement d’une somme d’argent – 6000 euros en l’occurrence – appelée consignation et destinée à prévenir les plaintes abusives. À l’arrivée, c’est le juge d’instruction Pierre Philippon qui a hérité du dossier. Il pourra pour ce faire s’appuyer sur les conclusions de la direction régionale du service médical.

Selon nos informations, ce service qui a notamment pour vocation “de veiller à la juste attribution des prestations” de santé s’est en effet penché de très près sur le dossier. A la demande de la justice, il s’est déplacé en avril 2017 à la clinique de Marignane et a prélevé un échantillon de 195 actes d’imagerie pratiqués au sein de la clinique. Il y a fait des découvertes surprenantes. Ainsi, les comptes-rendus ne sont jamais rédigés par les radiologues censés avoir été présents. Sur certains actes déclarés par des radiologues, le radiologue indiqué comme ayant pratiqué l’imagerie n’est pas celui qui signe ledit document. Comme si les acteurs de ce système s’étaient emmêlés les pinceaux. A l’arrivée, “une escroquerie” consistant à “la facturation de soins fictifs”, des pratiques visées par le code de la sécurité sociale, pourraient leur être reprochés.

“Des actes fictifs”

En réalité, selon les différents éléments dont Marsactu a pris connaissance, ce système semble avoir servi aux cardiologues à rémunérer les radiologues pour l’utilisation de la salle d’imagerie. D’un côté, la société de cardiologie ne verse pas de redevance à ses confrères. De l’autre, la société de radiologie encaisse des remboursements alors qu’il n’avait pas pratiqué l’acte. Le tout sur le dos de la Sécurité sociale.

Ce système semble avoir perduré jusqu’à l’année 2013, date à laquelle l’entreprise des radiologues, Imagerie médicale de Marignane (IMM) et celle des cardiologues, l’Institut méditerranéen cœur et vaisseaux (IMCV) ont revu les termes de leur accord. À l’époque, l’alerte a déjà été donnée. Pour procéder à “une nouvelle répartition des honoraires”, les associés dressent dans ce document l’état des lieux de leurs relations. Sa lecture est édifiante : “Le chiffre d’affaires moyen généré par [les radiologues] IMM consécutivement aux actes réalisés par [les cardiologues] IMCV [représente] une moyenne de 637 313 euros par an”, expliquent les signataires. Ce faisant, IMM semble admettre déclarer des actes qu’il ne réalise pas. Ces radiologues admettent aussi dans le même document que précédemment, ils rétrocédaient “10 %” des honoraires ainsi perçus aux cardiologues d’IMCV. Un procédé, proscrit par le code de déontologie médicale dont on peut se demander à quel titre il était effectué si les radiologues réalisaient eux-mêmes les angiographies et autres coronarographies déclarées…

En revanche, ce contrat ne précise pas s’ils appliquaient les 21,8 % de majoration prévus (jusqu’en 2017) par l’Assurance maladie en cas de réalisation des actes par un radiologue. Pour un acte complexe d’une valeur de 400 euros, ce sont ainsi 85 euros supplémentaires qui sont perçus. Quand on sait que plus d’un millier d’actes par an peuvent être concernés par ce phénomène de majoration, la facture peut vite grimper ! L’usage de ce remboursement supplémentaire, dit modificateur Z, est clairement explicité par l’Assurance maladie dans ses recommandations aux médecins.

Une surfacturation à la Sécu ?

Selon le médecin lanceur d’alerte, c’était le cas jusqu’en 2013. Sur la période 2014-2015, la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) des Bouches-du-Rhône ne l’a, selon nos informations pas retrouvé dans ses facturations après avoir elle aussi lancé un contrôle sur demande de la justice. Sur cette période, en l’absence de ce modificateur Z, la somme versée par l’Assurance maladie a correspondu au tarif normal. Si la facturation d’un médecin pour le compte d’un autre est tout à fait illicite, elle n’aurait donc à ses yeux pas entraîné de préjudice.

Reste que la CPAM pourrait être amenée à regarder les années précédentes puisque la prescription est de cinq ans. Avec une ouverture de l’information judiciaire en 2016, ce délai pourrait donc lui permettre d’examiner les dossiers médicaux jusqu’en 2011… et pouvoir clarifier l’utilisation ou non de ce Z si lucratif. Or, selon nos informations, ce Z qui veut dire zeste d’argent en plus a été facturé fréquemment jusqu’à la fin 2012.

En sus, une possible fraude fiscale

Mais, modificateur Z ou non, les sociétés de la clinique de Marignane pourraient avoir d’autres ennuis. Selon les éléments que nous avons pu recueillir, la Direccte, service de l’État qui inclut notamment la répression des fraudes est en train de se pencher sur ce dossier.

Des considérations fiscales semblent aussi devoir entrer en jeu, comme l’indiquent plusieurs sources proches du dossier puisque ce montage a sans doute permis une arnaque à la TVA. Dans un fonctionnement normal, la règle aurait en effet voulu que la société de radiologie propriétaire de la salle d’imagerie facture aux cardiologues l’utilisation de cette salle aménagée. Or, cette prestation donne lieu à paiement de la TVA à hauteur de 20 %. En revanche, avec le système où c’est la société de radiologie elle-même qui déclare les actes, elle se paie directement sur le remboursement de la Sécu et n’a donc plus lieu de demander une redevance aux cardiologues. À ce jeu là, la TVA disparaît. Ce qui pourrait donc constituer une fraude fiscale.

L’information judiciaire pourrait donc se baser aussi sur les travaux des autres services de l’État. D’ores et déjà, les éléments relevés semblent pouvoir revêtir d’autres qualificatifs comme celui de faux et usage de faux, si tant est que la justice décide d’accélérer dans cette affaire. Dans cette hypothèse, les médecins de Marignane ne vont plus pouvoir se contenter longtemps de la stratégie du silence radio.

(1) Ce titre lui a été reconnu par le Défenseur des droits.

Cette affaire fait aussi l’objet d’un autre article de presse, publié sur le site d’investigation Le Lanceur.


La clinique générale de Marignane en la personne de son directeur Frédéric Reig nous fait parvenir le droit de réponse suivant : 

Dans un article publié sur votre site internet le 5 mars 2018, intitulé “enquête sur des soupçons de fraude à la sécu au sein de la clinique de Marignane”, vous portez atteinte à l’honneur et à la réputation de notre établissement.

À titre de droit de réponse, nous vous demandons de publier le présent courrier dans son intégralité, et ce dans le respect de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004.

En premier lieu, vous avez titré votre article sur des soupçons de fraude au sein de notre établissement. Dans la foulée vous évoquez une “pratique interne susceptible de constituer une fraude à la sécurité sociale. Par une telle entame, vous faites croire d’emblée à vos lecteurs que notre clinique aurait participé à la commission de graves infractions pénales ayant consisté à facturer des actes médicaux dans des conditions frauduleuses au détriment de la Sécurité sociale et du Trésor public. Bien que vous ayez compris que les actes concernés émanaient de l’activité libérale de médecins cardiologues et radiologues exerçant dans des locaux que nous mettons à leur disposition, au travers de leurs sociétés d’exercice, vous avez néanmoins créé de toutes les conditions permettant à un amalgame d’être fait. Ce manque de rigueur a pour effet de porter atteinte à notre intégrité.

Outre le fait qu’elle est totalement erronée, cette présentation appelle plusieurs commentaires de notre part : nous ne sommes absolument pas concernés par les faits que vous visez. Comme votre journaliste l’a pourtant constaté, les faits litigieux ne portent que sur la facturation directe de leurs actes par des sociétés de médecins libéraux, sans implication de notre clinique. Aucune des infractions dénoncées, à les supposer avérées, n’a pu profiter, même indirectement, à notre clinique. Nous n’avons à ce jour été contactés ni par les services de police, ni par un juge d’instruction, ne serait-ce qu’en qualité de témoins. En conclusion, nous n’avons strictement aucune implication dans le litige que vous évoquez.

Il est donc anormal sur le plan journalistique -et diffamatoire sur le plan juridique – que votre article puisse laisser penser le contraire à vos lecteurs.

D’autre part, l’atteinte subie par notre établissement et d’autant plus grave que votre présentation inexacte et trompeuse est exprimée dans le titre et le chapeau de votre article, de sorte que même ceux de vos lecteurs qui ne le liront pas la totalité retiendront la possible participation de notre clinique à une fraude.

Vous avez illustré votre article diffamatoire par une photographie de la devanture de la clinique générale de Marignane. Par conséquent, nous vous mettons en demeure, au-delà du présent droit de réponse, de supprimer la photographie litigieuse et de la remplacer par toute illustration qui ne vise pas directement notre clinique.

Enfin, nous vous précisions que, si à l’époque nous n’avons pas souhaité répondre aux interrogations de votre journaliste, c’est en raison de l’absence totale de lien entre l’affaire et notre établissement. Nous ne pouvions alors soupçonner que vous nous y mêleriez de manière aussi injustifiée. Je vous précise aussi que lorsqu’une instruction pénale est en cours, nous préférons laisser la justice faire son travail plutôt que de nous répandre dans la presse. Tous ces faits conjugués auraient donc dû amener votre journaliste à rédiger son article avec davantage de rigueur et de prudence, à tout le moins en ce qui concerne l’implication injustifiée de notre établissement. Nous sommes persuadés que vous y veillerez à l’avenir.

Note de la rédaction :

Nous maintenons cependant l’intégralité des informations relatées dans notre article. À ce stade, rien ne met en cause la responsabilité de la société qui gère cette clinique et de ses dirigeants dans la fraude soupçonnée. Tout lecteur attentif de notre article l’aura compris. En revanche, il est tout à fait logique d’indiquer que les faits relatés, dont la justice est saisie, ont bien eu lieu au sein de cette clinique puisque les sociétés de cardiologie et d’imagerie médicale mises en cause sont installées dans les locaux de la clinique.

Comme il a l’honnêteté de le signaler, nous avions évidemment sollicité le directeur de la clinique de Marignane pour connaître son regard sur cette affaire plusieurs jours avant la publication de notre article. Il avait alors choisi de ne pas nous répondre.

 

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Commentaires

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  1. Court-Jus Court-Jus

    5 ans, c’est quand même très court pour la prescription de ce type de fraude. On constate au final que c’est le temps qu’il a fallu au médecin intègre pour tenter toutes les démarches en allant crescendo, pour finalement trouver celle qui va peut-être aboutir. J’imagine que l’objectif de cette prescription est d’éviter d’engorger la justice avec de vieux dossiers sur lesquels on a du mal à rassembler des preuves, mais dans ce cas il faut qu’on trouve une solution pour faciliter les démarches : tout est fait pour que fermer les yeux soit plus commode …

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  2. petitvelo petitvelo

    “Mais seuls les radiologues bénéficiaient jusqu’en 2017 d’un bonus : un remboursement par la Sécu supérieur de 21,8 % à celui versé pour le même acte effectué par un autre médecin.”
    Quel tortueux marchandage a pu mener à une telle sur-prime ? Une autorisation des radiologues à laisser leurs confrères pratiquer “la médecine radiologique” en échange d’une compensation de revenu ?

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