Enquête ouverte après des plaintes pour agression sexuelle et viol au conservatoire
Étudiante d'une classe de chant lyrique, une trentenaire a déposé deux plaintes contre l'une de ses professeures du conservatoire marseillais. L'une pour agression sexuelle, la seconde pour viol. Le parquet de Marseille confirme à Marsactu l'ouverture d'une enquête.
Le conservatoire de Marseille, place Carli. (Photo : Google maps)
“Elle m’a brisée.” Cheveux longs et regard caché derrière d’immenses verres fumés, la jeune femme déroule ce qu’elle qualifie elle-même “d’histoire d’emprise”. Étudiante du conservatoire à rayonnement régional Pierre Barbizet de Marseille depuis octobre 2019, elle dit avoir été abusée par une enseignante de chant lyrique. Des faits présumés de harcèlement moral, agression sexuelle et viol – révélés par un article de La Lettre du musicien – qu’elle détaille dans deux plaintes que nous avons consultées. La procureure de la République de Marseille confirme à Marsactu qu’une enquête a été ouverte par le parquet.
Assise à une terrasse de café, Ambre (*), 31 ans, de nationalité tunisienne, retrace ces derniers mois. “Un film d’horreur”, dit-elle, manifestement éprouvée. Elle explique avoir rencontré sa future enseignante de chant lors d’un stage durant l’été 2019. Ambre est alors instrumentiste au sein de l’orchestre national tunisien : “Cette femme est impressionnante. Physiquement, parce qu’elle est grande et imposante. Mais aussi en termes de charisme : elle parle bien, elle fait de belles phrases. Elle trouve que je chante bien et me demande de candidater pour intégrer sa classe de chant à Marseille”. Ambre obtient le concours et fait sa rentrée au conservatoire marseillais en octobre 2019.
“Ta peau sent bon”
Au gré des semaines, au début de l’année 2020, l’élève parle de gestes et de paroles déplacés : “des regards sur mes seins, des commentaires sur mon corps, des caresses sur les épaules, des « ta peau sent bon »…”, égrène la jeune femme. Puis, une fois, durant un exercice sur le souffle, une main qui “remonte vers mes seins” tandis que l’autre “descend au niveau de mon pubis, puis touche mon sexe.” Jointe au téléphone par Marsactu, l’enseignante balaye cette version : “Je ne l’ai pas arrachée à la Tunisie, comme elle le laisse entendre. C’est elle qui a minaudé pour rentrer dans ma classe. Je ne l’ai jamais touchée comme ça et je ne touche jamais un élève sans avoir demandé l’autorisation au préalable !”
Mon amour, tout mon être te réclame!!! Sais-tu à quel point je t’aime… j’aimerais (…) pouvoir te faire l’amour debout, coucher assise
Un sms envoyé par l’enseignante
“L’emprise qu’exerçait cette enseignante était évidente, c’est quelque chose que je peux attester”, synthétise pourtant Bruno (*) petit-ami d’Ambre à l’époque, contacté par téléphone. L’aspirante chanteuse relate de nombreux coups de fils et envois de messages quotidiens.“Elle disait tout le temps qu’elle était comme ma deuxième maman, qu’elle voulait me protéger. En fait elle m’isolait, m’interdisait de voir certaines personnes”, assure la jeune femme. Des SMS parfois explicites : “Mon amour, tout mon être te réclame!!! Sais-tu à quel point je t’aime… sais-tu à quel point j’aimerais être ds le corps [de Bruno] pour pouvoir être avec toi du matin jusqu’au soir, te faire l’amour debout, coucher assise dans tous les pièces d’un appart, contre un mur… (…) je suis follement amoureuse”. À l’époque, Ambre dit avoir reçu des excuses de sa professeure : “Elle m’a expliqué que c’était une erreur, qu’elle avait bu. Je l’ai crue.”
Un soir que Bruno cuisine en utilisant le téléphone de sa compagne comme minuteur, un message “Je t’aime mon amour” arrive sur celui-ci. “J’ai appelé [la professeure] je lui ai dit que cela dépassait les bornes. C’était malsain.” L’étudiante a également versé au dossier un enregistrement contenant des propos à caractère sexuel. Ce document sonore comme les messages ont été authentifiés par un huissier de justice, dont Marsactu a consulté le rapport. De son côté, l’enseignante affirme que ces messages et enregistrement sont “des faux”.
“Affabulations”
En février 2020, l’étudiante, “stressée” par le comportement de son enseignante, a pris du retard, cette dernière lui propose de rattraper le temps de cours particulier dans son appartement à Paris. Là, explique Ambre, la professeure de chant l’aurait violée dans sa salle de bains, après l’avoir giflée. Là encore, l’enseignante incriminée martèle qu’il s’agit “d’affabulations” : “Je l’aurais violée et puis elle serait restée dans mon cours pendant les deux ans qui ont suivi ?”
Je l’aurais violée et puis elle serait restée dans mon cours pendant les deux ans qui ont suivi ?”
La professeure
Elle assure à Marsactu vouloir à son tour “déposer plainte pour diffamation et calomnie”. Pour elle, Ambre “est une manipulatrice” qui a échafaudé “une stratégie et des mensonges pour se venger” : “Comme ça, elle reprend pour une année au conservatoire, cela lui assure des papiers pour rester ici. En France, les étrangers ils ont droit à plein de choses, des allocations par exemple, alors qu’en Tunisie, rien du tout !”
L’enseignante suspendue puis réintégrée
“Des profs pervers et qui vous poussent dans vos retranchements, il y en a partout. Là ce n’est pas ça, ça dépasse toutes les limites de ce que j’ai vécu”, souffle Ambre, qui pleure souvent durant l’entretien. Elle explique son silence, souvent commun aux victimes de viol ou d’agression, “par le fait d’être restée bloquée dans la honte” et décrit les séquelles “du traumatisme” avec lesquelles elle vit au quotidien. “Évanouissements, arythmie cardiaque, perte de mémoire, peur de sortir…” La trentenaire déclare avoir cherché à mettre fin à ses jours à deux reprises, ce que confirme l’un de ses enseignants. “Je la connais depuis octobre 2022. J’ai constaté plusieurs absences appuyées par les certificats d’un psychiatre. Je ne comprenais pas, je m’en suis inquiété, nous avons parlé. Elle m’a montré des captures d’écran”, rembobine-t-il. “Vu l’état dans lequel je l’ai vue, je ne doute pas un instant de ce qu’elle dit”.
Le 29 mai 2023, il seconde donc Ambre dans sa démarche. “Nous sommes allés alerter la direction du conservatoire”, reprend ce professeur. Dans un premier temps seul le harcèlement moral et l’agression sexuelle sont rapportés. Le 7 juin, Ambre dépose plainte pour ces faits dans un commissariat marseillais. Le 14 juin, comme le confirme le parquet à Marsactu, le conservatoire saisit les services de la procureure de la République de Marseille. Huit jours auparavant, le 6 juin, l’enseignante a été suspendue à titre provisoire. Puis du 20 juin au 10 juillet une enquête administrative interne est menée au sein du conservatoire. “Celle-ci n’ayant pas pu établir des conclusions avec certitude, l’agent a dû être réintégré dans ses fonctions”, précise une communication du conservatoire envoyée aux élèves comme aux professeurs le 27 septembre dernier. Dans les faits la professeure n’a pas repris, elle est annoncée absente pour raisons de santé jusqu’au 19 octobre. Entre-temps, le 22 septembre 2023, Ambre secondée par son avocat a déposé une nouvelle plainte, pour viol cette fois.
“Une priorité”
“Cette affaire est une priorité pour nous”, cadre Raphaël Imbert. Jusqu’au 30 septembre, le musicien de jazz était directeur du seul conservatoire, et depuis le 1ᵉʳ octobre il occupe la fonction de directeur général de l’Institut national supérieur d’enseignement artistique Marseille Méditerranée (INSEAMM) qui chapeaute les Beaux-arts de Marseille et le conservatoire. “Nous avons fait notre travail et nous n’avons pas attendu le retour de l’enquête administrative pour saisir la procureure”, indique le directeur qui affirme que la direction de l’établissement n’a eu connaissance officielle de la deuxième plainte qu’avec la publication de l’article de la Lettre du musicien, jeudi 5 octobre.
Ambre comme ses soutiens déplorent que le rapport de l’enquête administrative interne ne lui ait pas été transmis et qu’aucune sanction disciplinaire n’ait été prise. “Ce rapport va être transmis, quand il sera accessible, aux personnes habilitées. Par ailleurs, dans ce type d’affaire, dans le cadre d’une enquête administrative, s’il n’y a pas d’aveu, ou de témoignages directs permettant de dépasser une situation contradictoire, on ne peut pas tirer de conclusions ni entamer de procédure disciplinaire donc prendre de sanction”, répond la direction qui rappelle qu’elle n’a pas vocation “à se substituer à la police et à la justice.”
Libération de la parole
Il a fallu qu’elle insiste pour que le conservatoire prenne la mesure. Si elle ne s’était pas bougée, les faits seraient passés sous le tapis.
Un enseignant
Dans sa première plainte, l’élève assure que “tout le monde sait le comportement de madame [nom de l’enseignante] avec ses élèves mais personne n’a osé le dévoiler à part moi aujourd’hui”. Ce que corrobore partiellement un second enseignant, sollicité par Marsactu. “Ce sont des on-dits, car il est évident que je ne suis pas dans la classe de chant en même temps que cette enseignante et ses étudiants. Mais j’ai déjà entendu parler du fait que des anciens élèves se plaignaient de son comportement, que d’autres étaient terrorisés. Un cours de chant lyrique se fait en autarcie et c’est souvent très maternel… dans le mauvais sens du terme.” Il pointe également le nombre important d’élèves qui auraient quitté la classe de cette enseignante pour un autre cours.
Lui non plus ne doute pas de la version de la jeune femme et s’inquiète en revanche d’une institution dont il pointe une réaction insuffisante à ses yeux. “Dans un conservatoire, on ne peut pas se contenter de dire “c’est parole contre parole” et de rester les bras ballants. Ambre a commencé par envoyer un mail à un professeur qui est resté sans réponse”, regrette-t-il. “Et il a fallu qu’elle insiste pour que le conservatoire prenne la mesure. Si elle ne s’était pas bougée, les faits seraient passés sous le tapis ou alors, elle se serait suicidée dans un coin.”
À la rentrée, la direction a offert à Ambre de changer de classe de chant. Ce qu’elle a accepté. L’étudiante veut continuer à fréquenter l’école de musique marseillaise, pour y poursuivre son cursus. Elle espère, en outre, que son témoignage contribuera à “la libération de la parole” d’éventuelles autres victimes. D’ici là, tous – l’élève, la professeure, comme la direction du conservatoire – attendent que l’enquête diligentée entre rapidement dans le vif du sujet.
(*) Les prénoms ont été modifiés et sont les mêmes que ceux qui apparaissent dans La Lettre du musicien
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Les bisous de la Castafiore.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Alors :
1. On croit les victimes, toujours.
2. La ligne de défense de la professeure (“… cela lui assure des papiers pour rester ici. En France, les étrangers ils ont droit à plein de choses…”) ne plaide vraiment pas en sa faveur.
3. Les administrations des établissements ou entreprises où se passent de tels faits ont vraiment du mal à se porter au côté des victimes et à les assister. Ce n’est pas normal.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Regardez la fille qu on appelle sur Arte !
Se connecter pour écrire un commentaire.