[En quête de Castors] Le dernier bâtisseur des Aygalades
Dans le Nord de Marseille, de curieuses maisons réunies en lotissement portent le nom d'un rongeur. Castors des Aygalades ou du Merlan, ils sont les derniers témoins d'un formidable mouvement d'auto-construction, né après-guerre. Pour cette dernière série d'été, Marsactu remonte le cours de cette histoire. Dans cet épisode, rencontre avec un témoin historique.
Claude Perroux, un des derniers témoins de l'expérience des Castors à Marseille, ici dans sa maison de retraite. (Photo : BG)
Il est de ces vies qui une fois déployées en récit deviennent mille. Celle de Claude Perroux en fait partie. À 96 ans, il est, dit-il en riant, “le dernier des Mohicans”, le dernier Castor des Aygalades. Claude Perroux est un des bâtisseurs de la Germaine, l’un des lotissements construits par ceux qui y habitent selon les principes de l’auto-construction coopérative. Certaines épouses de Castors sont toujours vivantes, mais ses compagnons de labeur ne sont plus de ce monde.
Claude Perroux n’est pas un Castor comme les autres. Il pourrait sans problème être qualifié de super-Castor. Après le chantier de la Germaine, il a suivi le chantier voisin de Servières puis celui du Merlan, d’Isabella à Septèmes-les-Vallons… “En tout, j’ai suivi 1041 logements”, décompte-t-il depuis “la maison de vieillesse”, où il a pris ses quartiers.
Castor singulier
Si Claude Perroud est un Castor singulier, c’est qu’il a très vite cumulé un emploi permanent au sein de la société coopérative “à capital et à personnel variable”, en tant que comptable, avec le travail sur le chantier. Il a également pu garder un regard sur l’aventure d’auto-construction en entrant à la banque Bonnasse, dirigée par Léon et Eugène Bonnasse, descendants d’une des grandes familles de négociants des XIX et XXe siècles.
Militants démocrates-chrétiens, André et Léon Bonnasse soutiennent le mouvement des squatteurs et, par la suite, apportent un appui financier aux aventures de l’auto-construction à Marseille en assurant notamment un découvert permanent aux sociétés coopératives. Depuis ces rôles endossés tour à tour, Claude Perroux a donc un regard transversal sur cette aventure d’auto-construction et la multiplicité de ses formes, à Marseille, durant les années 50.
De la Résistance à l’Indochine
Mais, avant même de prendre pelle et pioche sur le chantier de la Germaine, Claude Perroux avait déjà fait une première traversée de l’Histoire. Originaire de Lyon et fils d’une gueule cassée de la Grande guerre, il s’engage dans la Résistance à 16 ans et demi. “Vu mon jeune âge, j’étais un simple supplétif. Je ne portais pas d’armes, mais servais aux transmissions en passant par les traboules”. Une fois la ville libérée, il s’engage avec l’armée de De Lattre de Tassigny. “J’ai fait la campagne d’Allemagne et libéré Dachau. J’ai encore en mémoire l’image de ces prisonniers dans un état déplorable”. Comme il doit trois ans à l’armée, il participe aux campagnes de déminage puis part pour l’Indochine. C’est de là qu’il débarque à Marseille en décembre 1948.
“Je bénéficiais d’un congé de fin de campagne, mais il me fallait trouver du travail. Je me postais chaque jour à l’angle de la Canebière et du cours Belsunce où ça grouillait de monde. Et je trouvais une embauche pour la journée. De quoi me payer une flûte et un peu de chocolat”. L’Armée du Salut, où il loge dans un dortoir de cinq, lui assure un repas deux fois par jour, “et du consistant”.
On avait un besoin d’expansion. Les logements n’étaient pas foison et les moyens n’ont plus.
Claude Perroux multiplie les travaux de force, comme docker, payé à la tâche. “J’ai un peu progressé en obtenant le statut de portefaix, ce qui m’assurait une demi-paie, les jours où je n’embauchais pas”. Il accumule les métiers, sur le port, aux abattoirs, dans les transports. Un jour de débarquement du navire Ville d’Alger, il fait la connaissance de son futur beau-frère, qui lui propose de loger dans une bâtisse en fond de jardin. Il y rencontre celle qu’il deviendra son épouse : “On s’est fréquentés pendant trois mois avant le mariage”. Il grimpe dans la hiérarchie et consolide l’économie du ménage tout en peinant à trouver un toit.
Il vit avec ses beaux-parents, dans une petite bâtisse près de la Viste, au bout de la vallée des Aygalades. “Mais on avait un besoin d’expansion. Les logements n’étaient pas foison et les moyens n’ont plus.” C’est par une amie de sa femme qu’il a vent des Castors. Il intègre aussitôt l’aventure, en 1953.
“Je suis un de ceux qui ont eu à fourcher du ballast”, raconte-t-il. À l’époque, le port puis la Ville remplacent par du goudron les pavés inégaux qu’on dit venus des quatre coins du monde dans le ventre des navires. “Nous, on récupérait les pavés pour faire nos allées et réaliser les fondations en économisant du ciment”. Très rapidement, il est affecté à la “pondeuse”, le surnom de la machine qui permet de réaliser des parpaings. Avec l’équipe qu’il dirige, ils en produiront plus de 200 000.
“Au bureau et aux parpaings”
Jo Chabert dit “cha-cha” lui consacre de nombreux passages dans son ouvrage “Les Castors des Aygalades”, paru en 2003 au moment des 50 ans de la naissance du lotissement :
“Claude était un jeune, grand et sec, très cultivé, mais qui était dur au travail et ne rechignait
devant rien. Il s’est mis à fond dans cette aventure “Castors“. (…) On pourrait lui attribuer ce proverbe comme l’on disait pour un boulanger très actif ” il était au four et au moulin”. On pouvait dire de lui “il était au bureau et aux parpaings” et bien d’autres tâches, suivant le déroulement du chantier, toujours disponible et inlassable au travail.”
Pour Jo Chabert, Claude Perroux devient très vite le second personnage du chantier de la Germaine. Le premier est sans nul doute, Robert Jeannin. Ce prêtre ouvrier était vicaire de la paroisse des Aygalades. Aixois d’origine, il est celui qui a initié l’esprit Castor dans le mouvement ouvrier de l’époque. On le trouve les deux mains dans le ciment à la Pelouque, à Saint-Henri, puis quelques mois plus tard à la Germaine, aux Aygalades. C’est par lui que François Bart, l’architecte des Castors, prend langue avec la propriétaire de la campagne Vita pour acquérir les terrains de la Germaine puis de Servières. C’est lui encore qui fournit à Bart les plans des Castors de Pessac, près de Toulouse qui serviront de modèle.
“Dès que je pouvais, je sautais à l’arrière de sa moto et on partait avec Robert pour faire du social”, sourit Claude Perroux, qui se souvient avec émotion de la dureté des conditions de vie que connaissait le petit peuple, alors. Le prêtre finira par jeter sa soutane pour épouser une coiffeuse avant d’être emporté “par le cancer du fumeur”. Le comptable des Castors restera jusqu’au bout proche de lui.
Lui ne chôme pas. En plus de son boulot de comptable qui suit la vie de la société coopérative, réalise les fiches de paie des 16 cadres et tâcherons, il donne comme les autres ses heures de week-ends et jours de congés sur le chantier. “On a eu très peu de défections, explique-t-il encore. Deux camarades sont morts et on a construit leur maison pour loger les veuves.”
D’un chantier à l’autre
S’ajoutent à cela les coups de main donnés aux autres aventures d’auto-construction. Claude Perroux est toujours là pour apporter de précieux conseils pour la marche à suivre dans la gestion des fournisseurs et la liaison avec les financeurs. Comme au projet de Castors de la SNCF ou de la police qui pousse à Saint-Jérôme.
“Il s’agissait d’employés de la même société qui unissaient leurs efforts pour résoudre leur problème de logements, explique-t-il. Pour les policiers, ce n’était pas simple : ils n’étaient que 60, mais un tiers étaient de permanence le week-end, ce qui limitait leur participation”.
En 1957, Claude Perroux aménage avec sa femme et sa fille dans sa maison. S’il suit durant plusieurs années encore l’aventure des autres Castors, son ascension professionnelle se poursuit avec des diplômes successifs, acquis en cours du soir. La famille finit par quitter la Germaine pour Allauch dans les années 70, tournant la page des Castors, sans jamais l’oublier.
Commentaires
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Série passionnante, comme tant … et qui me laisse avec des questions (plutôt stimulant, en fait !-). Je suis née et j’ai grandi dans une ‘villa’ construite par mes parents et un couple d’amis, au Coin-Joli, dans le 9ème arrondissement.
Mon père Siméon (Sim) et son ‘collègue’ Félix étaient peseurs-jurés (concours 1937) et, après les tribulations de la guerre, se sont associés pour acquérir un terrain 16 avenue des Bleuets (1000 m2) ; un peseur du même concours (Georges) vivait avec sa famille 19 avenue des Mimosas – les 2 parcelles se touchaient par un angle. J’ai vu des photos, entendu des récits de cette ‘construction” – mais je ne sais pas tout, et je tâcherai peut-être de combler ces ‘trous’ en regagnant Marseille, pour y passer ma retraite en 2023 …
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… Je garde en mémoire les bribes, et le mot-clé ‘en castors’. Selon les rentrées d’argent, les deux couples achetaient les matériaux, et venaient bâtir, semaine après semaine : Annie (l’épouse de Félix) et Léone (celle de Sim) étaient les manoeuvres sur ce chantier. Parfois, deux ou trois des ‘ouvriers’ de l’atelier des bascules étaient embauchés à la journée, pour avancer un peu plus vite. Le terrain était en pente, donc un grand garage-atelier semi-enterré, au rez-de-chaussée l’appartement de Félix et Annie (cuisine, grand séjour avec cheminée, les chambres des 2 enfants, celle des parents, WC , salle de bains), au premier étage l’appartement de Sim et Léone (cuisine, séjour avec cheminée, 3 chambres, WC, salle de bains) à disposition semi-inversée = entrée & cuisine de l’étage au-dessus de la ‘chambre parentale’ du rez-de-chaussée, ‘chambre parentale’ de l’étage au-dessus de l’entrée & cuisine du ‘rez-de-chaussée, les ‘séjours’ chacun avec balcon, les cheminées et les sanitaires étaient superposés.
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Je ne sais même pas quand l’aventure a commencé, sûrement après 1952. La parcelle d’en face (19 ? avenue des Bleuets) fut achetée par un entrepreneur en maçonnerie, dont la villa fut achevée très vite dans les règles de l’art . Les deux peseurs, parvenus aux appuis de fenêtres du premier étage, chargèrent leur nouveau voisin de terminer leur demeure (toiture, carrelage, finitions) et utilisèrent le garage-atelier pour la menuiserie (placards de cuisines, volets, meubles divers …). Annie s’occupait de sa fille et de son fils (qui poussaient), Léone n’était plus ‘comédienne amateur’ mais animatrice, puis productrice de radio (RMC Marseille, RTF Marseille-Provence, parfois en ‘tournée’ ou en ‘reportages’), elles étaient donc moins disponibles pour le ‘chantier’.
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