En pleine trêve hivernale, des familles menacées d’expulsion dans le centre de Marseille

Reportage
le 9 Fév 2021
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En pleine trêve hivernale et crise sanitaire, un jugement en référé a ordonné l'expulsion d'un squat situé place Sadi-Carnot où vivent une trentaine de personnes dont onze enfants, demandeurs d'asile pour la plupart.

Le 1 place Sadi-Carnot est squatté depuis le début du confinement. (Photo AJ)
Le 1 place Sadi-Carnot est squatté depuis le début du confinement. (Photo AJ)

Le 1 place Sadi-Carnot est squatté depuis le début du confinement. (Photo AJ)

À quelques centaines de mètres de l’hémicycle Bargemon, où la majorité faisait valoir lundi sa volonté “d’accompagner les réfugiés pour leur permettre de vivre dignement” lors du conseil municipal, au numéro 1 de la place Sadi-Carnot, une autre réalité se fait jour. Le tribunal judiciaire de Marseille a demandé le 28 janvier l’expulsion sans délais d’un immeuble occupé depuis le premier confinement. Ils sont une trentaine de personnes à vivre là dont onze enfants, pour la majorité demandeurs d’asile, à vivre désormais dans la crainte de se retrouver à la rue.

C’est un grand immeuble haussmannien doté d’une lourde porte d’entrée de bois brun et d’un ascenseur qui ne marche pas : jusqu’ici, rien ne le distingue de ses voisins de la rue de la République. À mesure qu’on monte les étages, apparaissent des portes, blindées ou non, sur lesquelles on a scotché des enveloppes, des factures ou des attestations d’assurance avec les noms et prénoms des nouveaux habitants. L’immeuble est devenu un squat.

Tous les recours ont été épuisés

Le bâtiment, propriété du gérant d’actifs immobiliers Primonial Reim et géré par la société Oiko [qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations], doit faire l’objet de travaux. L’ordonnance en référé que Marsactu a pu consulter a condamné les familles à évacuer l’immeuble sans prise en compte de la trêve hivernale, ni de la situation sanitaire. Depuis la loi sur le logement ELAN de 2018, la trêve hivernale n’est plus un motif pour accorder un délai aux squatteurs expulsés. Tous les recours suspensifs des nouveaux occupants et des associations qui les accompagnent ont été épuisés. Et la juge qui signe l’arrêté du 28 janvier n’a souhaité prendre en compte aucun élément du contexte particulier du moment.

Sollicitée, la préfecture, qui a la responsabilité des demandeurs d’asile, tempère. Ses services rappellent l’existence d’un délai de deux mois avant de valider le concours de la force publique pour procéder à une expulsion. “Ce délai permet de diligenter une enquête sociale et de rédiger un rapport de police afin de vérifier et préciser l’exactitude de la situation. Elle assure que “les services de l’État s’attachent systématiquement à rechercher des solutions d’hébergement et de relogements pour les personnes évacuées”.

Seulement, les solutions proposées sont rarement pérennes pour les personnes expulsées. Depuis le jugement, au 1, place Sadi-Carnot, les habitants angoissent de voir débarquer les forces de l’ordre, chargées d’expulser les familles, leur laissant pour seules alternatives des hôtels temporaires, jugés insalubres ou la rue. “J’ai tellement peur de partir d’ici, je ne veux pas retourner à la Madrague [l’unité d’hébergement d’urgence de la Ville, ndlr] où j’étais avant : c’était sale et les gens étaient violents“, souffle Lassim, jeune Guinéen de 20 ans en pleine procédure de demande d’asile.

Sur une porte d’entrée d’un des logements occupés, le message suivant: “Ne ouvrir pas la porte si tu ne connais pas la personne svp”. (Photo AJ)

“Mon fils commence à peine l’école”

À tout juste 10 ans, Elis* connaît déjà la rue. Il y a passé un an, à Marseille. Il raconte son parcours depuis l’Albanie en même temps qu’il tire sur son tee-shirt en sautillant, seule attitude qui lui reste de l’enfance. Il est arrivé en France avec ses parents et son frère à sept ans : “On a vécu à Paris, Lyon, Avignon et enfin Marseille. Puis, on est repartis en Albanie parce qu’on voulait plus être dans la rue. Et on est revenus.” Depuis, il est scolarisé à l’école des Abeilles, à 15 minutes à pied du squat. Par le contact d’un militant, Elis a entendu parler d’une chambre libre dans cet immeuble. C’est comme ça qu’il y a quelques mois, toute sa famille a emménagé place Sadi-Carnot. “Ma maison d’avant a brûlé, explique-t-il en référence au squat Saint-Just, fermé en juin 2020 après un départ de feu. Mais par rapport à avant, on est mieux ici. Il n’y a pas les fourmis, les souris, c’est plus propre.”

L’immeuble est en effet bien entretenu. Les appartements sont modernes et disposent de nombreuses pièces. Des associations ont participé en donnant des meubles pour permettre aux familles de s’installer plus confortablement. Au dernier étage vit la famille de Kenny et Jessie, originaires du Nigéria. Ils sont arrivés à Marseille après un passage en Italie. Cinq mois qu’ils habitent là. Leur ainé est scolarisé depuis peu à la maternelle Dames, à 300 mètres du squat. “Je suis vraiment très inquiète pour ma famille, on n’a vraiment pas d’autres endroits où aller. Mon fils commence à peine l’école, il ne peut pas changer maintenant”, s’inquiète Jessie, en anglais.

Si eux mènent une vie de famille dans l’appartement du haut, d’autres appartements sont partagés, et des enfants circulent librement. Certains soirs, ils se retrouvent autour d’un repas. L’état général des lieux est correct, même si, selon la justice ils ne permettraient pas “un hébergement décent”.

Faute de liquidités, impossible de payer un loyer

Occuper un immeuble inhabité relève du choix contraint, explique un militant qui suit les exilés dans leurs parcours administratifs. Les demandeurs d’asile ont en théorie droit à un hébergement. Dans les faits, les places sont rares et les embûches administratives pour pouvoir trouver un toit de fortune nombreuses. “L’aide pour les demandeurs d’asile, prenait précédemment la forme d’une carte de retrait. C’est devenu une carte de paiement, maintenant, illustre ce militant. À cause de ce changement, une personne qu’on suivait qui payait son loyer en liquide, a perdu son logement.

Porte anti-squat installée sur un des appartements de l’immeuble (Photo AJ)

Pendant ce temps dans l’hémicycle Bargemon, Audrey Garino adjointe (PCF) déléguée aux affaires sociales évoque la volonté de la mairie de Marseille d’être “une partie de la solution” pour aider les migrants à Marseille. Interrogée par Marsactu sur cette affaire, l’élue confie ne pas avoir eu connaissance de cette situation précise. Mais rappelle vouloir défendre un principe : “Pas d’évacuation sans relogement, surtout dans la période de Covid”.

Depuis le référé, les habitants et les associations essaient de médiatiser leur situation et ses conséquences. Jessie et Kenny avaient accroché à leur balcon du 5e étage une banderole qui clamait : “J’ai deux enfants avec mon mari. Je ne peux pas quitter la maison”. Elle a mystérieusement disparu. Ce mardi, un rassemblement prévu à 13 h, devant l’immeuble de la place Sadi-Carnot viendra manifester à nouveau le désir de ces familles de rester dans ce lieu où elles ont trouvé le répit.

*à leur demande les prénoms des occupants ont tous été modifiés

Actualisation, le 9 février à 11 heures : suppression de la qualification d’insalubrité des hôtels, qui relève d’une notion juridique précise.

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Commentaires

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  1. digitalblasphemy digitalblasphemy

    ouais…

    ben je me désabonne c’est mieux

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  2. GENIA GENIA

    Effectivement, vaut mieux éviter de ne pas commenter!!!!!
    C’est tellement facile de rentrer illégalement chez nous et de se faire prendre en charge ensuite…………………….
    Attention, on est prié d’aider ces pauvres gens, sinon gare à l’étiquette de raciste !

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    • Avicenne Avicenne

      De toute manière, les albanais n’obtiendront pas le droit d’asile, ils le savent, ils sont expulsés systématiquement comme en Allemagne : c’est pays sûr.
      Quant aux africains savent-ils que nous sommes odieusement racistes et que nous les tuons simplement parce qu’ils sont noirs ?!

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  3. Pierre12 Pierre12

    Il faut qu’on verse une larme ?

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  4. axelaxel axelaxel

    Rentrer chez qui ? Puisque personne n’y habite. Bon dieu, vous devriez lire (puisque j’imagine que ce ne sera pas une relecture) Rousseau.

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    • Pierre12 Pierre12

      Accueillez les chez vous si vous le souhaitez, mais ne nous les imposez pas !!

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