Christian Nicol : “En matière d’habitat indigne, l’État et la Ville ne font pas leur boulot”

Interview
le 7 Nov 2018
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En 2015, Marsactu rendait public un rapport commandé par le ministère du logement sur la requalification de l'habitat privé à Marseille. Rédigé par Christian Nicol, ce rapport dressait un constat au vitriol des moyens accordés à la lutte contre l'habitat indigne à Marseille. Trois ans plus tard, ce membre du haut comité pour le logement des personnes défavorisées réitère son constat alarmant.

Un des bâtiments du Parc Corot, une des copropriétés très dégradées du 13e arrondissement.
Un des bâtiments du Parc Corot, une des copropriétés très dégradées du 13e arrondissement.

Un des bâtiments du Parc Corot, une des copropriétés très dégradées du 13e arrondissement.

En 2015, le rapport qui porte son nom avait fait grand bruit localement. La ministre du logement de l’époque, Sylvia Pinel, demandait à Christian Nicol, inspecteur général honoraire et directeur du logement à la Ville de Paris de 2003 à 2012, de réaliser un rapport sur la réhabilitation du logement à Marseille. Un rapport peu apprécié localement tant il mettait sèchement les pouvoirs publics devant leurs responsabilités (lire notre article).

“En effet le parc immobilier marseillais comporte un parc privé potentiellement indigne présentant un risque pour la santé ou la sécurité de quelques 100 000 habitants”, écrivait-il en préambule. Pour faire court, le rapport pointe deux priorités : les grandes copropriétés dégradées sur lesquelles l’État vient d’annoncer un nouveau plan d’action (lire notre article) et le centre-ville où “une problématique plus globale de traitement de l’habitat ancien dégradé et indigne perdure”. Une partie des préconisations de son rapport ont donné lieu à plusieurs protocoles d’action signés entre l’État et les collectivités locales. Mais trop lentement face aux urgences vécues par ces habitants. Christian Nicol revient pour Marsactu sur les suites de ce rapport et, surtout, sur les raisons de ces blocages locaux.

Avez-vous suivi la mise en œuvre des préconisations de votre rapport ?

Je ne suis plus dans le jeu mais j’ai encore des contacts sur place qui, de manière générale, me tiennent au courant de l’avancée de mes préconisations. Ce que je sais, c’est qu’il y a eu un début d’action, puis le préfet a changé et cela a pris plusieurs mois de retard. L’accent a été mis sur les copropriétés dégradées. On est toujours à la phase d’études pour savoir qui fait quoi. Si mon rapport a été si mal pris, c’est qu’il a remué les choses et souligné que, sur cette question de l’habitat indigne, l’État et la Ville ne font pas leur boulot.

Comment cela se traduit-il concrètement ?

Je vais vous dire quelque chose que je n’ai pas dit à l’époque mais qui m’agace tellement que je souhaite le dire aujourd’hui. À l’époque, j’avais préconisé de mettre l’établissement public foncier au centre du dispositif en faisant en sorte qu’il assure le portage foncier dans les copropriétés dégradées [c’est-à-dire en rachetant pour le compte de la collectivité les immeubles avant rénovation, ndlr]. Cet organisme dépend de l’État et des collectivités. Or, la direction de l’époque a tout fait pour ne pas être chargée de ce boulot. Au final, je crois qu’elle a réussi. Pour la partie du centre-ville, ils ont continué à faire comme avant.

Pourquoi les pouvoirs publics n’appliquent-ils pas la réglementation sur ce centre ancien parfois très dégradé ?

Du côté de l’État, ils n’ont pas les effectifs suffisants. À ma connaissance, ils prennent toujours un nombre d’arrêtés d’insalubrité ridicule au regard de la situation. Je ne sais pas comment ça a évolué depuis mon rapport. En 2015, il y avait une seule personne à l’Agence régionale de santé qui s’occupait d’insalubrité pour toute la région [selon nos informations, le nombre d’arrêtés d’insalubrité pris à Marseille en 2018 s’élève à 11. Le service de l’ARS est passé à trois personnes, ndlr]. Du côté de la Ville, on m’a dit qu’ils avaient fait des efforts pour renforcer leurs services. Mais, en voyant ce qui se passe cette semaine, ce n’est à l’évidence pas suffisant.

Quelle est la nature du blocage ?

Le problème principal tient à la question du relogement. Dans un immeuble en situation de péril imminent, les habitants doivent être relogés immédiatement et souvent de manière durable. Or, cela veut dire qu’au-delà de l’hébergement d’urgence, il faut pouvoir mobiliser des logements du parc HLM. À l’époque, des élus m’avaient demandé d’écrire qu’il fallait que des efforts soient faits. Les services de la Ville eux-mêmes m’ont avoué que c’était impensable qu’après un arrêté de péril ou d’insalubrité, les gens soient relogés dans le parc HLM parce qu’il ne servait pas à cela. Les HLM, c’était la chasse gardée des élus qui faisaient du clientélisme avec les attributions. Du coup, ils préfèrent bricoler avec le logement social de fait que constitue cet habitat indigne.

Outre les grandes copropriétés, votre rapport traite aussi du centre ancien. C’est aussi là que se concentrent les situations d’indignité. Est-ce que c’est une question d’outils pour agir efficacement ?

Pas du tout. J’ai été mandaté parce que j’ai dirigé le service logement et habitat de la Ville de Paris. Nous avions réussi à traiter les questions de logement indigne et insalubre à Paris. Il s’agit de mettre les moyens et d’avoir une volonté politique pour les mettre en œuvre. Ensuite, il faut avoir un bon aménageur ce qui, me semble-t-il, n’est pas le cas de la Ville de Marseille. Ce n’est pas une question d’outils techniques. Sur place, à Marseille, j’ai découvert que la délégation locale de l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat ne savait même pas qu’elle pouvait directement aider les syndicats de copropriété à financer les travaux sur les parties communes. Or, c’est un outil qui facilite les choses. Cela coûte cher mais cela marche. C’est avant tout une question de volonté politique et de moyens pour agir. À Paris, nous avions dépensé des dizaines de millions d’euros pour réussir ce type de politique. L’idée n’est pas de dessiner un périmètre et d’agir en son sein mais d’agir à chaque fois qu’un immeuble est signalé. Un diagnostic était aussitôt fait et on déployait toute la boîte à outils pour agir à la mesure des problèmes. Quand personne n’a envie d’agir, il se passe ce que nous connaissons ces derniers jours à Marseille.

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Commentaires

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  1. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Si elle avait un minimum de dignité cette municipalité devrait démissionner immédiatement.

    Au lieux de cela ils (elles) sont tous prêt(e)s à se porter candidat pour les prochaines élections.

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  2. raph2110 raph2110

    En effet , les études, diagnostics et constats divers ont de longue date été réalisés, y compris sur les problèmes de saturnisme… Mais peut être que le prix de 5 vies et sans doute malheureusement plus, conduira à agir. Quant au nième audit immeuble par immeuble que propose M. Castagne, qu’il se montre économe et qu’il transfère les crédits sur des actions prioritaires et immédiates.
    Un nouvel audit serait synonyme de gagner du temps …

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  3. Richard Mouren Richard Mouren

    La Ville de Marseille avait été mise sous tutelle de l’Etat après l’incendie des Nouvelles Galeries le 28 octobre 1938 (jusqu’en 1944) pour pallier l’incompétence notoire et la gouvernance népotique de la municipalité. Il faudra peut-être faire de même 80 ans plus tard (pratiquement jour pour jour) pour que quelque chose change à Marseille. Trois immeubles (pour l’instant) écroulés dans la rue d’Aubagne (cinq morts pour l’instant) faute de réhabilitation à deux pas d’une place remodelée de force à coup de millions d’euros. Triste, triste.

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  4. pierre-yves pierre-yves

    Imaginons plutôt qu’une mise sous tutelle la création d’un établissement public à l’image de l’EPA Euromediterranée chargé du logement à Marseille. Les prérogatives de la ville de Marseille et de ses satellites (Soleam, …) serait retirées au profit de cet établissement piloté majoritairement par l’état avec une représentation des autres institutions.

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  5. Input-Output Input-Output

    “Les HLM, c’était la chasse gardée des élus qui faisaient du clientélisme avec les attributions” – La ville de Marseille c’est comme le poisson : Quand ça pourrit, c’est par la tête…

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  6. Maxvalmax Maxvalmax

    J’en ai marre de cette mairie arrogante et incompétente. Que ce soit sur l’habitat, l’urbanisme, les travaux publics, les écoles, le périscolaire, les crèches, les bibliothèques, l’action sociale, ils sont nuls et mesquins. Je vais tout faire pour qu’ils dégagent en 2020. Et ça commence maintenant.

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  7. Maxvalmax Maxvalmax

    Sans oublier les transports, les équipements sportifs, la faiblesse en équipements culturels, la gestion des déchets etc…Quand on met bout à bout l’ensemble des choix faits par cette municipalité depuis 25 ans, on s’explique aussi l’état de la ville actuelle. 20 % des inscrits ont voté pour eux en 2014. Ce sont 96 000 personnes à convaincre.

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    • Input-Output Input-Output

      D’accord avec vous. Mais ce ne sera pas facile à résoudre car le clientélisme joue à fond : ce sont eux qui sont en place, ils décident de qui bénéficie de leurs faveurs (subventions, places en HLM…), et l’électorat suit pour “renvoyer l’ascenseur”. Quelle solution pour enrayer ce cercle vicieux “Made in Marseille” ?

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    • petitvelo petitvelo

      Autant laisser à leurs croyances ces 96 000 électeurs sur environ 490 000 inscrits et 250 000 votants. En convainquant 50 000 abstentionnistes, même avec l’art du découpage de la majorité, on fait gagner n’importe quelle opposition qui rassemble 50 000 voix, PS ou FN par exemple. Mais il faut avouer qu’elle manque souvent d’attrait, cette opposition, notamment en utilisant un peu les mêmes méthodes.

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  8. Manipulite Manipulite

    @Marsactu N’avez-vous pas d’autres outils que ce Scribd pourri de pub pour mettre les documents (publics donc payés par nos impôts) à disposition ? Merci

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    • Julien Vinzent Julien Vinzent

      Bonjour, tout à fait, en théorie Scribd est réservé aux lourds documents, mais dans le cas présent le bouclage tendu a dû nous faire aller au plus vite.

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  9. Damien Damien

    L’interview de julien ruas dans La Provence est emblématique de l’incompétence et de l’irresponsabilité organisées en système : ” Ce scénario, je ne l’ai jamais imaginé d’abord parce que je n’étais pas sur place au moment de la difficulté, mi-octobre, dans l’immeuble du 65 rue d’Aubagne, et parce qu’un expert nommé par le tribunal a indiqué qu’il n’y avait pas de problème structurel sur le bâtiment”
    Il voudrait dire que s’il avait été sur place, ses compétences techniques individuelles auraient changé quelque chose? Il se défausse par avance de ses responsabilités sur l’expert.
    Mise sous tutelle. Pas la peine d’appeler à la démission, personne dans cette municipalité n’a assez de “figure” pour celà.

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  10. petitvelo petitvelo

    Sur le fond, on touche là à la limite de la “main invisible du marché”: certaines faillites se paient en vie humaines. Est-ce que les marcheurs vont trouver la bonne formule pour que le logement ne soit plus si rare et cher ?

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