Effondrement de la scène de Madonna au Vélodrome : les enjeux d’un procès hors normes

Décryptage
le 7 Oct 2020
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Trois fois renvoyé, puis reporté de quelques jours, le procès de l’effondrement de la scène de Madonna au Vélodrome va finalement s’ouvrir ce mercredi. Onze ans après les faits, Marsactu revient sur cette enquête aux entrées multiples, qui engage sept professionnels et quatre entreprises.

Le tribunal judiciaire de Marseille (Photo : LC)
Le tribunal judiciaire de Marseille (Photo : LC)

Le tribunal judiciaire de Marseille (Photo : LC)

La complexité du procès de l’effondrement de la scène de Madonna au Vélodrome, qui s’ouvre ce lundi devant le tribunal correctionnel de Marseille, peut tenir en une image, empruntée à un des protagonistes du dossier. “C’est un concentré miniature de ce qu’on vivra avec l’enquête de la rue d’Aubagne. En bout de chaîne, il y a des morts. En remontant le fil, il y a des dizaines d’individus et de structures, et tous renvoient la faute au voisin.”

Quelques heures avant le début du concert de la star internationale, le 16 juillet 2009, le toit de la scène s’effondre. Le lieutenant des marins-pompiers sur place décrit alors “un contexte de chaos”, comme on peut le lire dans l’ordonnance de renvoi rédigée au terme de l’instruction. Les victimes sont “évacuées en urgence à l’aide de moyens de fortune en raison (…) des risques d’un nouvel effondrement”. Ce risque empêche les premiers enquêteurs de s’approcher. Le toit de la scène devait être soutenu par six tours métalliques de 20 mètres de hauteur. Après le drame, quatre d’entre elles sont tombées et deux vacillent encore. Le toit de la structure est au sol, en pièces, sauf son coin arrière droit, bloqué en l’air par un camion grue alors bancal.

Le technicien Charles Criscenzo décède en chutant. Dix autres salariés sont blessés. Le soir-même, l’hôpital de la Timone enregistre le décès de Charles Prow. Le tribunal correctionnel de Marseille devra aussi recueillir la douleur d’une troisième famille en deuil, celle de Giuseppe Di Silvestro, qui s’est donné la mort après le drame. Quant aux autres parties civiles, beaucoup conservent des séquelles physiques et psychologiques de cet accident spectaculaire.

Dix sociétés impliquées dans l’organisation du concert

Un tribunal correctionnel ne traite pas souvent des dossiers d’accidents du travail. Dans le cas présent, les magistrats entendront sept prévenus, tous liés à des structures responsables de l’organisation du concert. Quatre entreprises sont également renvoyées en tant que personnes morales pour homicide involontaire, blessures involontaires et infractions à la réglementation générale sur l’hygiène et la sécurité du travail. Onze ans après les faits, ce procès hors-normes permettra-t-il d’évaluer clairement chaque responsabilité ?

Par un jeu d’entremêlements et de filiales, dix sociétés sont concernées par l’organisation de l’événement. Quatre structures sont en charge du volet technique, ce qui comprend le montage et le contrôle de la scène. Quatre autres entités sont chargées du volet organisationnel et de la promotion. Enfin, des contrats ont été passés avec deux agences d’intérim afin de fournir la main d’œuvre nécessaire au chantier.

La multiplication des acteurs a indirectement favorisé les défaillances. Exemple avec le cas du prévenu Matthieu A., gérant de la société TCF, en charge de la majorité des recrutements sur cette mission. Ce dernier explique aux enquêteurs qu’il appartenait à la société Live Nation France d’établir le plan de prévention” des risques. Sauf que Live Nation France, la société organisatrice du concert, n’a pas établi un tel document. Finalement, c’est Yacine S., régisseur de plateau embauché par TCF, qui en a pris l’initiative seul. Sauf que le document présente des lacunes. Selon une expertise citée dans l’enquête, ce qui aurait dû faire office de plan de prévention est en réalité “un document-type sans intérêt”.

Juste avant l’effondrement, un “mauvais pressentiment”

Un autre document vient aussi pointer les défaillances d’organisation. Il s’agit d’une fiche technique établie par ES Staging, société responsable du montage de la scène. La fiche indique : “avant de commencer le travail, il est vital que les superviseurs établissent une méthode claire, simple et facile à comprendre pour donner des ordres à leurs équipes.” Mais sur place, les témoins rapportent une autre réalité. Selon le technicien Michel K., employé par l’agence TCF sur cette mission, aucun chef d’équipe n’avait été désigné et les instructions étaient données en anglais par les techniciens d’ES Staging. Selon un autre ouvrier, Frédéric L., “les Anglais allaient vite” et le chantier avait une demi-journée d’avance. Frédéric L. n’a pas été blessé dans l’accident, mais il ne doit cette chance qu’à lui-même : quelques minutes avant le drame, il a fait valoir son droit de retrait.

C’est lors de l’élévation du toit qu’une défaillance est apparue. Dans la fiche établie par ES Staging avant le début du chantier, le protocole de l’opération est expliqué clairement. Les six tours métalliques doivent être mises à la verticale par des camions grues. Un moteur est ensuite fixé sur chaque tour pour monter le toit.

En cours de montage, alors que le toit se trouve à plus de 13 mètres du sol, deux moteurs tombent en panne. Et l’équipe d’ES Staging décide alors d’improviser. Quatre techniciens sont sommés de monter, alors même que le protocole établi par ES Staging précise clairement que les tours doivent être vides durant la manœuvre. C’est à ce moment qu’après avoir grimpé quelques mètres, Frédéric est pris d’un “mauvais pressentiment” et décide de redescendre. Les superviseurs demandent aux autres ouvriers de monter un côté du toit à l’aide d’un camion grue. Pour cela, il faut faire tenir les deux parties ensemble par une sangle en textile et reprendre la manœuvre, bien que les moteurs fixés sur les tours et la grue ne montent pas à la même vitesse. C’est alors que la sangle en textile lâche sous les 67 tonnes de la toiture, causant l’accident.

“Tout est sous-traité, tout est dissimulé”

Les différentes expertises versées à l’enquête pointent alors une combinaison de facteurs menant à l’issue fatale. Parmi eux : sous-estimation de la charge du toit, mauvais usage de la sangle, absence de protections suffisantes, ouvriers non formés… “Ainsi qu’une infraction flagrante : l’absence de plan de prévention”, analyse Me Philippe Voulan, avocat de la femme de Charles Criscenzo. “Lorsque plusieurs entreprises travaillent ensemble, elles ont l’obligation légale de se concerter sur les questions de sécurité”, rappelle-t-il. Et “pour le moment, chaque société se renvoie la balle, regrette Olivier Rosato, avocat du père de Charles Prow. Cela arrive souvent sur les dossiers impliquant de grandes sociétés : tout est sous-traité, tout est dissimulé. Mais c’est pour ça que ce procès est important. Lorsque l’enquête est complexe, les débats permettent parfois d’y voir plus clair.”

Onze ans après les faits, l’attente est grande pour les parties civiles contactées par Marsactu. L’enquête n’a été clôturée qu’en janvier 2019, soit près de dix ans après l’accident. Pourquoi un tel délai ? On peut pointer la technicité du dossier, la commande de plusieurs expertises, le nombre d’acteurs impliqués dont plusieurs résidant en Angleterre … “À ce stade, on ne veut pas mettre en cause tel ou tel magistrat, mais c’est certain que cette enquête a souffert de délais déraisonnables. Il y a une responsabilité commune du système judiciaire”, estime Me Philippe Vouland. Ce dernier indique d’ailleurs avoir saisi la justice sur ce point. Selon La Provence, l’avocat a en effet assigné l’État au civil pour “faute lourde”.

Surtout qu’au terme de l’enquête, le dossier a ensuite subi une série de renvois : lors de la première audience fixée en juillet 2019, puis de nouveau à l’automne, puis en mars 2020 durant le confinement, et enfin lundi après la suspicion d’un cas de covid parmi les avocats, finalement testé négatif. L’attente prend donc fin ce mercredi 6 octobre.

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