Du graff à la toile, JonOne fait de Marseille sa galerie
Du graff à la toile, JonOne fait de Marseille sa galerie
A quelques heures du vernissage de son exposition, JonOne semble bien loin de ces préoccupations. La médaille de la Ville reçue des mains du maire la veille n’apparaît nulle part. Assis par terre au milieu de la galerie, sur un carton déplié pour éviter de faire des taches sur le sol blanc, il peint. La petite toile, installée sur une boîte en carton pour arriver à sa hauteur, est appuyée contre le mur, lui-même protégé par une bâche. La scène a quelque chose d’enfantin. Un petit pot d’encre de Chine à la main, l’artiste écrit inlassablement ces mots : JonOne, JonOner ou JonOnerock, les différentes déclinaisons de son pseudo, son “blaze” dans le langage du graff.
Très serrées, les lettres se mêlent, s’entrecroisent d’un mot à l’autre, d’une ligne à la suivante, au point qu’il en devient difficile de les déchiffrer. De temps en temps, lorsque le pinceau est trop chargé, une grosse goutte coule jusqu’au bas de la toile. Une fois le tableau fini, il prend une toile vierge et continue. Des “JonOne”, des coulures et beaucoup de couleurs, c’est l’essentiel du travail de l’artiste en 30 ans de carrière. Autour de lui, posées sur des boîtes, une dizaine d’autres toiles, identiques, peintes dans la journée. Ses proches n’exagèrent pas quand ils lui prêtent une production quasi-industrielle.
Du métro new-yorkais à la toile parisienne
Cette production, on la retrouve sur les murs de la galerie David Pluskwa, rue Grignan (6e) jusqu’au 19 novembre. Une quarantaine d’oeuvres y sont exposées, de la plus petite toile à des cadres allant parfois jusqu’à deux mètres, distribuées sur deux grandes salles. Chacune d’elles vient éclairer les murs trop blancs d’une explosion de couleurs. “JonOne est le plus grand coloriste de l’art contemporain”, ira même jusqu’à dire David Pluskwa.
En vestiges de la lointaine époque où JonOne peignait sur les murs ou les trains, il reste son nom et quelques flèches ou simples étoiles, tracées comme des astérisques. Il s’est très vite éloigné du graff classique et de ses supports sauvages. “Tu te fais arrêter par les flics, mais ça, y a pas de problème. Mais, dès fois, je posais des pièces et deux jours après quelqu’un arrivait et le recouvrait. Là, j’avais envie de le planter”. Pour cette raison et pour beaucoup d’autres, l’artiste a très vite quitté la rue pour un art plus classique. “J’ai toujours rêvé de travailler dans des ateliers”, commente-t-il aujourd’hui. Jouant des codes du graff, sa peinture est abstraite, tantôt faite de tracés, tantôt d’aplats de couleurs, de taches, de coulures…
Le galeriste marseillais rencontre l’artiste aux alentours de 2010, sur conseil d’un de ses amis. Alors qu’il prépare un exposition au magasin Louis Vuitton, à quelques mètres de là, JonOne lui présente trois de ses tableaux. “J’en suis tombé fou amoureux”, se souvient-il. “Il a fallu que je refasse tout l’accrochage de l’exposition en quelques heures pour pouvoir les présenter le soir même”. A la fin de la soirée, les trois oeuvres étaient vendues et la collaboration entre le galeriste et l’artiste commençait.
Ces rencontres sont aujourd’hui racontées dans un livre de plus de 350 pages édité par David Pluskwa. C’est le journaliste marseillais Théophile Pillault qui s’est chargé d’écrire la toute première monographie sur l’artiste pour ses trois décennies de carrière : The chronicles. “La narration s’est faite sous forme d’entretien fleuve,” entre Marseille et les Lilas où JonOne a son atelier parisien. Le livre retrace “30 ans d’élan créatif”. Il évoque ses oeuvres d’abord, qui occupent une large part de l’ouvrage et les rencontres avec les galeristes Magda Danysz ou Jacqueline Rabouan qui l’ont découvert et accompagné. On y croise aussi le point de vue d’amis comme les graffeurs Shoe et Jay One ou d’autres artistes comme le sculpteur Henry Chalfant ou le photographe Yoshi Omori… Des photos présentent l’artiste à l’oeuvre dans ses différents ateliers, celui de la rue ou des rames du métro de New York à ses débuts, en passant par les murs de l’Hôpital Éphémère ou le terrain vague de la Chapelle, “réceptacle de la culture hip-hop” à Paris.
La fin d’un cycle
“Quand j’ai proposé à Jon de faire sa monographie, il a dit « banco ! », reprend David Pluskwa. On a bossé dessus comme des malades. Maï, son épouse, nous a beaucoup aidés ainsi que Fleur, son assistante pour retrouver les archives. Tout le monde a joué le jeu. Ça a été un moment formidable”. Pour l’artiste, l’ouvrage n’est pas à classer “dans la section du street art mais des beaux-arts. A partir du moment où tu mets un artiste comme moi dans la section de beaux-arts, tu as à te poser des questions sur son art”. Car c’est cela qu’a très vite recherché JonOne, une reconnaissance que ne lui apportait pas la rue.
Le rapport à la toile m’a apporté différents types d’échanges avec des gens qui apprécient mon travail. Avant, les seuls échanges que j’avais étaient “c’est superbe” [il mime, le pouce vers le haut]. Et pour seule récompense, un pétard ou une bière.
“J’aime être là où je ne suis pas attendu. Ce livre a permis de donner du sens à mon travail. Un peu comme une psychanalyse. Un ami m’a dit : « tu verras, quand tu auras terminé ce livre, tu vas recommencer à zéro »“. Théophile Pillault poursuit en écho : “Ce livre scelle et verrouille une ou des étapes. C’est la fin d’une boucle, d’un cycle créatif”.
Durant son court séjour marseillais, JonOne a même eu les honneurs de visiter le bureau du maire qui lui a remis la médaille de la Ville. Pas sûr que Jean-Claude Gaudin soit particulièrement sensible à l’art de JonOne mais il a quand même tenu à le remercier pour “son rôle culturel” à Marseille. Tout sourire au côté du maire, JonOne aurait pu remplir une grille de Bingaudin. Il a eu notamment droit à l’histoire complète de la candidature de la ville pour être capitale de la culture, sur fond d’élections municipales et sénatoriales contre Jean-Noël Guérini, à une mention à la capitale européenne du sport, quelques critiques sur le gouvernement en place et pour finir, un état des lieux du budget de l’Opéra municipal. JonOne n’en a cure.
“Il faut être très talentueux”
“C’est la première fois que la France reconnaît ce que j’ai fait pour elle depuis 30 ans”. On se souvient quand même qu’en 2011, l’artiste avait peint sur un mur parisien un portrait de l’Abbé Pierre, hommage salué notamment par le maire de Paris. “Je pense que j’ai contribué à cette culture qui fait maintenant partie du paysage de la France”. Il se souvient : “Je suis l’un des premiers à peindre dans la gare du Nord”. Confiant, peut-être entraîné par l’euphorie de cette marque de reconnaissance, il ose même un : “Je pense que j’ai changé la paysage de la France”.
Car à 51 ans, JonOne n’a plus grand chose à prouver aux autres. Et il le sait. Alors quand on lui demande comment on passe de la peinture sur les trains ou les murs à celle sur une toile, il n’hésite pas un instant, en jetant un regard malicieux à son manager : “Il faut être très talentueux”.
Esther Griffe
Commentaires
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JonOne, allez voir cette exposition. Vous n’y trouverez plus l’artiste, mais vous aurez l’occasion de bavarder avec David Pluskwa, le galeriste qui l’expose à Marseille. Vous trouverez ici un avant goût du travail de l’artiste et vous découvrirez en même temps une façon de se mettre en scène, probablement indissociable de sa production : http://david-pluskwa.com/jonone-the-chronicles-evenements-15-et-16-octobre-2014/
Je pourrais citer de possibles ou d’improbables filiations, mais ce serait sans doute sacrilège et je ne suis pas grand connaisseur en la matière. Les productions exposées à Marseille ne sont qu’une facette de tout ce que l’artiste a essayé et que l’on trouve dans l’album qui lui est dédié. Je dirais presque que me préférence va à ses œuvres de rue du début, mais il a essayé tellement de chemins au cours de sa recherche, que ce serait réducteur.
Il faut commencer par se taire pour réaliser un peu tout ce que l’artiste a extériorisé. J’aime « Le départ », planche 5 de l’album. La planche 17 où l’artiste dit s’être détaché de la technique du grapheur, la planche 26 qui fait penser à la surface de lave craquelée d’un volcan. La suite de l’album nous rapproche de ce qu’on peut voir à Marseille, avec la répétition continuellement empiétée de sa signature, qui finit par s’écouler vers le sol, en même temps qu’au sommet apparaissent des entrelacs rougeoyants. Il y a toute une série d’acryliques sur toile de 2006 qui ferait de beaux tapis. A quelques exceptions près, ces œuvres sont non figuratives et le graphisme rappelle ce qui était seulement autorisé dans les mosquées. Parfois on pense, par la richesse des couleurs et l’étrange, au Modern Pop Art, mais dans une expression non figurative. Parfois on verrait bien un vitrail, parfois des figures kaléidoscopiques que l’imagination aurait liquéfiées. Parfois l’on pense à Hundertwasser pour le libre cours que s’est donné l’artiste et un usage incantatoire de la répétition.
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Bon interview… Il peint très vite, avec cette même boulimie qu’ avait Ambrogiani dans les années 60. Bonne expressivité dans le bi-chrome.
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Atteindre ce niveau de reconnaissance dans l’art contemporain, c’est effectivement une performance : un sport de combat, un truc de finaud, où l’intelligence du moment (marché) occupe une place aussi importante que le talent.
Grooosseee performance que d’arriver précisément à jouer la carte de l’égo surdimensionné plutôt que celle de Basquiat avec Warhol, parce qu’entre le maire de Marseille et celui de Paris…Pas très sexy tout ça !
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Rien que la photo de JonOne avec Gaudin, il fallait la faire. C’est fou ce que ça intéresse notre maire d’ailleurs.
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