“Drogue à foison”, relation aux indics : la justice ausculte les méthodes des “baqueux”
Dix-huit ex-policiers de la BAC Nord sont jugés depuis lundi, principalement pour vols de cigarettes et infractions aux stupéfiants. Soupçonnés de conserver les saisies pour eux-mêmes, ils se justifient par la rémunération d’indics informels.
Le procès de la BAC Nord se tient à Marseille jusqu'au 23 avril. (Photo Clara Martot)
Après trois jours de procès pour vols et infractions aux stupéfiants, les ex policiers de la BAC Nord semblent s’accorder sur deux points. Le premier, c’est qu’à les écouter, le mystère reste entier autour des 450 grammes de cannabis saisis dans les faux plafonds et les vestiaires du commissariat en 2012. “C’est étonnant”, lancent plusieurs fonctionnaires à la barre, jouant parfois d’un haussement d’épaules un peu théâtral pour amplifier l’effet. Le second point se révèle au fil des auditions de personnalité. “Pourquoi avoir intégré la BAC, et pourquoi spécifiquement la BAC Nord ?”, demande méthodiquement la présidente du tribunal Cécile Pendaries à chaque fonctionnaire. Les réponses apportées par les “baqueux”, comme ils se surnomment eux-mêmes, laissent entrevoir une tendance nette : tous restent marqués par leur passage au sein de la brigade anticriminalité des quartiers Nord.
Déjà parce que le scandale national qui a éclaté en 2012 a laissé des séquelles : révocation pour trois d’entre eux, difficultés économiques, détention provisoire, rêves de carrière brisés… “La police, c’est la profession où l’on retrouve le plus de dépressifs, de divorcés et d’alcooliques”, s’avance Bruno Carrasco, doyen des 18 prévenus, aujourd’hui contractuel à la mairie d’Aubagne et auteur d’un livre sur l’affaire. Ses cheveux en arrière dénotent avec la coupe ras adoptée par tous ses anciens collègues. À l’époque de leur engagement à la BAC Nord, c’est “l’adrénaline” des interpellations et “l’excitation” à traquer “les voyous” qui motivent les troupes. Mais rapidement, la “course aux chiffres” prend le pas et les entorses aux procédures se multiplient. Neuf ans après la dissolution de la brigade par le ministère de l’Intérieur, le tribunal tente une reconstitution à froid des évènements.
L’obsession des stupéfiants, malgré les consignes de la hiérarchie
L’objectif est d’analyser le comportement de la brigade à partir de janvier 2012, lorsque Le Point révèle que des investigations sont en cours pour des soupçons de racket dans les cités. “À partir de ces révélations, la hiérarchie somme la BAC Nord d’arrêter les «plans stup» et de se concentrer sur les autres délits de flagrance”, rappelle la présidente. La sonorisation des véhicules prouve que ces ordres n’ont pas été respectés. Mohamed C., crâne rasé et chemise bleu ciel irisé, était chef de groupe. Il explique alors : “Avant, j’étais à la BAC de Lyon. Ici, ça n’a rien à voir. C’est que les cités, les cités, les cités. Qu’on le veuille ou non, on va forcément tomber face à des infractions aux stupéfiants.” L’homme est arrivé en 2011. Il explique avoir “essayé de faire les choses bien” et regrette son “laxisme”, face à ses équipes vraisemblablement familières des écarts procéduraux.
Je voulais taper dans la gangrène des clopes du marché aux puces. Mais moi je suis un chasseur, pas un procédurier. Donc j’ai pas rédigé de procès-verbal de la saisie.
Nicolas F.
Nicolas F., 26 ans au moment des faits, se présente d’emblée comme “arrière-petit-fils, petit-fils, fils et frère de policier.” Athlétique et vif, il a été attiré par le “prestige” incarné par la BAC Nord et souhaite aujourd’hui y retourner. “Si vous tombiez en patrouille sur un flagrant délit de stupéfiants, est-ce que vous alliez jeter un voile pudibond sur l’infraction, sous prétexte qu’il fallait ralentir sur les plans stup ?”, l’interroge son avocat Frédéric Monneret. L’homme répond, très investi : “Bien sûr que non. Si je voyais un délit, c’est certain que j’y allais !” Mais Nicolas F. tentait aussi de varier les interpellations. Il est d’ailleurs aujourd’hui poursuivi pour vol de cigarettes de contrebande. La scène a lieu aux marchés aux puces. Il la raconte d’un trait : “Je n’ai pas volé la cartouche, je l’ai trouvée par terre car le vendeur a fui. Je la prends parce que je voulais taper dans la gangrène des clopes du marché aux puces. Mais moi je suis un chasseur, pas un procédurier. Donc j’ai pas rédigé de procès-verbal de la saisie.” Il assure qu’il souhaitait se servir de cette cartouche pour rémunérer un informateur.
Barrettes de cannabis et “indics” informels
Cette défense est partagée par plusieurs de ses ex-collègues incriminés, comme lui, par des enregistrements, ou “sonorisations”. Tel Stéphane J., fonctionnaire mince et bavard, qui explique avoir récupéré des barrettes de cannabis pour les donner à sa “source”. “Le problème, c’est que vous n’avez pas été transparent puisque vous avez caché votre source, et donc sa rémunération, à votre hiérarchie”, lance la présidente. Le prévenu philosophe : “Vous savez, les moyens qu’on utilise n’intéressent personne. Ce qui compte, c’est les résultats.” Il offre tout de même au tribunal un aperçu étonnant des moyens en question, en narrant sa première rencontre avec sa fameuse source : “On était sur la surveillance d’une moto aux Rosiers. Je contrôle le conducteur, il n’a pas de permis, pas d’assurance, mais il m’assure que le deux-roues n’est pas volé. Il était sympathique, alors j’ai fait un geste. Je l’ai laissé tranquille. Il m’a remercié et m’a dit que si j’avais besoin d’informations, il pouvait m’aider.” Des faits “invérifiables“, tacle le procureur André Ribes.
Régis D., cheveux bruns et chemise blanche, a été révoqué. Il est aujourd’hui infirmier aux Baumettes. Dans une sonorisation après un “plan stup”, on l’entend dire : “Le shit, il va falloir l’écouler”. Puis il explique garder le produit pour “quelques potes de la Castellane”. En 2012, 23 barrettes de cannabis, une sacoche et 755 euros ont été saisis à son domicile. Ce mercredi, il rectifie ses propos de l’époque : “Je les gardais pour pouvoir les donner à un indic de la Castellane.” Indic qui décidera finalement de déménager. Et qui sera alors “rémunéré” par Régis D. par l’obtention d’un HLM, via “un ami chez le bailleur Erilia“.
“À force, on est déconnecté de la gravité du produit”
Pour Bruno Carrasco, rien de nouveau dans ces pratiques : “Quand j’ai commencé à la police en 1981, les sources, on leur faisait sauter les PV.” Le prévenu pointe ensuite l’une des faiblesses du dossier : aucun jeune interpelé à l’époque n’est présent au procès en qualité de victime. La seule partie civile qui s’était constituée a en effet annoncé qu’elle ne se rendrait pas au procès, quelques jours avant l’ouverture. “Les jeunes dans les cités, nous accuser de vol, c’est la seule chose qu’ils peuvent faire contre nous. Mais aujourd’hui, il n’y a personne.” Il reconnaît avoir “ramassé” des barrettes et des cigarettes pour son voisin informateur. Il hausse le ton : “À l’époque, je prends des risques et je gagne 2 000 euros. En face, je vois des jeunes de cités rouler dans des Porsche. Alors oui, quand je vois une sacoche, je prends.”
Plusieurs prévenus évoquent également la lourdeur procédurale et le manque de moyens. “On ne peut pas rédiger de procès-verbal dès qu’on trouve une petite quantité de produit : on veut pas encombrer les services, surtout qu’on nous demande de nous concentrer sur autre chose que les stupéfiants”, plaide Sébastien L., aujourd’hui officier de police judiciaire, seul prévenu qui assure sa défense sans avocat. Trois “olives” de cannabis ont été saisies dans son casier. À un autre prévenu tenant le même discours, le procureur André Ribes finit par lâcher : “On dirait que c’est compliqué, mais en réalité les ordres hiérarchiques sont très clairs. Soit vous détruisez sur place pour ne pas encombrer les services, soit vous ramenez le produit avec un procès-verbal. Mais transporter le produit sans aucune procédure à l’appui, ça, c’est certain que c’est problématique !”
Mais pour Sébastien J., la problématique est perdue de vue depuis longtemps : “La drogue, on en touchait à foison. À force, on est déconnecté de la gravité du produit, tellement ça devient banal pour nous.” Pour l’officier Sébastien L., bien que la BAC Nord se démarque par sa rentabilité exceptionnelle – 4 500 interpellations par an -, “si on sonorisait n’importe quelle brigade de France, on trouverait les mêmes propos.” Dans la salle d’audience, la foule de soutiens, collègues et représentants syndicaux, ne désemplit pas. Sept prévenus doivent encore être entendus ce jeudi.
Commentaires
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“La hiérarchie somme la BAC Nord d’arrêter les plans stups”.
Nous y sommes! On sait très bien que l’État ferme les yeux sur les trafics de drogue. On fait semblant, une brigade de CRS bien visible a l’entrée d’une cité pendant quelques jours et le tour est joué. Dans ce pays on vous colle une amende de 90 € pour une ceinture oubliée mais vous pouvez trafiquer le cannabis “bien tranquille”.
Craint on, avec une situation de chômage endémique, tellement banalisée qu’on n’en parle même plus, de casser une économie souterraine qui fait vivre tant de familles? Craint on de voir éclore des délits bien plus violents si le commerce de la drogue ne permettait plus de vivre?
Effectivement, si les cités marseillaises sont restées calmes en 2005, ce n’est pas grâce à la mer, au ciel bleu et à l’OM comme aurait dit Gaudin mais bien parcequ’ il ne fallait pas effrayer le chalant.
Mais ces trafics gangrènent notre société. Comment convaincre tant de gamins d’étudier ou d’aller bosser quand ils peuvent gagner 2 à 3000 € juste en faisant le chouf?
La hiérarchie s’en fout: les clopes au marché au puce , c’est vachement plus important et l’État lui, depuis 30 ans, fait semblant juste pour rassurer l’électeur.
Alors, si les cow boys de la BAC Nord ont mis quelques barrettes de côté, franchement….
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Rien à ajouter si non que nous verrons bien les écarts de peines avec les commanditaires de la politique du chiffre. Les acteurs s’impliquent d’autant plus dans le jeu lorsque le scénario est bien écrit.
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Des policiers qui mettent en doute les règles de procédure et la validité des rappels à l’ordre judiciaire… Des “victimes” présumées qui ne se portent paspartie civile, sans doute parce qu’elles ne reconnaissent pas non plus la validité de l’ordre judiciaire… L’expression “zone de non droit” prend du sens, malheureusement, et on voit mal les juges réussir seuls à rétablir des repères annulés par la réalité quotidienne.
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“Vous savez, les moyens qu’on utilise n’intéressent personne. Ce qui compte, c’est les résultats.” Tout est dit ! On les a laissé se démerder sans trop de moyens dans des environnements très chauds et maintenant la justice vient leur chercher des poux… Toute cette hypocrisie est à vomir. On la rencontre tellement de nos jours…
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Tout ceci est le reflet parfait d’une politique incohérente hypocrite et dévoyée, basée sur des statistiques destinées à enfumer le peuple , le résultat : des réseaux mafieux hors contrôle ont récupéré ce juteux business, des armes de guerre sont dans tous les quartiers , les habitants vivent un régime de terreur digne des favelas , certains apparts HLM ne sont même plus habités mais abritent le stock et les armes , les bailleurs fermant les yeux pour préserver leurs équipes sur place et encaisser leurs chers loyers …Parfait !!
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